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jurés et d'en retarder l'admission: ce serait vouloir mettre contre la vérité et le bonheur public les chances de l'avenir; ce serait s'exposer à entendre dire: Cette assemblée si puissante a vu le bien et n'a pas eu le courage de le faire........› On voudra peut-être que vous laissiez achever à vos successeurs cette utile institution. On peut tout, quand on le veut, quand on a la raison pour soi. Les nations n'ont qu'un moment pour devenir libres ; bientôt nos passions, notre jalousie, pourraient nous diviser sur ce grand objet. Un législateur habile ne manque jamais ces occasions, qui ne reviennent qu'après des siècles.

J'ai cru ne devoir établir ici que les principes et l'assurance de l'exécution de mon plan. J'ai pensé que la première assemblée de l'univers, de laquelle doivent sortir le bonheur et la liberté du monde, devait toujours se maintenir à la hauteur de ces grandes circonstance. J'ai cru que chacun voyant sa vie, son bonheur et sa liberté dans l'organisation judiciaire, devait désirer l'avoir aussi parfaite qu'il serait possible. Vous aurez une justice prompte, facile, et surtout impartiale; vos juges seront honorés, parce qu'ils seront utiles, parce qu'ils seront en petit nombre, parce qu'ils ne seront plus avilis par une hiérarchie absurde; vous aurez une justice et des fois claires, à la portée de chacun; enfin l'organisation du pouvoir judiciaire sera telle, que vous n'en pourrez rien redouter pour la liberté publique, et qu'elle ramènera la loyauté, la franchise et les mœurs. Non, vous ne serez point différens de vous-mêmes; vous n'avez qu'un pas à faire; l'Europe a les yeux sur vous; l'Angleterre surtout voudrait reprendre le droit de vous mépriser. Vous sortirez vainqueurs de cette grande épreuve, où auront brillé votre désintéressement, votre justice et votre sagesse.-M. Duport réunit dans un petit nombre d'articles les idées qu'il a développées dans son discours.

M. Chabroux, député du Dauphiné. Les articles dans lesquels votre comité de constitution vous a présenté le résultat de son travail, ont dû être le résultat de ses principes; les principes de votre comité doivent être les vôtres; sans cela votre comité s'est

fourvoyé, et vous a vous-mêmes exposés à vous fourvoyer. J'ai médité le plan de votre comité, et en le considérant dans son ensemble, j'ai demandé pourquoi il consacrait, dans le nouvel ordre judiciaire, les fondemens de l'ancien. Il m'a semblé que le peuple attendait mieux de nous, et j'oserai dire que ce n'était pas la peine de changer de décoration, si la scène devait demeurer la même. Il n'entre pas dans ma tâche dechercher ce qu'il y avait de défectueux dans l'ancien ordre judiciaire; je pars seulement de ce point: l'ordre judiciaire était mal, et l'opinion publique est derrière vous qui vous commande de le changer: est-il quelqu'un de vous qui ne s'arrête dans l'histoire de notre origine, à l'origine des tribunaux : à peine nos pères sortirent des forêts, ils n'avaient que le bon sens de la nature, et ils surent se donner ces institutions heureuses par lesquelles ils firent aller la justice audevant de tous leurs besoins. A côté de nous un peuple heureux et libre est fier de ses institutions judiciaires, et semble, par le mépris qu'il a pour les nôtres, nous ordonner de faire mieux que lui; et ces philosophes qui nous ont les premiers appris le chemin du bonheur et de la liberté, ces philosophes décriés par toutes les tyrannies, ne doivent-ils pas enfin recevoir la récompense de leur zèle, en nous voyant profiter enfin de leurs lumières? Peut-être ne manque-t-il à plusieurs de ceux qui se sont élevés contre la destruction de l'ancien ordre judiciaire que la volonté d'examiner; s'ils eussent examiné, ils auraient vu que rien n'est plus naturel aux hommes qui ont un grand pouvoir, que la tentation d'en abuser. L'esprit de corps est précisément l'antipode de l'esprit public, vous voulez pourrir l'esprit public, et vous ne le pouvez qu'en instituant des juges d'assises. Ayez des juges d'assises, vous allez réformer à la longue cette milice ef frayante qui environne les tribunaux. Moins d'avocats, moins de procureurs, moins d'assignations, moins de procès. Les voisins s'accorderont, lorsqu'ils auront le temps de réfléchir; ils ne se ruineront pas pour enrichir des gens qui ne vivaient que de leur sang. La fureur de plaider ne sera plus heureusement une maladie intermittente. Vos tribunaux sédentaires sont ouverts à la

corruption; les juges sont environnés de leurs parens, de leurs amis, de leurs habitudes. Ainsi les liaisons des juges avancent ou retardent les jugemens, si elles ne les dictent pas. Ajoutez que, dans les tribunaux sédentaires, les mêmes hommes disposent des preuves et des jugemens. Tous ces dangers disparaissent devant les assises. Sans cette institution, vous aurez en vain décrété la gratuité de la justice; et lorsqu'on voudra discuter franchement, on ne pourra s'opposer à leur établissement. Le problème est de trouver un ordre de choses dans lequel l'arbitraire soit entièrement détruit; car où commence l'arbitraire là finit la liberté. Lorsqu'une action est devant un juge, si le fait est clair, vous n'avez pas besoin de lui; s'il est obscur et compliqué, un mystère environne les opérations de celui qui doit juger, et son opinion particulière commande. Ainsi, quand le droit et le fait sont confondus, le juge abuse du fait contre le droit. Vous devez donc établir des jurés; ces hommes probes seront désignés par leurs concitoyens, inscrits par eux sur une liste honorable, et vous trouverez dans leur sein le premier rempart de votre liberté. Je n'irai pas plus loin, et je conclus qu'ayant aboli l'ancien ordre, les jurés et les assises sont le mieux possible.

