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le cas où l'ajournement ne serait pas adopté, je désirerais que M. Duport nous apprît quelles seront les formes et les fonctions des jurés. Ne soyons pas les copistes serviles de l'Angleterre et de l'Amérique : délibérons; mais avant de délibérer, sachons sur quoi nous délibérons.

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M. Pétion de Villeneuve. On propose de faire revivre parmi vous la belle institution des jurés. Quand on vient vous dire que nous ne devons pas être de serviles imitateurs, je réponds qu'on ne vous a cité les nations voisines que pour vous prouver que cette institution est praticable. Il est certain qu'elle est utile, qu'elle est précieuse pour la liberté publique et pour la liberté individuelle. Est-elle sans inconvéniens? Voilà le problème qu'il faut résoudre. L'établissement des jurés en matière criminelle éprouvera peu d'obstacles; le fait s'y distingue facilement de l'application de la loi. En matière civile, il ne faut pas se dissimuler les objections. On vous a dit: Craignez de compromettre cette belle institution. Si elle peut être compromise, sans doute il faut différer. Je désirerais, comme le préopinant, un plan de jury tellement arrêté, que les opinions puissent se former et les idées se fixer. Un projet vous a été présenté; il n'a point été lu ; on nous l'a imprimé, distribué: c'est celui de M. l'abbé Sieyès; il mérite bien de fixer l'attention de l'assemblée. Il y a au civil des affaires où le fait se distingue aisément du droit ; le plus souvent le droit et le fait sont confondus; souvent encore le juge a seulement à prononcer sur le point de droit. Voici quelle pourrait être la ligne de démarcation entre les juges et les jurés: le rapport serait fait aux jurés, dont les juges sanctionneraient le jugement... M. l'abbé Sieyès a bien senti la nécessité de passer insensiblement de l'ancien ordre à l'ordre nouveau ; il a proposé un article conçu en ces termes: «Quant à présent, et jusqu'à ce que la France soit purgée des différentes coutumes qui la divisent, et qu'un nouveau Code complet et simple ait été promulgué pour tout le royaume, tous les citoyens connus aujourd'hui sous le nom de gens de loi, et actuellement employés en cette qualité,

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seront, de droit, inscrits sur le tableau des éligibles pour les jurys.

Ce mode me semble plus simple et plus sûr pour franchir un passage aussi difficile: alors les craintes du préopinant seront anéanties; cette belle institution sera assurée, et nullement compromise.]

SÉANCE DU 6 AVRIL.

M. Mongins de Roquefort vote pour l'établissement du jury au criminel seulement.

M. de Saint-Martin demande qu'on décrète le principe du jury en général.

M. Thouret. Établira-t-on le juré? Cette question, dans ses termes vagues et dans l'état de nos opinions connues, n'est pas l'objet d'un débat utile; il me semble que tout le monde veut le juré, mais que tout le monde ne le veut pas de la même manière.

Il faut donc passer à la seconde question, si le juré sera établi tant en matière civile que criminelle, pour trouver le point qui tient les esprits divisés, et qui peut seul fournir des développemens intéressans pour la décision. Il est impossible que ceux qui ne veulent le juré qu'en matière criminelle seulement, et ceux qui ne le rejettent pas au civil d'une manière absolue, mais qui ne trouvent pas le moment actuel favorable à son établissement, s'expliquent sur la première question, sans entrer dans des éclaircissemens qui appartiennent à la seconde.

Vous apercevez déjà, messieurs, quelle est mon opinion; car si je pensais que le juré pût être établi dès à présent dans toutes les parties de notre régime judiciaire, je n'aurais aucun intérêt à vous présenter cette observation.

Je pense qu'il est indispensable d'établir constitutionnellement dans cette session le juré en matière criminelle, et de le mettre en activité aussitôt qu'il sera possible. Il faut l'établir, même dans les tribunaux militaires, et encore pour les délits de la presse, quand ils ne seraient poursuivis qu'au civil.

Je désire sincèrement que le juré puisse être admis par la suite pour toutes les matières civiles : je m'opposerais de toutes

mes forces à toute proposition, à toute rédaction de décret qui pourrait présenter l'idée de son exclusion absolue; mais je pense que le moment n'est pas venu d'en faire un établissement général. C'est même par intérêt pour cette institution que je suis retenu dans cette opinion, persuadé que nous risquons à perdre pour jamais la jouissance du juré, si nous voulons en ce moment la précipiter.

Mon opinion est fondée sur quelques considérations générales qu'il me semble que nous ne devons jamais perdre de vue dans tout le cours de nos délibérations sur l'ordre judiciaire. Je les développerai.

Je tâcherai ensuite de fixer le degré d'intérêt que nous devons attacher à la réintégration du juré dans notre régime judiciaire, parce qu'enfin il est essentiel de s'assurer s'il est, au civil, d'une nécessité si impérieuse ou d'une utilité si pressante, qu'il soit indispensable, pour le conquérir tout à l'heure, d'affronter des dangers présens, qui doivent s'affaiblir, et finir par disparaître tout-à-fait dans la suite.

