Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

DISCOURS DE M. RAVAISSON-MOLLIEN.

Messieurs,

La cérémonie funèbre qui nous réunit aujourd'hui a pour nous un caractère particulier de tristesse. Celui que nous accompagnons à sa dernière demeure avait été frappé par la maladie à laquelle il a succombé au moment même où nous lui ouvrions nos rangs; près de deux ans se sont écoulés sans que cette maladie lui ait permis de venir un seul jour occuper parmi nous la place qui lui était destinée. M. Boutaric nous a été enlevé sans que nous ayons pu une seule fois profiter des lumières que son savoir nous promettait, une seule fois jouir de son

commerce.

Né, au mois de septembre 1829, d'un père qui appartenait, comme professeur, à l'Université, M. Boutaric avait donné de bonne heure des preuves de goût et d'aptitude pour les études sérieuses. Il avait fait ses classes avec succès au lycée Bourbon, aujourd'hui lycée Fontanes. Il était devenu ensuite élève de l'École des chartes, puis de l'École d'administration, fondée après la révolution de 1848 et qui dura si peu. Cette dernière école supprimée, il entra aux Archives, où devait s'écouler le reste de sa vie laborieuse, où il rendit tant de services dont le savant directeur de ce grand établissement témoignera tout à l'heure, et où son esprit investigateur devait trouver la matière principale de nombreux et excellents travaux historiques.

L'Académie des inscriptions avait proposé pour sujet de l'un de ses concours annuels, en 1856, la France sous Philippe le Bel. M. Boutaric remporta le prix. Dans son mémoire, il fit connaître à fond l'état du royaume au temps dont il s'agissait, et, selon les expressions du rapport académique rédigé par un érudit très-versé lui-même dans l'histoire, il sut, par l'usage qu'il fit de documents généralement inédits, et tirés, soit de notre grande Bibliothèque nationale, soit de nos Archives, jeter sur une des époques les plus importantes de notre histoire une très-vive lumière.

Dans un autre écrit, qui lui valut le prix Gobert, et qu'il publia en 1873, sur Saint Louis et Alphonse de Poitiers, M. Boutaric a montré, toujours au moyen de documents nouveaux, comment le frère de saint Louis transporta dans le Midi, en les combinant avec les coutumes locales, les institutions établies par le grand et saint roi dans notre France du Nord.

C'est le mérite commun de ces deux remarquables ouvrages que d'embrasser tous les éléments divers de l'histoire, politique, administration, finances, état civil et militaire, et de présenter ainsi, aussi complète que possible, la physionomie de grandes époques du moyen âge, jusque-là imparfaitement étudiées. M. Boutaric a contribué encore à faire mieux connaître et apprécier le moyen âge, soit par son Examen des sources du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, couronné en

1863 par l'Académie des Inscriptions, soit par ses recherches sur un sujet que tant d'érudits éminents n'ont pu épuiser, les Origines de la féodalité; soit par les Institutions militaires de la France avant la création des armées permanentes, ouvrage couronné par l'Académie des sciences morales et politiques, et où est élucidé à nouveau, d'après les textes, le sujet important traité autrefois par le P. Daniel; soit par les Actes du Parlement, grande publication commencée en 1863; soit enfin par de nombreux et savants articles dans la Bibliothèque de l'École des chartes. M. Boutaric a bien mérité aussi de l'histoire d'une époque plus voisine de la nôtre. Dans la Correspondance secrète de Louis XV sur la politique étrangère, tirée des Archives nationales, il a mis dans un jour nouveau le caractère de ce prince, et nous a révélé l'usage où il était, depuis la mort du cardinal de Fleury, de suivre, par une correspondance directe avec les puissances étrangères, une politique souvent très-différente de celle de ses ministres.

Ces ouvrages, pleins de recherches variées, riches en faits nouveaux, judicieusement composés, correctement et simplement écrits, valaient à leur auteur, le 25 février de l'année dernière, le titre, que toute son ambition était d'obtenir, de membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Mais, la veille du jour où ce titre lui était décerné, M. Boutaric était atteint d'une grave attaque de paralysie, dont il ne put se remettre. Les soins dévoués de la tendre compagne de sa vie ne purent qu'adoucir le mal, sans le conjurer.

