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quel un seul agresseur peut passer à la fois. Nous refusons ce secours, qui ne convient pas à des moines, et nous nous en remettons à la volonté de Dieu. Les envahisseurs, ne rencontrant nul obstacle, se précipitent sur nous; nous les accueillons par des paroles de paix. «Il ne s'agit pas de vous ôter la vie, répond l'un d'eux; notre chef nous a seulement commandé de nous emparer de vos personnes et de vos biens. » Heureux d'en être quittes à ce prix, nous les suivons sans résistance, et l'on nous conduit dans une maison particulière qui devient notre prison.

« C'est là qu'une nouvelle troupe ennemie, récemment arrivée et qui ne trouvait pas à manger, se porte avec fureur, réclamant sa part du butin et des prisonniers. Une violente querelle s'élève alors entre nos gardiens et les nouveaux venus, et nous voyons le moment où c'est nous qui serons victimes de ce combat pour le partage de nos dépouilles. Mais bientôt le tumulte s'apaise et le chef de l'expédition, qui est lui-même venu nous prendre, donne le signal du départ. Laissant derrière lui les religieux âgés ou malades, il ordonne de former des autres moines, des serviteurs du couvent et du bétail, trois convois différents. C'est en vain que les femmes, dont on emmène les maris, font retentir l'air de leurs gémissements et adressent à Dieu d'ardentes prières. L'ennemi, ne se laissant fléchir ni par leurs larmes, ni par leurs injures, se met en route avec son butin.

<«< Lorsqu'il fallut gravir la montagne (le Katzenstrick), bientôt nous n'en pûmes plus, et je serais moi-même resté sur la route, si un cavalier, ému de compassion, ne m'avait permis de saisir, pour m'aider, la queue de sa monture. Après avoir achevé la montée et traversé la forêt, nous

arrivâmes à l'endroit où sont élevés des retranchements (Rothenthurm). Là on fit halte, et nos serviteurs obtinrent, à prix d'argent, qu'on les relâcherait. Pour nous, nous sommes retenus prisonniers dans la maison de Werner Ab Acker. Nous y restons cinq jours, au bout desquels le chef du pays (le landammann Werner Stauffach) vient nous chercher pour nous conduire à Schwyz; il nous fait marcher à pied, sauf les prêtres, auxquels on donne des chevaux; notre chantre, en costume officiel, ne peut faire entrer sa large chaussure dans l'ouverture de l'étrier. C'est ainsi que nous devons descendre, au milieu des risées de la foule, dans la maison commune, où les principaux vont délibérer sur ce qu'il faut faire de nous. Pendant ce temps le curé de Schwyz, avec la permission du landammann, nous offre à sa table un copieux repas.

<«< Le soir venu, le même magistrat, accompagné d'un nombreux cortége, arrive chez le curé, et nous informe que nous allons être remis à la garde de Pierre Locholf, ce qui nous consterne, car il est sans comparaison le plus méchant de tous. A peine sommes-nous entrés dans sa maison, qu'on nous fait asseoir, et le landammann, après avoir demandé à chacun de nous son nom, nous laisse au nombre de neuf, sept religieux et deux laïques, entre les mains et sous la responsabilité de Locholf. Celui-ci nous invite à souper, mais nous soupons de nos larmes, et quand nous quittons la table, il nous faut endurer de la part des femmes, pires que les hommes, un torrent d'injures. « C'est trop de bonté, s'écrient-elles, car ce sont eux qui ont voulu injustement nous frapper d'excommunication et nous ôter la nourriture; ils n'ont qu'à souffrir à leur tour la même faim que nous, et à porter la peine de leur inique conduite. »>

« Après avoir subi pendant six semaines un étroit emprisonnement, nous voyons nos deux compagnons de captivité, l'intendant et le portier, livrés à une détention encore plus sévère dans la maison de Schülhart. Bientôt, toutefois, il nous est permis de choisir parmi nous un député qui aille préparer les voies à notre élargissement, et Rodolphe de Wunnenberg se charge de cette mission. Trois jours après son retour, le landammann convoque toute la landsgemeinde; notre député y assiste, et l'on y entend lire les lettres dans lesquelles les comtes de Toggenbourg et de Habsbourg intercèdent en notre faveur. Nous comparaissons nous-mêmes et nous sommes remis en liberté par considération pour ces deux seigneurs.

