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Suevorum qui et Allemanni dicuntur), par l'empereur Conrad II, vint encore donner raison aux moines contre les comtes de Lenzbourg et les gens de Schwyz. Ces derniers sont appelés, dans le texte du décret, « ceux qui habitent et possèdent le village de Schwyz » (qui in villa Suites habitant et ejusdem villæ possessores). Dans les deux cas, chacun des Empereurs s'autorisait, pour justifier son verdict, du droit inhérent à l'autorité impériale de disposer, selon son gré, de toutes les terres en friche, des forêts non exploitées et des territoires déserts 17.

De quelque côté que, dans cette querelle, fût la bonne cause, et quels que fussent, des religieux ou des laïques, les vrais coupables du délit d'empiétement, ce n'est pas là qu'est pour nous l'intérêt du débat. Cet intérêt résulte du rôle indépendant que jouent les citoyens ou les possesseurs de Schwyz et de la position qu'ils occupent à côté des comtes de Lenzbourg, comme parties au procès. C'est, en effet, à titre d'associés (competitores), et non de subordonnés de ces puissants seigneurs, qu'ils sont mentionnés dans les actes impériaux; ils ont, les uns et les autres, indûment cherché à arrondir leurs propriétés aux dépens de celles du couvent, et c'est cette faute commune qui les rapproche et leur vaut une égale censure. Encore faut-il observer que l'un des Lenzbourg, Rodolphe, étant accusé d'avoir été plus loin que les autres envahisseurs (maxime Rudolfus comes infringere conatus est), est puni, pour son propre compte, d'une manière particulière. Les hommes de Schwyz semblent donc être sur le pied d'une certaine égalité, soit avec le couvent impérial d'Einsiedeln, soit avec les principaux seigneurs laïques du voisinage.

Cette situation était pour eux un motif de ne point se

soumettre à un arrangement territorial qui, dans leur opinion, lésait des droits de propriété que leur avaient légués leurs ancêtres. Les documents historiques nous font, il est vrai, défaut pendant près de quatre-vingts ans; mais le premier acte écrit qui, dans l'ordre successif des dates, nous reparle des Schwyzois, les montre encore aux prises avec leur voisins d'Einsiedeln. Ce perpétuel antagonisme dénote chez les gens de Schwyz, comme chez ceux d'Uri, une persistance frappante dans le sentiment de leurs droits, et une disposition marquée à les faire prévaloir par l'emploi de la force. Les lieux qui étaient le théâtre, comme l'objet, de ces luttes violentes répondaient bien, par leur âpre nature et leur caractère sauvage, à la rudesse et à l'obstination des Schwyzois. On se battait, pour des forêts et des alpages, dans la montueuse région où prennent leur source l'Alpbach et la Sihl, et qui s'étend derrière les Mythen entre Schwyz et Einsiedeln. Souvent les seigneurs de Raperschwyl, avoués du couvent, usèrent contre les libres paysans de représailles sanglantes. Enfin, après une guerre de trois années, où il y eut, des deux parts, beaucoup de pertes subies et de méfaits commis, les adversaires s'entendirent pour remettre l'arbitrage de leurs différends au comte de Habsbourg, Rodolphe le Vieux, celui-là même auquel, comme nous l'avons vu, l'empereur Frédéric II avait inféodé et le roi Henri (VII) avait racheté la vallée d'Uri. Ce commun arbitre rendit, le 11 juin 1217, une sentence plus favorable aux prétentions des gens de Schwyz (Lantlüte von Schwitz), que ne l'avaient été les pré. cédentes décisions des empereurs Henri IV et Conrad II 18.

Mais cette sentence même n'eut pas le privilége de mettre un terme à des querelles que nous retrouverons encore

sur notre chemin, et c'est moins le dispositif que les considérants du jugement arbitral qui doivent attirer notre attention. Le dispositif, en effet, n'a pour conséquence que de régler provisoirement le côté matériel du débat, tandis que les considérants contiennent, sur les motifs qui ont fait choisir pour arbitre le comte de Habsbourg, des informations qu'il nous importe de recueillir et d'examiner. Nous nous trouvons ici en présence d'une question qui touche de près à l'origine de la liberté politique des habitants de Schwyz, et qui, durant tout un siècle, reste indécise entre eux et la maison de Habsbourg. Elle mérite bien de nous arrêter quelques instants.

