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et les immunités dont elle jouissait, en vertu de la donation de Louis le Germanique, mais encore la libre propriété, aux mêmes conditions, d'acquisitions nouvelles faites par le couvent. Dans le nombre de ces acquisitions, se trouvent deux localités de la vallée d'Uri, Bürglen et Silenen, qui ont été achetées, dit le roi, « toutes les deux en notre présence 3. » Ceci est une des preuves qui démontrent qu'une portion seulement de la vallée avait été originairement concédée au monastère de St-Félix et Ste-Régula, et que les abbesses de celui-ci cherchaient, selon le conseil de Louis le Germanique, à y arrondir leur domaine. Mais les agrandissements qu'il reçut n'embrassèrent jamais tout l'ensemble du pays, et, à côté des propriétés de l'abbaye, il en subsista constamment d'autres, peu nombreuses il est vrai, entre les mains de grands et de petits propriétaires, laïques ou religieux, roturiers ou nobles".

Voilà, quant à l'état général du pays d'Uri, pendant la première période de son histoire, tout ce que l'on peut savoir, ou, pour mieux dire, tout ce que l'on peut légitimement conjecturer. Les événements proprement dits, les incidents de la vie publique font, en revanche, presque entièrement défaut. Une discussion entre les habitants de la vallée et l'abbesse de Zurich, au dixième siècle; un litige entre eux et les gens de Glaris à la fin du douzième ; c'est tout ce que les documents historiques nous révèlent, pendant cette longue période, sur l'existence de la chétive peuplade, dont les annales ont presque toujours été aussi stériles que le sol même qu'elle occupe. Dans les deux occasions dont nous venons de parler, c'est la défense de leurs droits qui met en scène les gens d'Uri, et, quoique l'objet ne soit pas d'un ordre bien relevé,

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s'agit, d'un côté, que de redevances agricoles, et, de l'autre, que de limites tracées dans les hautes régions des Alpes, où ne se hasardent encore aujourd'hui que de hardis chasseurs de chamois, ces droits n'en sont pas moins ceux qu'avait le plus à cœur cette population de pâtres. La fermeté avec laquelle elle maintient, soit vis-à-vis des prétentions de ses supérieurs, soit vis-à-vis des empiétements de ses voisins, ce qu'elle regarde comme ses biens légitimes et héréditaires, cette fermeté dénote à la fois un esprit foncièrement indépendant et un sentiment très-vif des intérêts communs. A ces traits, on reconnaît les ancêtres des futurs fondateurs d'une libre confédération.

Voici, en peu de mots, les deux incidents qui, comme un rayon de lumière pénétrant dans une obscure caverne, illuminent d'une passagère lueur l'histoire d'Uri en ces temps reculés. L'an 995, Burchard, avoué de l'abbesse de Zurich, réclamait des habitants de la vallée (inhabitantes Uronia) le paiement d'une dîme. Ceux-ci, par l'organe de deux des leurs, Cumpold et Liute rich, repoussèrent les prétentions de l'avoué, en invoquant les droits et les lois de leurs pères (patrum nostrorum jure et lege), c'est-àdire cette tradition juridique du droit coutumier, dont nous avons parlé plus haut. Toutefois, ils consentent à «< amener eux-mêmes dans les granges du couvent, pour en nourrir jusqu'à la mi-mai les animaux donnés en dîme, la dixième partie des foins récoltés dans les lieux où ne peuvent arriver ni chars, ni chevaux. » Ils font dresser à cette occasion, afin de préciser les obligations mutuelles, un acte en bonne et due forme passé à Uri, en présence de dixneuf témoins, dont les noms, comme ceux de Cumpold et de Liuterich, ont une physionomie essentiellement germa

nique. Aussi est-il difficile, pour le dire en passant, de n'y pas reconnaître l'un des signes de l'origine allémanique de cette population, dont le caractère tenace et les mœurs rustiques se laissent, de même, si clairement entrevoir sous l'aride langage d'un document officiel ".