Je m'expliquerai sur les causes et sur la nature des obstacles qu'il faut redouter dans les circonstances actuelles, dont plusieurs `au moins me semblent indubitables, et qui tiennent à deux principes bien puissans sur le commun des hommes: l'intérêt et l'opinion.

Placé entre l'espérance de l'établissement complet du juré, et l'impossibilité de le voter en ce moment, mon résultat doit être de désirer des tribunaux tellement organisés, qu'ils puissent également servir sans le juré civil d'abord, et ensuite avec lui. J'aurai l'honneur de vous soumettre sur ce point quelques idées de modification au plan du comité.

C'est un grand objet d'intérêt public que celui qui vous occupe en çet instant. Il a dû sans doute enflammer le patriotisme, exciter la plus noble émulation dans le sein de cette assemblée, et y reproduire toutes les conceptions de régime judiciaire qui ont eu lieu dans d'autres temps et chez d'autres peuples. Ne nous

étonnons pas d'avoir entendu sur cette matière des développemens théorétiques qui provoquaient notre assentiment, au moment même où notre raison nous avertissait au moins de le suspendre. La bonne administration de la justice importe tant au bonheur de l'humanité, que tout homme de bien qui se livre à cette contemplation est facilement séduit par l'illusion d'une perfection spéculative qui vient flatter son imagination, en même temps que son cœur en désire la réalité; mais le législateur doit, avant de se déterminer, prendre leçon de la sagesse et de l'expérience; elles lui prescriyent de marcher avec circonspection dans cette carrière délicate, où l'on n'a jamais inquiété impunément la confiance publique.

Il ne s'agit pas ici d'un peuple nouveau, simple dans ses mœurs et dans ses transactions civiles, à qui l'on présente pour la première fois un plan d'ordre judiciaire : c'est une régénération qu'il s'agit de faire chez un peuple ancien. Pour savoir jusqu'à quel point il est permis de changer chez ce peuple les institutions dont il a l'expérience et l'habitude, il faut examiner, 1o quel est l'état de sa législation; 2o quelle est sa situation politique; 3° ce qu'on doit craindre ou espérer de l'opinion.

La législation et l'organisation de la machine judiciaire ont entre elles une correspondance impérieuse et invincible. C'est pour mettre les lois en activité que le régime judiciaire est établi : il faut donc l'assortir à l'esprit, à la nature et à la marche des lois; car si ces deux parties ne sont pas d'accord, le mouvement sera nul ou funeste. On propose ici pour le moment actuel une organisation réduite aux derniers termes de la simplicité, lorsque notre législation est la plus étendue, la plus compliquée, la plus subtile et la plus obscure qu'on puisse imaginer. Ces deux choses sont tellement inconciliables, que l'obstacle qui en résulte ne pourrait être levé que lorsque nos lois seraient simplifiées, éclaircies et mises à la portée de toutes les classes de citoyens; lorsque les livres, les légistes et les praticiens auraient disparu ; lorsque le règne de l'innocence et de la loyauté se serait établi sur les débris du pédantisme et de la charlatanerie du barreau, et lors

qu'enfin la vertu seule donnerait la capacité nécessaire pour

être juge.

Cette perspective qui nous a été présentée est trop séduisante; elle flatte trop l'opinion et les vœux de tout bon citoyen, pour qu'au premier aperçu elle ne produise pas une sorte d'enthousiasme: c'est la sévère et tardive réflexion qui ramène par l'examen à des idées moins riantes, mais plus exactes. Nous voulons sans doute éclaircir, abréger nos lois, et surtout simplifier nos formes: je passe sur le temps que cette grande entreprise exigera; mais il est essentiel de ne pas s'exagérer l'effet de ces réformes. Chez une grande nation, riche, active, industrieuse, et où la civilisation, parvenue à sa dernière période, développera sans cesse les combinaisons infinies qui agitent et croisent tous les intérêts, on aura beau vouloir simplifier la législation, il est impossible qu'elle ne soit pas toujours la matière d'une science étendue, et que la juste application des lois aux cas particuliers ne soit pas un talent difficile, fruit tardif de l'étude et de l'expérience réunies.

Aucune grande société ne peut subsister sans un code de lois variées: partout où il y a un tel code, il est utile qu'il y ait des légistes on en trouve chez tous les peuples civilisés; ils y sont d'autant plus honorés que le peuple est plus libre, plus ami de ses lois, plus soigneux de les conserver.

Ne croyons donc pas que quand nos lois seront simplifiées, nous aurons pour cela une législation très-simple; mais quand cela serait, et quand tous nos codes latins et français, leurs commentaires si funestes, et les répertoires de jurisprudence, plus funestes encore, seraient abrogés et proscrits, ils ne seraient pas pour cela supprimés de fait; ils existeraient plus poudreux qu'ils ne sont à la vérité; mais enfin ils existeraient, et les fausses connaissances dont ils ont infecté tant de bons esprits, subsisteraient encore long-temps dans les têtes qui en sont meublées.

Il arrivera de là ce qui est arrivé du droit romain: quoiqu'il ne fasse pas loi dans les deux tiers de la France, le plaideur y va chercher sinon une loi, au moins un exemple, et très-souvent il

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