Le concours du peuple et du monarque pour l'élection des juges, est, à mon avis, la contradiction la plus formelle des grands principes que vous avez consacrés: on a dit que le pouvoir exécutif doit être un ; mais qu'entend-on par ces mots, il doit être un? veut-on que tous les pouvoirs administratifs soient réunis dans sa main comme un faisceau? Rien n'est plus dangereux que de confier à la même personne le droit de faire exécuter toutes les lois. Il ne faut pas confondre celui qui a le droit de faire la loi avec celui qui a le droit de la faire exécuter. Appeler le pouvoir à intervenir dans l'élection, c'est préparer une ligue entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif; les tribunaux environnent le pouvoir dont ils dépendent d'une apparence légitime; ils déguisent ainsi le joug, et le peuple courbe la tête sans s'en apercevoir. Quelle fut l'origine de la féodalité? On flatta les seigneurs de devenir souverains; ils ne virent pas l'arti

fice, ils furent subjugués, et le peuple fut encore esclave....

Si le roi est gouverné par un Richelieu, et qu'il ait le droit de concourir à l'élection des juges, les victimes sont désignées, et les juges les immolent. C'est pour payer encore un tribut au préjugé que l'on vous a proposé de faire élire par le peuple trois différentes personnes, et de donner au roi le droit de choisir entre les trois : je ne conçois pas comment on peut donner à un roi le droit de choisir un sujet qu'il ne connaît pas, et de donner la préférence à un sujet qu'il ne connaît pas mieux. Le roi des Français est-il donc un enfant qu'il faut amuser avec des hochets? Le peuple est appelé pour choisir un juge; sa confiance repose sur un seul homme, et jamais sur deux : s'il en nomme un second, un troisième, il n'obeira qu'à la forme. Si le roi choisit entre les deux hommes sur lesquels ne portait pas la confiance du peuple, le souverain a contrarié, peut-être sans le vouloir, la volonté du peuple, et le peuple n'est plus libre. D'ailleurs, messieurs, dans cette hypothèse, l'intrigue ferait souvent les juges; et je ne sais si la vénalité secrète, et ensuite la vénalité légale, ne se reproduiraient pas facilement; enfin, je préfère que le blâme d'un mauvais choix ne puisse remonter jusqu'au prince; et je m'élève contre une prérogative illusoire ou dangereuse, qui, sous l'un ou l'autre rapport, doit être abolie : je veux que, par la constitution, le roi ait le droit de veiller à ce que les juges soient les fidèles organes de la loi; ainsi, en même temps que je lui dispute un pouvoir chimérique, je lui en assigne un qui lui assure une véritable grandeur. Je pense donc, contre l'avis du comité, qu'il ne faut pas donner au roi le droit de choisir un juge entre trois hommes déjà nommés; il doit seulement choisir exclusivement les préposés, pour veiller en son nom au maintien de la loi. Je conclus qu'il faut laisser au peuple le droit de nommer ses juges; au roi, celui de nommer ses procureurs.

On a parlé de l'inamovibilité des juges; je crois, moi, que des juges inamovibles empiètent sur les droits du prince et sur ceux du peuple. Un juge inamovible est un être bien redoutable : je ne passerai jamais à côté de lui sans me dire : cet homme a dans ses

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mains mon honneur et ma vie; il peut m'enlever l'un et l'autre, en blessant toutes les règles de la justice. J'aurai le droit de faire contre lui une grande et solennelle accusation; mais enfin, il est inamovible; et par cela même qu'il est inamovible, il peut n'obéir souvent qu'à son opinion injuste ou égarée. Si cet homme n'était point inamovible, il craindrait de perdre un jour la confiance dont il a besoin ; et s'il n'était pas vertueux par principes, il le serait par ambition. La vertu même a besoin d'être aiguillonnée ; et si elle ne se corrompt pas, elle peut s'endormir dans la mollesse. La nature a d'ailleurs partagé la vie humaine en trois âges; le premier est pour l'étude, le second, pour la récolte des fruits de l'étude; le troisième, pour le repos. Si le juge est inamovible, il arrive à ce troisième âge, avec les mêmes pouvoirs qu'il avait reçus du second, et qui devait finir avec lui dès-lors le juge survit à l'homme. J'ai vu plus d'une fois que les hommes qui n'avaient plus la force de connaître de leurs propres affaires, s'arrogeaient le droit de juger celles des autres. Les tribunaux régénérés remédieront à cet inconvénient. Ce n'est pas que je ne désirasse qu'un bon magistrat fût long-temps magistrat : mais le peuple est facile, il peut être trompé; il est juste que les suites d'un choix inconsidéré aient un terme prochain. On a dit, pour soutenir l'inamovibilité, que la profession de juge exigeait de longues études; qu'on ne serait bon magistrat qu'après avoir étudié long-temps je vous prie de considérer qu'on étudie les lois pour devenir jurisconsulte, que de jurisconsulte on devient magistrat ; mais qu'il me semble qu'on applique légèrement aux magistratures électives ce qui ne convenait qu'à de la magistrature inamovible. Dans le nouvel ordre de choses, un jeune homme ne dira pas, je me fais juge, comme son camarade disait, je me fais marchand. Il verra les choix du peuple dans la carrière des places de magistrature comme des accidens honorables qui ne devront jamais être le terme de l'étude, parce qu'ils ne pourront jamais être celui de la confiance. Le présent de l'inamovibilité est l'éteignoir de l'ambition de s'éclairer si le peuple s'est trompé dans son choix, l'homme inamovible sera constamment ignorant et oisif, parce qu'il aura le droit de l'être impunément. D'ailleurs, mes

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