Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

En querelle avec les moines d'Engelberg pour l'usage des vastes alpages et des forêts qui s'étendent sur les deux flancs des Surènes, ils n'avaient pu parvenir à s'entendre avec leurs adversaires en suivant la procédure fixée entre eux à ce sujet, en 1275, par le juge arbitral qu'avait nommé le roi Rodolphe. L'emploi de la force avait remplacé le recours au droit, et on s'était livré des deux parts à des voies de fait et à des violences qui n'avaient pas mieux réussi. Ce fut pour mettre un terme à cet état de guerre (krieg und missehelli), que le débat fut porté devant des arbitres. Parmi ceux d'Uri se trouvaient son propre landammann, Werner d'Attinghausen, et Rodolphe Stauffach, de Schwyz. Parmi ceux du couvent d'Engelberg se trouvaient des hommes de chacune des deux vallées de l'Unterwalden. Le sur-arbitre, choisi d'un commun accord, était Conrad Ab loerg, landammann de Schwyz. La sentence qui faisait droit aux justes réclamations des deux parties fut rendue le 25 juin 1309 85. Mais le fonds même du jugement nous intéresse moins que la composition du tribunal. On y voit la mise en pratique des principes déjà posés par le pacte fédéral de 1291 pour l'action commune des confédérés dans le règlement de leurs intérêts. Ici, comme en ce qui concerne la libre navigation du lac, la nouvelle confédération s'affirme et prend, pour ainsi dire, possession, dans l'histoire, de la place qui ne lui sera plus ôtée.

35

Dans les deux cas, c'est Schwyz qui tient la tête; cette primauté entre ses pairs confirme tout ce que nous avons déjà appris sur le caractère des Schwyzois, sur la promptitude et l'énergie de leurs résolutions, sur leur initiative et leur activité, qui faisaient d'eux les représentants na

turels de la petite société politique qui devait, en grandissant, s'appeler un jour la Confédération suisse, mais à laquelle on commençait alors à donner le nom collectif de Waldstätten. C'est le titre de « gouverneur pour l'Empire romain dans les Waldstätten, » que prend Werner de Homberg. C'est contre « les Waltstett, » que les ducs d'Autriche ont conclu leur traité du mois d'août 1309 avec Zurich. C'est avec « les Waltstetten » que quelques mois plus tard, le 11 novembre de la même année, Lucerne qui, du fait de l'Autriche, s'était nécessairement trouvée impliquée dans la lutte, contracte une alliance qu'elle célèbre à l'égal d'une victoire 36. Et, ici encore, c'est Schwyz qui a le pas sur les deux autres vallées, quoique ce fut aux deux autres vallées seulement que s'étaient adressés les bourgeois de Lucerne, pour conclure un traité dont leurs rapports plus directs avec elles leur faisaient sentir la nécessité. Mais, fidèles à leur esprit d'union, les confédérés ne voulaient point agir séparément les uns des autres, et ils sentaient que c'était en resserrant toujours davantage le faisceau de leur alliance, qu'ils le rendraient tout à la fois plus fort et plus respecté.

Ce n'est pas à dire qu'ils ne conservassent, les uns et les autres (nous venons de le voir pour Uri), la liberté de leurs mouvements et leur indépendance distincte, quand il s'agissait d'intérêts particuliers à l'un d'entre eux. Chacun prenait alors soin, comme bon lui semblait, de la conduite de ses affaires. Mais, tandis que les gens d'Uri, lors même qu'ils se trouvaient en possession de plus de libertés, en usaient toujours avec ménagements, les choses ne se passaient pas de même à Schwyz. Ici, l'énergie républicaine dégénérait trop aisément en brutalité, le vif sentiment de

son droit en injustice, la passion pour l'indépendance en mépris de ses engagements. La vigueur de caractère qui les a fait libres laisse éclater chez les Schwyzois, plus que chez d'autres, les défauts de leurs qualités.

