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peser sur chacun d'eux, sans tenir compte d'aucun privilége. Vis-à-vis des moines, le sentiment de l'égalité l'emportait alors chez les montagnards, tout religieux qu'ils étaient, sur celui de la vénération.

Il est même permis de penser que l'état de perturbation où la rupture entre l'Empereur et le Pape (1239) jeta bientôt la société et les consciences, se fit sentir à Uri, et que là. comme dans les vallées voisines, l'amour de l'indépendance gagna à la cause de Frédéric II plus de partisans qu'à celle de l'Église. Qu'il en fut ainsi à Schwyz et à Unterwalden, c'est ce que nous apprennent des documents authentiques, comme nous le verrons plus loin; qu'il en fut ainsi à Uri, c'est ce que d'autres documents authentiques nous autorisent à conjecturer. Quand on voit, à deux reprises (1244 et 1247), le pape Innocent IV, ce grand adversaire des Hohenstaufen, prendre sous sa haute protection les biens que l'abbesse de Zurich possède à Uri, on est tout naturellement conduit à penser que les gens de la vallée ne se montraient pas plus disposés à respecter les prérogatives de l'abbaye, que les immunités du couvent de Wettingen. En cherchant, pour s'affranchir de plus en plus, à profiter du divorce survenu entre les deux maîtres du monde, ils prenaient parti pour l'Empereur, parce que c'était de l'Empire qu'ils tenaient leurs libertés, et ils se comportaient durement envers l'Église, parce que c'était l'Église dont les priviléges entravaient leur indépendance. Cet antagonisme et cette préférence éclatent avec une irrésistible évidence dans l'histoire du peuple de Schwyz, chez lequel apparaissent toujours, marqués d'une plus forte empreinte, les traits qui lui sont communs avec ses voisins d'Uri et d'Unterwalden.

C'est ainsi que, jusque dans les derniers recoins des Alpes. la lutte qui ébranlait la chrétienté tout entière portait ses contre-coups, et ce désordre social, que vint aggraver. après la chute des Hohenstaufen (1254), l'impossibilité de donner à l'Empire un chef reconnu de tous, se trahit dans la petite vallée d'Uri, soit par les précautions de défense que l'on se croyait obligé de prendre à l'intérieur même du pays, soit par de violents conflits entre des factions intestines, qui expliquent et justifient ces mesures de sécurité. En 1248, un citoyen d'Uri, Conrad Niemierschin, appuyé par bon nombre d'habitants de la vallée, et par les hommes de Wettingen en particulier, obtient des religieux de ce monastère qu'ils lui inféodent, sa vie durant, une métairie et une tour qu'ils possèdent à Schaddorf, et que lui-même se propose de transformer en une forteresse (municionem). afin de se garantir de toute agression dirigée contre sa personne et d'offrir, en outre, un asile aux moines ou aux ressortissants de Wettingen, dans le cas où quelque sédition les mettrait en danger. Il s'engage, du reste, à ne jamais. se servir de sa maison forte au détriment de la paix publique 6.

Celle-ci n'en fut pas moins brutalement troublée, neuf ans après, par ces dissensions intérieures dont la perspective avait motivé la construction des fortifications de Schaddorf. Deux familles nombreuses, les Izeli et les Gruoba, en étaient venues aux mains, le sang avait coulé, des citoyens avaient péri, la paix du pays était compromise. Ce fut, pour la rétablir, en opérant la réconciliation des deux parties. que, le 23 décembre 1257, le comte Rodolphe de Habsbourg, chef de la branche aînée de sa maison, intervint, sur la demande et avec le concours de la commune elle-même

(mit der Lantlüte von Uren Bitte und Rate). Un accord (Sühne) fut conclu qui, sous peine d'excommunication et de bannissement (Reichsacht), obligeait les membres de chaque parti à s'abstenir dorénavant de toute hostilité. Cela n'empêcha pas que, dès l'année suivante, cet accord fut violé par un attentat dont la faction des Izeli (Izelinus et complices) se rendit coupable. Le comte Rodolphe intervint de nouveau et rendit une sentence dans laquelle, « avec le consentement et le concours de la communauté de la vallée d'Uri » (cum consensu et conniventiâ universitatis vallis Urania), il déclare les parjures déchus de tous les biens qu'ils tenaient en fief de l'abbaye de Zurich et qui font retour à celle-ci. Il paraît que cette énergique répression mit un terme aux troubles intérieurs qui désolaient Uri; mais il reste à savoir en quelle qualité agit, dans les deux cas, le comte de Habsbourg, concuremment avec les gens de la vallée. Le rôle de ceux-ci s'explique par tout ce que nous avons dit de leurs progressives conquêtes vers l'autonomie; le rôle du comte, qui montre que cette autonomie n'est cependant pas suffisante pour tout régler dans leur propre territoire, comment s'explique-t-il?