« Le curé de Schwyz qui, onze semaines plus tôt, nous avait fait asseoir à sa table pour calmer nos ennuis, nous offre de nouveau un repas splendide en signe de réjouissance. Après avoir amplement fait honneur à ses mets et à son bon vin, nous nous empressons de revenir auprès de notre cher abbé. Le plaisir de nous revoir l'émeut jusqu'aux larmes, et pour mieux témoigner sa joie, il nous fait servir un copieux banquet, où circulent les coupes pleines. Ainsi reconfortés, nous laissons s'écouler la journée avec un plaisir sans mélange.

« J'ai fini; ô mes vers, reposez-vous, il en est temps. Je n'ai point voulu faire une œuvre savante, je n'ai point cherché par de faux ornements à embellir la vérité. Comme les choses se sont passées, je les ai écrites, que ce soit de même qu'on les lise, et veuillent les critiques pardonner à l'auteur les péchés de sa muse. »

Rodolphe de Radegg ne se trompait pas en pensant que ce serait l'intérêt historique de ses vers qui les sauverait de

l'oubli. Sans doute les mœurs que décrit son poëme forment un frappant contraste avec les complaisantes peintures de la tradition nationale, et avec l'auréole fantastique dont elle aime à entourer le berceau de la liberté helvétique. Mais ce tableau, peint d'après nature, nous place en face de la réalité, et il nous faut bien rabattre quelque chose de cet esprit de dévotion et d'attachement à l'Église que l'on prêtait aux premiers confédérés, comme aussi de cette longanimité et de cette mansuétude, dont les excès de leurs oppresseurs les avaient en quelque sorte forcés de se départir. Ce qui reste entier et incontestable, c'est leur passion pour la liberté; mais il est permis de penser qu'ils ne mettaient pas à la satisfaire tous les ménagements possibles.

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que si, dans un sentiment d'irritation très-excusable et qu'égaye pourtant plus d'un éclair de jovialité, le maître d'école d'Einsiedeln n'a rien dissimulé de la brutalité excessive des gens de Schwyz, il n'en laisse pas moins entrevoir que, dans leurs violences, il entrait plus de sauvagerie que de méchanceté. Après tout, les choses ont souffert beaucoup plus que les hommes, dont aucun, à ce qu'il semble, n'a même reçu une égratignure. Se venger de l'interdit, se faire craindre des moines, se mettre à l'abri des contestations juridiques en brûlant leurs archives, voilà sous quelles inspirations un amour déréglé de l'indépendance avait poussé les Schwyzois à une expédition où ils devaient recueillir plus de butin que de gloire.

Ils ne purent, il est vrai, enlever aux religieux l'emploi des armes spirituelles, mais ils n'en avaient pas moins réussi à se faire redouter, et nul n'osa, en se déclarant contre eux le champion du monastère, leur demander raison de leurs

excès. Il faut voir avec quelle expression de courtoisie et quel ton plein de ménagements, les seigneurs du voisinage intercèdent, auprès du landammann Werner Stauffach et des gens de Schwyz, en faveur des moines prisonniers. Bien loin de faire entendre aucune menace, ils garantissent aux Schwyzois que nulle conséquence fâcheuse ne résultera pour eux de ce qui s'est passé. Cependant le seigneur de Regensberg avait son fils parmi les captifs; Rodolphe de Habsbourg un de ses vassaux; mais ils se contentent, comme le comte de Toggenbourg et Ulrich de Güttingen, d'implorer la générosité des agresseurs 57. Ils ne songent nullement à invoquer contre ces derniers une autorité supérieure, telle qu'aurait pu l'être celle du duc d'Autriche, qui était à la fois leur propre suzerain et l'avoué d'Einsiedeln, et ils rendent par conséquent hommage à la pleine indépendance des hommes de Schwyz. En appeler au chef de l'Empire était impossible, le trône était toujours vacant. Il ne fut occupé de nouveau que six mois plus tard, le 20 octobre 1314.

La compétition pour la royauté s'était d'abord établie entre le fils de l'empereur Henri VII, Jean, roi de Bohême, et le duc Frédéric le Beau, fils aîné du feu roi Albert d'Autriche; mais, à la suite de longs démêlés et d'intrigues entre les Électeurs, Jean fut écarté d'un commun accord, et la majorité des voix proclama Louis de Bavière roi des Romains. La minorité s'était prononcée en faveur de Frédéric d'Autriche, et elle refusa de reconnaître l'élu de la majorité 58. L'Allemagne avait deux rois, et à l'interrègne succéda un schisme qui dura huit ans. Il fut pour les Waldstätten de grande conséquence. Entre le souverain régulièrement élu et le duc d'Autriche, qui usurpait le titre de

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