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LES ORIGINES

DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE

SECONDE PARTIE
LA LÉGENDE

Nous avons raconté, d'après les seuls témoignages que la recherche de la vérité historique permette d'invoquer, les origines de la Confédération suisse. Nous ne saurions où trouver, en dehors des documents authentiques (trop peu nombreux), que le temps nous a conservés, et des récits contemporains (plus rares encore), qui sont parvenus jusqu'à nous, les sources de cette histoire. Nous devrions, par conséquent, tenir notre tâche pour achevée, et, tout en regrettant de n'avoir eu, pour la remplir, que d'insuffisants matériaux, nous féliciter cependant d'en avoir pu tirer, par une interprétation légitime, l'esquisse, sinon le tableau des vicissitudes qui ont précédé et favorisé la naissance de la liberté helvétique.

Mais cette esquisse, nous ne l'ignorons pas, et nos lecteurs

s'en sont bien aperçus, diffère trop, par les traits qu'elle renferme et par ceux qu'elle omet, des souvenirs que la tradition nationale a rendus inséparables du berceau de la Confédération, pour que nous puissions n'en point prendre

souci.

Eh quoi! pas un mot de l'origine particulière de ces agrestes peuplades, pas un mot de l'antique et immémoriale liberté des trois vallées, pas un mot de l'usurpation et de la tyrannie de l'Autriche, pas un mot des actes de cruauté, de luxure, de convoitise de ses baillis, pas un mot du serment du Grütli, pas un mot de Gessler, pas un mot de Guillaume Tell! Que faudra-t-il croire, si de tout cela rien n'est vrai? Et si tout cela n'est pas vrai, comment l'a-t-on cru? Nous avons voulu répondre à la première question dans le récit qui précède. Nous allons chercher à répondre à la seconde dans l'examen qui va suivre.

C'est un fait commun à tous les peuples, quand ils ont atteint un certain degré de prospérité et qu'un long intervalle les sépare de leurs origines nationales, d'entourer ces origines d'une sorte d'auréole imaginaire qui dissimule le vrai caractère de leurs débuts en ce monde, et enveloppe dans le voile du merveilleux leurs humbles commencements. Thucydide et Tite-Live signalaient déjà, le premier pour s'y soustraire, le second pour s'y soumettre, cette disposition rétrospective de l'orgueil national, et toutes les chroni ques du moyen âge s'efforcent à l'envi d'embellir, par des fables plus ou moins plausibles, l'origine des peuples dont elles racontent les destinées, soit qu'il s'agisse de nations devenues illustres ou de simples cités sans grand renom.

La légende est partout assise au berceau de l'histoire. On la retrouve, de même, presque toujours mêlée au récit

des événements qui ont déterminé une crise et comme provoqué une nouvelle naissance dans la vie des peuples. L'imagination s'empare de ces moments critiques, et elle se plaît à leur imprimer je ne sais quelle physionomie particulière, qui corresponde, tant bien que mal, à leur importance exceptionnelle. Ce n'est jamais qu'après un certain temps et lorsque la mémoire immédiate des faits a disparu, que cette imagination légendaire se met à l'œuvre. Non-seulement elle opère, par sa nature même, en dehors de toutes les règles de la critique et sans tenir compte de la réalité, mais encore, plus est grande la distance où elle se trouve des événements et plus les moyens de contrôle font défaut, plus aussi elle se donne libre carrière.

Que ce soit l'opinion populaire qui, sous l'impression de sentiments exaltés, embellisse, poétise et transfigure le passé par des inventions de son crû ou par l'imitation de traditions étrangères, ou bien que ce soient des individus isolés qui, de leur propre fait, mettent en circulation, dans une population disposée à les accueillir, des récits imaginaires ou empruntés, ces deux procédés divers produisent des résultats semblables. Non-seulement la légende est née, mais elle a encore trouvé un terrain favorable pour vivre et prospérer; comme elle n'a pu naître, en effet, qu'en raison même de l'ignorance où l'on était sur le vrai caractère des temps auxquels elle s'applique, elle emprunte à cette ignorance, pour se répandre et s'enraciner, une force nouvelle.

Mais, en revanche, elle devient, pour l'historien, d'autant plus suspecte, qu'elle se montre associée, lorsqu'elle paraît pour la première fois, à l'évident oubli des faits les mieux attestés par les témoignages historiques. Elle perd

alors tout droit à être envisagée comme une de ces traditions qui, bien que privées d'authenticité, demeurent cependant dignes de créance, parce qu'elles sont en accord avec les autres monuments des temps auxquels elles se rapportent. Quand la légende vient, de son crayon trompeur, dessiner une image de fantaisie à côté ou à la place des portraits que des renseignements incontestables ont permis d'esquisser, c'est l'image fantastique qu'il faut sacrifier, ce n'est pas le portrait qu'il faut travestir.

On contestera peu ces remarques générales. Comme pour toutes les vérités de cet ordre, les divergences ne surgissent qu'à l'application. Appliquons donc à ce qui concerne l'histoire des origines de la Confédération suisse les observations précédentes, et rendons-nous compte de l'introduction, dans cette histoire, des éléments qu'a créés la légende et qu'il faut lui restituer.

I.

LES TÉMOIGNAGES CONTEMPORAINS.

Au moment où les confédérés combattaient au Morgarten, il n'existait, autant que nous pouvons le savoir, pas une seule ligne qui racontât l'histoire de leur passé. Les uniques documents où l'on pût en rechercher les traces étaient les actes qui, à diverses époques, avaient servi à régler les transactions de droit public et de droit privé relatives aux communautés des trois vallées ou à leurs ressortissants. Plusieurs de ces actes subsistent encore et for

ment l'unique source dans laquelle l'historien peut puiser la connaissance authentique et certaine de la période qui précéda et amena la fondation définitive de la Confédération. Nous les avons scrupuleusement consultés et suivis dans notre exposition historique, et c'est pour cela que l'on ne retrouve dans celle-ci aucune trace des faits que la tradition nationale perpétue et que les documents non-seulement ignorent, mais démentent péremptoirement.

Rappelons d'abord, en quelques mots, les traits généraux de cette tradition, telle que l'ont faite les développements successifs qu'elle a reçus :

« Les habitants des Waldstätten appartiennent à une race du Nord distincte des populations voisines, et ils ont possédé de temps immémorial une pleine indépendance, dont ils ont joui, sauf les concessions qu'il leur plaisait de faire à l'Empire, jusqu'au moment où le roi Albert d'Autriche a tenté de la leur ravir, en soumettant les trois vallées d'Uri, de Schwyz et d'Unterwalden à une intolérable oppression. Un bailli, nommé Gessler, par ses entreprises et par ses menaces, a semé le mécontentement au milieu de ces populations paisibles, et, poussant même la tyrannie jusqu'à la démence, il a forcé Guillaume Tell d'Uri, qui s'était refusé à lui rendre un puéril hommage, à décocher une flèche contre une pomme placée sur la tête de son enfant; mais il a payé de sa vie ce malfaisant caprice. Un autre bailli autrichien, nommé Landenberg, a fait, par un caprice semblable, crever les yeux à un paysan de l'Unterwalden dont il voulait s'approprier les boeufs; son lieutenant Wolfenschiess, ayant tenté de déshonorer la femme d'un paysan, a péri sous la hache du mari. L'irritation contre tant de méfaits a donné naissance à une conjuration où trois confédérés,

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