L'Académie, en s'agrégeant M. Boutaric, n'avait pas entendu seulement récompenser ainsi les services qu'il avait rendus à la science historique. Elle comptait sur lui pour l'aider, une fois admis en son sein, dans l'accomplissement des travaux qu'elle a la mission officielle de poursuivre, surtout dans la recherche et la publication, commencées par les Bénédictins, et qu'elle est chargée de continuer, des principaux monuments de l'histoire nationale. Elle eût été heureuse, à tous égards, de le voir dans ses rangs. Nous savions, en effet, que M. Boutaric n'était pas seulement un chercheur consciencieux, un écrivain du plus solide mérite, nous savions que c'était aussi un homme du caractère le plus sûr et le plus droit; nous savions que nous aurions en lui un confrère digne de toute estime et de toute affection. Nous l'avons attendu, espéré en vain. Il ne nous reste aujourd'hui qu'à déposer sur la tombe qui va le recevoir l'hommage unanime de nos profonds regrets.

Messieurs,

DISCOURS DE M. ALFRED MAURY.

En prenant la parole devant cette tombe où viennent d'être déposés les restes périssables d'un savant qui nous est enlevé par une mort aussi cruelle que prématurée, j'ai peine à maîtriser mon émotion. Si l'Académie des inscriptions et belles-lettres éprouve une vive douleur en

perdant un de ses membres le plus récemment nommés, quelle ne doit pas être celle que je ressens, moi qui perds à la fois un confrère et un collègue, un confrère que j'avais appelé de tous mes vœux dans la docte Compagnie où il n'a pu siéger, un collègue dont j'avais depuis bientôt dix ans apprécié les rares qualités et la profonde instruction, la foncière honnêteté et le dévouement au devoir! Directeur des Archives nationales, où M. Edgard Boutaric occupait un poste élevé, membre du Conseil de perfectionnement de l'École des chartes, au corps enseignant de laquelle il appartenait, j'ai la double et triste mission d'être ici l'interprète des regrets qu'il laisse dans ces deux établissements.

Préludant par de fortes études classiques à la carrière de l'archivistepaléographe, pour laquelle il avait une vocation décidée, M. E. Boutaric a été l'un des élèves les plus brillants qui soient sortis de cette École des chartes si féconde en érudits éminents; entré en 1849 à l'École d'administration qui n'eut qu'une existence éphémère, mais n'en a pas moins produit bon nombre de sujets distingués, il s'était préparé par la connaissance des institutions de la France moderne à celle de l'ancienne société sur laquelle ses livres devaient jeter tant de lumières !

La place de M. Boutaric était marquée d'avance dans le vaste et riche dépôt où il occupait l'emploi de chef de la section administrative, quand la mort est venue le frapper. Il fut attaché, le 6 octobre 1852, aux Archives nationales avec le titre d'archiviste, et, le 1er novembre 1866, il était nommé sous-chef de section. J'ai constamment trouvé en lui un collaborateur aussi zélé qu'intelligent. Sachant, ce qui est rare, mener de front des fonctions administratives fort absorbantes et des travaux purement scientifiques, sans que les uns portassent préjudice au consciencieux exercice des autres, en même temps qu'il mettait sa grande pratique paléographique et la connaissance des trésors historiques dont il était entouré, à la disposition d'un public éclairé et studieux, il tirait de nos collections les matériaux des ouvrages importants qui lui valurent les couronnes de l'Institut. C'est aux Archives nationales qu'il a puisé les éléments de ses livres sur le règne de Philippe le Bel, sur les institutions militaires de l'ancienne France, sur le gouvernement d'Alphonse de Poitiers; c'est là qu'il a réuni cette curieuse correspondance secrète de Louis XV qui présente ce roi sous un jour nouveau. Je pourrais citer bien d'autres productions dues à ses investigations persévérantes, mais ce n'est pas ici le lieu d'en détailler la liste.

Feu notre confrère M. le marquis de Laborde avait eu la libérale idée de faire imprimer les inventaires raisonnés et méthodiques de plusieurs des fonds les plus intéressants conservés aux Archives nationales, dont il était directeur général; il confia à M. Boutaric la rédaction et la publication des Actes du Parlement de Paris, et celui-ci donnait, en 1863, le premier volume de cet inventaire, qui s'étend de l'année 1254 à l'année