Dès après la mort du roi Albert, se sentant, si l'on peut dire, la bride sur le col, les gens de Schwyz avaient repris, avec une vivacité nouvelle, contre Einsiedeln, ces luttes de voisinage, ces incursions violentes, que nous avons vu commencer dès le douzième siècle et qui, pour s'être de temps à autre assoupies, n'avaient jamais entièrement cessé. L'importance toujours croissante de ce monastère, dont l'abbé avait été élevé par le roi Rodolphe au rang de prince de l'Empire, n'intimidait guère les Schwyzois qui, s'il faut en croire les moines, se livraient à une sorte de brigandage organisé. «Depuis trois ans,» disaient ceux-ci en 1311, «<les gens de Schwyz se permettent chaque année contre nous quelques nouveaux méfaits. Ils envahissent nos terres, dépouillent nos fermes, enlèvent notre bétail, ou se saisissent de nos serviteurs. Pierre Locholf et d'autres hommes de la vallée, ne tenant compte ni des décisions royales, ni de leurs propres engagements, commettent d'incessants empiétements sur nos propriétés. Des bandes armées, conduites par le landammann Ab Iberg, par Stauffach et Reding, se livrent dans nos domaines à tous les excès, et notre monastère même n'est pas respecté. Trois fois son enceinte a été forcée, et les agresseurs marchant, dans une procession dérisoire, avec la croix et la bannière, ont non-seulement pillé nos caves, mais porté la main sur les offrandes que renfermait le sanctuaire de la très-sainte mère de Dieu 37. >>

Ces plaintes, qui font peu d'honneur aux gens de Schwyz,

et auxquelles leur conduite ultérieure ne donne que trop de vraisemblance, ces plaintes furent tour à tour portées, par les moines, devant le roi Henri VII et devant l'évêque de Constance, chef du diocèse. Elles provoquèrent, de la part du monarque, le renvoi de l'affaire à un tribunal d'arbitres, et, de la part du prélat, une sentence d'excommunication fulminée contre ceux des gens de Schwyz qui s'étaient rendus coupables des actes incriminés 38. Mais ces derniers, contestant la compétence de la cour épiscopale, en avaient appelé au pape, qui résidait alors à Avignon, et auprès duquel s'était rendue une ambassade, dans laquelle figurent ces mêmes Ab Iberg, Locholf, Stauffach et Reding, signalés par les religieux d'Einsiedeln comme les principaux auteurs des spoliations et des voies de fait dont leur monastère avait été victime. Clément V, faisant accueil, sinon droit, au recours des Schwyzois, donna, le 12 septembre 1309, un bref qui suspendait, jusqu'à plus ample informé, les effets de l'interdit et qui nommait trois commissaires ecclésiastiques pour examiner de nouveau l'affaire 39. Ce n'est pas à l'occasion de cette démarche des gens de Schwyz, qu'on peut leur reprocher d'avoir outrepassé les limites du droit elle est, au contraire, un signe irrécusable de l'esprit de résolution et de perspicacité, avec lequel les membres de cette communauté politique savaient reconnaître et employer les moyens légitimes pour se faire écouter des papes et des rois.

:

En même temps, ils prenaient chez eux les précautions que leur lutte avec Einsiedeln (qui pouvait recourir à la protection de ses avoués, les dues d'Autriche), rendait nécessaire afin de mettre leur territoire à l'abri d'une attaque armée. Le 25 juin 1310, ils vendaient à l'un des leurs

une portion des terres communales, pour en employer le produit à fortifier le plateau de l'Altmatt (das gut ist geleit an die mur ze Altun matta), sur lequel débouchent les chemins qui viennent d'Einsiedeln, de Zug et de Raperschwyl 40. Ces précautions furent alors superflues: les ducs d'Autriche s'abstinrent, durant la querelle entre le couvent et les Schwyzois, de toute espèce d'intervention.

Les moines, devant renoncer à cet appui temporel et voyant leurs armes spirituelles devenues inutiles, soit par la décision du pape, soit surtout par l'interdit dont l'archevêque de Mayence avait frappé l'évêque de Constance, son suffragant", les moines prêtèrent volontiers l'oreille au conseil que leur donnèrent les bourgeois de Zurich de s'entendre avec les gens de Schwyz, et ces derniers ne voulurent pas, en repoussant des ouvertures qui ne les engageaient à rien, mécontenter les Zuricois, avec lesquels ils étaient alors en très-bons termes. On convint donc, en mars 1311, de soumettre, comme déjà le roi Henri VII l'avait décidé, l'affaire à des arbitres. Chacune des deux parties choisit les siens et s'engagea, dans le cas où elle ne voudrait pas se conformer au résultat de l'arbitrage, à payer à l'autre une dédite (angewette) fixée d'avance à la somme de deux cents marcs d'argent. Pour garantir le paiement de cette somme, les Schwyzois désignèrent comme cautions dix citoyens Zurichois 2. Les arbitres se mirent à l'œuvre, nommèrent sur-arbitre le chevalier Rodolphe Müllner le vieux, l'un des personnages les plus importants de Zurich, et, n'ayant pas réussi à s'entendre pour une décision commune, lui laissèrent le soin de prononcer seul la sentence arbitrale. Müllner rendit, le 19 juin 1311, un arrêt qui ne satisfit pas les gens de Schwyz et auquel, en conséquence,

« ZurückWeiter »