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Rodolphe de Habsbourg ne prend, en tête de l'une et de l'autre sentence, d'autre titre que celui de Landgrave d'Alsace; mais il est évident que ce n'est pas en cette qualité qu'il tient les assises « sur la place, » et, « sous le tilleul d'Altorf (an der Gebreitun sub tilia). Ce ne peut pas être davantage en qualité de comte du Zurichgau, puisque Uri est exempté de cette juridiction. Est-ce comme avoué ou bailli impérial? C'est bien là, en effet, ce que semblent indiquer, soit la mise au ban de l'Empire dont il menace les délinquants, soit la protection spéciale qu'il accorde au

couvent de Zurich que Frédéric II avait placé sous la sauvegarde immédiate de l'Empire. Mais cet Empire, il est alors vacant, ou du moins déchiré par un schisme politique qui ne permet pas à Rodolphe d'intervenir comme son délégué d'une manière parfaitement légale, même sur la réquisition des gens d'Uri. Il est probable que ce n'est pas, en effet, dans la légalité stricte qu'il faut chercher le motif et la justification de son intervention. Peut-être sous les Hohenstaufen, dont il avait épousé les intérêts avec un zèle qui lui valut l'excommunication du Pape, le comte Rodolphe avait-il rempli dans la vallée d'Uri les fonctions d'avoué impérial. Peut-être la communauté, qui ne possédait pas le droit de rendre seule des jugements criminels, implora-t-elle, pour faire cesser l'anarchie dans son sein, l'assistance de celui qu'elle avait auparavant appris à respecter comme le représentant de l'autorité suprême. En tout cas, les gens d'Uri avaient entretenu avec le comte de Habsbourg de bien affectueux rapports, pour que, à peine monté sur le trône (1273), il pût leur écrire que « le souvenir de la bienveillante placidité (graciosa placiditas), dont ils lui avaient donné tant de preuves, ne sortirait jamais de sa mémoire. » Intéressant témoignage rendu au caractère de cette population, et qui s'accorde bien avec tout ce que le passé, avec ce que le présent même nous apprend sur la nature placide, en effet, et paisible, quoique énergique, de ses sentiments et de ses mœurs.

Mais ce qui, pour nous, n'est pas d'un moins vif intérêt, c'est d'avoir pu constater, avec une évidence incontestable, les progrès faits par le peuple d'Uri vers son émancipation politique. Nous en avons donné les principales preuves; ajoutons que, dès 1243, on voit le sceau officiel de la com

munauté apposé sur des actes, dans lesquels elle intervient, entre des tiers, seule ou avec l'abbesse de Zurich, comme garant ou témoin de transactions privées. Dans les sentences rendues en 1257 et 1258 par le comte de Habsbourg, le sceau des gens d'Uri était placé à côté du sien. L'emploi de ce signe d'affranchissement municipal, emprunté aux villes de Lombardie, ne se montre pas en Suisse, pour les communautés bourgeoises, avant les premières années du treizième siècle; celui d'Uri est, chez les Waldstätten, de beaucoup le plus ancien. Son apparition coïncide exactement avec l'époque où nous avons fixé, pour cette vallée. la date de l'affranchissement dont il est le symbole .

Tout concourt, en conséquence, durant les quarante-trois ans qui séparent le rescrit royal donné par Henri (VII) à Uri, du rescrit semblable qui lui fut octroyé par Rodolphe de Habsbourg devenu roi d'Allemagne, tout concourt à attester l'existence et le développement de l'autonomie réelle, quoique restreinte, de ce petit coin de terre, où de bien minimes intérêts n'en représentaient pas moins une grande idée, car c'est par elle-même, plus encore que par les objets auxquels elle s'applique, que se mesure la liberté. Comme les chefs-d'œuvre de la nature, elle est aussi digne d'admiration dans l'infiniment petit que dans l'infiniment grand; une poignée d'hommes peut aussi bien en conserver le culte et en donner l'exemple, que les plus vastes sociétés politiques. Poursuivons donc un récit dont l'intérêt ne peut se soutenir qu'en ne perdant jamais de vue qu'il y a ici en jeu plus que le simple grossissement matériel d'un objet microscopique.

Rien ne prouve mieux combien étaient profondes les racines déjà poussées par la liberté sur le sol d'Uri, que la

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