D'après le document que nous venons de citer et qui fut rédigé au nom du comte Rodolphe, nous apprenons que, si ce prince s'est trouvé appelé à intervenir dans la querelle entre Einsiedeln et les Schwyzois, c'est que les deux partis l'ont choisi pour arbitre, « parce que je suis, dit-il, en vertu d'une légitime transmission héréditaire, avoué et protecteur légal des gens de Schwyz. » Il s'exprime ailleurs dans les mêmes termes lorsqu'il dit : « Les gens de Schwyz sont venus se plaindre à moi en pleurant, comme à leur avoué et protecteur légal, de ce qu'on portait atteinte à leurs droits héréditaires et à leur liberté. » Que signifient donc ces expressions deux fois réitérées, et à quel genre de rapports entre le comte de Habsbourg et les hommes de Schwyz font-elles allusion?

S'agit-il d'une souveraineté particulière, comme celle que Rodolphe devait momentanément exercer, ainsi que nous l'avons vu, sur le pays d'Uri, et que ses auteurs lui auraient transmise sur celui de Schwyz? S'agit-il des obligations attachées à l'office du comte du Zurichgau, dont

Rodolphe était héréditairement investi et qui plaçait les Schwyzois sous sa juridiction et sous sa garde? S'agit-il simplement, comme c'est le cas pour les expressions identiques employées dans le même document afin de désigner la position des seigneurs de Raperschwyl à l'égard d'Einsiedeln, - s'agit-il simplement d'un rôle de défense et de tutelle pris par le comte de Habsbourg, à l'exemple de ses prédécesseurs, sur l'expresse demande des intéressés?

De ces trois suppositions, les seules entre lesquelles on puisse choisir, nous croyons qu'on doit préférer la dernière. En effet, les Schwyzois sollicitent Rodolphe de protéger leurs biens et leur liberté qui sont en péril, et ils sont représentés au débat par des témoins qui tiennent leur place, ce qui ne s'expliquerait guère si, selon la première hypothèse, ils avaient agi comme sujets du comte, ou, selon la seconde, comme ses administrés. Dans l'un et l'autre cas, c'eût été à lui d'intervenir spontanément, et il ne pouvait accepter le rôle d'arbitre entre ses subordonnés et leur partie adverse. Or, d'après ses propres paroles, on est venu des deux parts librement solliciter son intervention, à laquelle on s'est ensuite librement soumis. Il ne s'est point imposé lui-même et rien ne trahit, en ce qui le concerne, l'exercice d'une autorité officielle. Aussi ne se désigne-t-il point par le nom de son comté, comme il l'aurait fait, sans doute, si c'était en qualité de chef de cette circonscription politique qu'il fût intervenu dans le procès. Il dit expressément, au contraire, qu'il intervient à titre de « protecteur, et il n'y a aucun motif de s'écarter du sens naturel qu'éveille ce mot.

De même que plus d'une ville réclamait alors, dans des conjonctures difficiles, la protection momentanée d'un sei

gneur puissant, sans prétendre aliéner ses libertés intérieures, quoiqu'elle les compromît ainsi quelquefois, de même les Schwyzois revendiquaient aussi le protectorat du comte Rodolphe, héritier des Lenzbourg, leurs précédents défenseurs, pour mettre un terme à des conflits prolongés, sans qu'il dût en résulter nécessairement pour eux un état particulier de sujétion et de servitude.

Nous ne voulons pas dire, cependant, qu'ils fussent alors en possession d'une pleine indépendance et de la liberté politique proprement dite. Outre qu'ils étaient soumis, comme nous l'avons fait observer, à la juridiction administrative du Zurichgau, exercée par le comte de Habsbourg, il est probable que celui-ci possédait de plus sur eux, comme « avoué et protecteur légal, » certains droits qui les mettaient plus ou moins dans sa dépendance sans les assujettir absolument à sa domination. Ils n'étaient pas assez forts pour se dispenser de reconnaître les services qui leur étaient rendus, et la fable du cheval voulant se venger du cerf menaçait de devenir leur propre histoire, car ils donnaient prise sur eux à un dangereux patron. Les dignités dont la maison de Habsbourg était investie, les grandes propriétés en hommes et en terres qu'elle possédait dans la vallée de Schwyz semblaient rendre entre elle et les libres paysans la partie bien inégale. Cette partie engagée, d'un côté, pour la défense d'une liberté mal définie, et, de l'autre, pour l'extension d'une autorité indéterminée et envahissante, provoqua la lutte dont l'issue aboutit à la victoire du Morgarten. C'est le récit des vicissitudes et des péripéties de cet antagonisme, où Schwyz eut pour modèles, pour auxiliaires et pour imitateurs ses voisins des deux autres Waldstätten, qui forme la portion principale de l'histoire que nous ten

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