Vers la fin du douzième siècle, en 1196, à la suite de conflits qui paraissent avoir existé de longue date entre les gens d'Uri et ceux de Glaris, relativement à des rectifications de frontières sur les confins du Schächenthal et de la vallée de la Linth, un compromis intervient, auquel le comte palatin de Bourgogne, Othon, fils de l'empereur Frédéric Barberousse, accorde sa ratification, « parce qu'il est, dit-il, l'avoué des Glaronais.» (quia ipse est advocatus Claronensium). La vallée de Glaris était, comme celle d'Uri, une propriété ecclésiastique, qui appartenait au couvent des religieuses de Seckingen, et dont l'avouerie se trouvait entre les mains du comte Othon. C'est ce qui explique l'intervention de celui-ci, destinée à sanctionner une transaction que les ressortissants de Seckingen n'avaient pas seuls l'autorité de conclure. Il aurait dû en être de même pour Uri; mais ce qui semble indiquer que tel n'a cependant pas été le cas, et que les habitants de la vallée ont pu stipuler pour leur propre compte, sans avoir besoin d'une ratification supérieure, c'est que le diplôme du fils de l'empereur ne fait aucune mention de celle-ci, et tient en conséquence pour suffisante l'adhésion des gens d'Uri. Il en résulterait, comme dans le cas précédemment cité, qu'ils avaient assez pris l'habitude de s'entendre sur la défense de leurs intérêts, pour que l'on consentît, d'une part, à leur permettre de les régler en commun, et, de l'autre, à traiter directement avec eux sans ultérieure sanction 8.

Ce n'est pas à dire, néanmoins, qu'ils fussent déjà entrés en possession des droits constitutifs d'une véritable commune, et qu'ils eussent obtenu le privilége de se gouverner intérieurement eux-mêmes, comme les villes qui, dans l'Empire, possédaient la prérogative d'un régime municipal indépendant. Au début du treizième siècle (1210), nous les trouvons encore, vis-à-vis de l'abbaye de Zurich, dans la même condition légale où les avait placés la charte de Louis le Germanique. Il est probable toutefois que, grâce à leur éloignement du couvent suzerain et au relâchement naturel des liens de subordination vis-à-vis d'un monastère de femmes, dont les droits immédiats étaient exercés dans la vallée d'Uri par des employés pris sur les lieux mêmes, il leur était possible d'agir avec une sorte d'autonomie dans les affaires d'un intérêt purement local. Cette autonomie, exercée par l'ensemble ou les représentants de la population, avait eu probablement pour point de départ une organisation analogue à celle qui se montre, à cette époque, sur divers points de l'Empire, et qui consistait à réunir en une même corporation rurale (Markgenossenschaft) les copropriétaires des biens communaux ". Les circonstances particulières où se trouvait la vallée d'Uri lui permirent de profiter, mieux qu'on ne put le faire ailleurs, de ces rudiments d'indépendance et concoururent à préparer son entier affranchissement.

Cependant, avant de faire dans cette carrière de nouveaux pas, la petite peuplade se vit sur le point de perdre les faibles conquêtes qu'elle avait déjà faites, et d'échanger la liberté que la suzeraineté bénévole des abbesses de Zurich lui laissait entrevoir, contre la servitude dont un maître plus redoutable menaçait, sous les apparences d'une

protection généreuse, ces abbesses mêmes et leurs ressortissants. Ce maître, c'était l'avoué du monastère, Berthold V, duc de Zähringen, qui, marchant sur les traces de plus d'un des princes de son temps, se comportait envers l'abbaye de Zurich, moins en fidèle protecteur qu'en souverain superbe. Tirant de son double titre de bailli impérial et d'avoué du couvent la prétention de gouverner, comme sa propre chose, tout le domaine temporel de la maison religieuse qu'il appelait « son monastère» (abbatiæ nostræ), il aurait probablement préparé pour sa famille, s'il n'en eût pas été le dernier membre, une domination qui, dans le pays d'Uri en particulier, aurait eu comme conséquence de transformer les ressortissants, plus ou moins libres, d'une abbaye, en sujets d'un prince 1o.

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C'est ce danger que sa mort, survenue en 1218, fit disparaître pour le couvent de Zurich et pour les territoires de sa dépendance. L'empereur Frédéric II les prit, en effet, sous sa protection immédiate, et il s'attribua à luimême l'avouerie ecclésiastique, qui devait rester à perpétuité entre les mains de ses successeurs 11. Uri se serait ainsi trouvé placé sous la souveraineté directe de l'Empire, ce qui était alors regardé comme équivalant à un entier affranchissement politique, car relever de l'empire c'était en fait, sinon en droit, ne relever guère que de soi-même, puisqu'une communauté acquérait ainsi, ou finissait par acquérir tôt ou tard, le privilége de s'administrer librement par des magistrats tirés de son propre sein. L'exercice de la haute justice et le droit d'exiger, avec un court service militaire, le paiement d'un impôt étaient les seules réserves faites au profit du chef de l'Empire 12.

Toutefois, les gens d'Uri ne paraissent pas avoir acquis

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