1299. L'œuvre de M. Boutaric a fait le plus grand honneur à l'administration dont elle émane. A ces travaux de cabinet vinrent se joindre pour notre confrère, en 1869, de nouveaux devoirs. Il fut nommé professeur à l'École des chartes, qui prisait, à bon droit, ses livres et ses savants mémoires, insérés dans le recueil dit Bibliothèque de l'École des chartes. M. Boutaric apporta dans sa chaire une vieille expérience des matières qu'il était chargé d'enseigner. Membre du comité historique au Ministère de l'instruction publique, il surveilla la publication de divers documents inédits et s'acquitta de plusieurs missions. Le labeur qu'imposaient à notre confrère tant d'occupations, s'il n'excédait pas son infatigable activité intellectuelle, était peut-être au-dessus de ses forces physiques. La santé de M. Boutaric, souvent éprouvée par la maladie, s'altéra sans le faire renoncer à son travail incessant; mais sa constitution, quoique forte en apparence, finit par céder, et elle recevait un choc terrible au moment même où l'Académie des inscriptions et belles-lettres élisait membre titulaire l'auteur de tant d'excellents ouvrages. Hélas! depuis ce jour, c'est-à-dire depuis près de deux ans, il n'a fait que languir sur un lit de souffrances. Il voyait, avec un désespoir contenu, sa carrière brisée, ses études interrompues, son activité enchaînée! Il s'efforçait à la résignation, soutenu par le courage d'une digne et aimable compagne qui cachait sa propre affliction pour donner le change à celle de son époux, qui gardait ses larmes pour les courts instants où elle s'éloignait du chevet du pauvre paralysé.

Cette longue agonie a été, pour notre confrère, un martyre moral plus affreux encore que le martyre physique auquel le condamnait l'attaque qui l'avait brusquement arraché aux Archives nationales qu'il aimait tant, à ses élèves qu'il suivait de la pensée avec une constante sollicitude, à l'Institut auquel il était si impatient de payer sa dette de collaboration.

Je l'ai visité maintes fois durant sa maladie; je sortais toujours de sa demeure le cœur navré, l'âme remplie d'une indicible tristesse; je ne pouvais me faire illusion sur la gravité de son état; j'aurais voulu me persuader que tant de savoir ne serait pas perdu pour nous à courte échéance, que tant de solides et touchantes vertus pourraient encore se répandre sur ses amis et ses concitoyens. Le mal a été implacable, et aujourd'hui, Messieurs, il ne nous reste qu'à pleurer l'homme de bien et le savant historien qui nous est ravi dans toute la maturité de l'âge et du talent.

Edgard Boutaric repose maintenant dans l'éternelle sérénité au sein de la justice infinie, dans cette paix que ne troublent pas les agitations et les inquiétudes d'ici-bas. Telles ont été ses espérances, car pour cette conscience pure, pour ce chrétien convaincu, la mort n'a été que le suprême élan de l'âme vers le mystérieux auteur de toutes choses.

Adieu, Edgard Boutaric, adieu! Ta vie a été courte, mais il est bien

des existences honorables, prolongées jusqu'à l'extrême vieillesse, qui n'ont point été si noblement, si utilement remplies!

La Société de l'École des chartes a fait une autre perte dans la personne de M. François-Eugène Janin, décédé le 17 décembre 1877, à l'âge de 62 ans.

Nous aurons à rappeler dans un prochain cahier les travaux de ce laborieux et modeste archiviste-paléographe.

Par arrêté du 21 décembre, notre confrère M. Jules Tardif a été nommé chef de la section administrative et judiciaire des Archives nationales, en remplacement de M. Boutaric.

M. Demay, archiviste à la section historique, a été nommé souschef de la section historique (21 décembre).

Notre confrère M. Laudy, archiviste du département de Constantine, a été nommé archiviste aux Archives nationales (22 décembre). Par décret du 18 décembre, notre confrère M. Servois a été nommé préfet du département de l'Isère.

Par décret du 26 décembre, notre confrère M. Raymond a été nommé secrétaire général de la préfecture des Basses-Pyrénées.

LE CABINET HISTORIQUE.

Les livraisons du second semestre de cet utile recueil n'offrent pas moins d'intérêt que celles du premier, dont nous avons donné la table plus haut, p. 190. Elles contiennent les articles suivants :

PREMIÈRE PArtie.

La domination bourguignonne à Tours et le siége de cette ville (14171419), par M. Delaville le Roulx.

Note sur le duc de La Vallière et la Bibliothèque Mazarine, par le P. Sommervogel.

Note sur un ouvrage attribué à La Bruyère, par M. Ad. Hatzfeld. Notice sur Ferrand de Bez, par M. Louis Barbier.

Une lettre du P. Adam au cardinal Mazarin, par M. Ph. Tamizey de Larroque.

Quelques mots sur les dames damées, par M. Pierre Bonnassieux. Un procès de l'inquisition au xvre siècle, par M. J. Morey.

Une quittance de Mme de Sévigné, par M. G. Depping.

[merged small][ocr errors][merged small]

Catalogue de documents relatifs aux ducs d'Orléans, xiv-xvII° s., par M. Ul. Robert.

« ZurückWeiter »