vertit. Bien plus, le prescheur lui-même qui parle si bien, qui enseigne si éloquemment à fuir le vice et à suivre la vertu, le prescheur a le plus souvent pour coutume De ce qu'il va preschant ne faire jamais rien. « Quant aux autres estats, » nous voyons les gens de justice rongés jusqu'au fond du cœur par l'avarice, les nobles tenaillés par l'ambition, les marchands voués au parjure par la soif du gain. Le spectacle d'une corruption aussi générale jette du Fail dans une tristesse noire; s'adressant à l'un de ses collègues, conseiller au Parlement de Rennes, il s'écrie : Du Han, l'oracle sainct, non de nostre Bretaigne, Les deux derniers éditeurs de du Fail (MM. Assézat et Hippeau) ont cru qu'il s'agissait ici de Jean du Han, dont notre auteur avait déjà fait mention dans la préface du premier livre de ses Arrêts. C'est une erreur. Ce Jean du Han avait été procureur général du roi aux Grands-Jours de Bretagne, de 1536 à 15501; après cette dernière date on ne le trouve plus, et du Fail, dans sa préface de 1576, en parle au passé comme d'un homme mort. Ici ce n'est pas à lui qu'il s'adresse, c'est à son fils, René du Han, qui fut conseiller au Parlement depuis la création de cette compagnie en 1554 jusqu'en 1582. Quant au manoir de Launay dont il est question, c'était une terre noble, située à quelques lieues de Rennes, en la paroisse de Montreuil-le-Gast3, et qui appartenait de temps immémorial aux du Han, si bien qu'elle finit par prendre le nom de Launay-du-Han. Mais du Fail ne se contente pas de déplorer la corruption générale dont il est témoin, il en recherche la cause, et pour nous 1. V. Courcy, Nobiliaire de Bretagne, 2o édit., t. I, au mot Han (du), et t. III, p. 85. 2. « Il y en a d'autres (comme estoit l'oppinion de ce docte et sage gentilhomme M. Jean du Han, procureur general du Roy en ce pays) qui afferment resolument et à plat que telle fréquence de plaidoirie et chiquanerie vient de ce que les gentils-hommes ont depuis les cent ans derniers, à la plus part, laissé l'administration et exercice de la justice, » etc. (Arrêts, édit. 1579, f. 6 v° et 7 r°; Œuvres de du Fail, édit. 1874, II, p. 380.) 3. Auj. commune du cant. (N.-E.) et de l'arr. de Rennes, Ille-et-Vilaine. la faire connaître, il met en vers une conversation tenue en sa présence entre les deux premiers avocats de Rennes à cette époque, Mes Nicolas Bernard et Pépin de la Barbaie1 : Il me souvient, un jour, que Bernard, ce preud'homme, Nous n'estions si meschans, du temps du grand François 2. Et, qui plus l'estonnoit, qu'il y ha tant d'offices, Et Barbaye (sic), nostre ami, lequel ha la science Et comment! disoit-il, le prelat, qu'il fault suivre, Réformons tout cela, et qu'on voie le prebstre, Que le noble, en après, doucement se comporte, Ce noble, mon du Han, comme prudent et sage, Adieu, si cela est, ceste trouppe pourprée, Les offices nouveaux, et les nouveaux estats! 1. V. ci-dessus p. 577 et 578. 2. Le roi François Ier, que du Fail appelle toujours « le grand roi François. » 3. Qui doivent donner l'exemple à leurs sujets. Quoy donc, dira quelqu'un, que servira ton livre, Ce sera un tableau où l'on verra portraitte, Pren ce livre tousjours et en fay ton profit. Nul comme poésie, ce morceau est curieux en ce qu'il nous montre les idées de du Fail admises par les meilleures têtes du barreau et du Parlement de Rennes, les Bernard, les Barbaye, les du Han. Or ces idées, originales par elles-mêmes, le sont encore davantage chez des avocats et des magistrats. En somme, elles reviennent à dire qu'il n'y a que trop de magistrats, d'avocats, de gens de justice; que tout cet appareil d'offices, de tribunaux et d'institutions humaines est impuissant à guérir la lèpre de chicane, de discorde, de désordres et de corruptions de tout genre, qui ronge la société. Le seul remède efficace, c'est de rétablir dans les âmes l'empreinte et la loi de Dieu. Par quel moyen? par la réforme des mœurs du clergé et de la noblesse, dont le bon exemple entraînera le reste de la nation et qui reprendront alors, avec leurs fonctions antiques, leur légitime ascendant sur les autres classes. « Quand ce beau temps viendra, << on gardera la foy, » et le seigneur du village, « magistrat or<< donné de là hault, » apaisera tous les débats « sans forme de procès » par son autorité patriarcale, Et le noble sera de son subject la loy. L'idéal de du Fail, c'est donc le retour à une pureté — plus ou moins imaginaire des mœurs et des institutions de la primitive féodalité. L'édition des Arrêts de 1579 contient encore quatre pièces de vers adressées à du Fail, dont nous ne dirons qu'un mot. La plus longue est intitulée « Elegie par I. H. » M. Assėzat, qui voit Jean du Han partout, l'attribue à ce personnage; mais le contexte de cette pièce montre que l'auteur était conseiller au Parlement de Bretagne, ce que n'a jamais été Jean du Han; il serait, à mon sens, plus naturel d'interpréter les deux initiales I. H. par le nom de Jean Hay ou de Jean Huby, l'un et l'autre membres de cette compagnie en même temps que notre auteur1. Cette prétendue élégie est en réalité une épître de plus de 200 vers, ayant pour but de célébrer les mérites du Parlement de Bretagne et des trois premiers auteurs qui ont écrit sur le droit breton, Bertrand d'Argentré, Jean de Langle2, Noël du Fail. On y trouve certains détails curieux 3 et même çà et là d'assez bons vers. Les trois autres pièces, insérées en tête du troisième livre des Arrêts, consistent en deux sonnets signés P. Mahé, advocat en la Court, et une Ode I. D. G. par Les deux sonnets ont été reproduits en 1842 par feu M. Guichard dans son édition des œuvres de du Fail (p. 19 et 20). - L'ode, en vers de huit pieds, composée de quatorze strophes de six vers chaque, est une mosaïque de lieux communs de la plus grande platitude1; j'inclinerais à en rendre responsable Me Jules de Guersens, alors avocat au Parlement, où il exerça plus tard les fonctions d'avocat 1. V. Biblioth. de l'Ecole des chartes, année 1875, p. 580 et 581. 2. Ces deux premiers ne sont pas nommés, mais très-clairement désignés. 3. Par exemple, dans ces vers-ci, où le poète s'adresse, en terminant, aux trois auteurs que nous venons de nommer et leur dit : Ores on verra doncq, aux œuvres de vos mains Que le Breton est tel que sa terre native, A cause du climat humide et froidureux, Ne porte toutesfois du fruict moins savoureux. Et jugera celuy qui verra vos ouvrages Que, bien que sur le tard on ait veu les fruictages A celuy qui le peut savourer moins plaisant. Ainsi, du Fail était déjà avancé en âge lors de la publication de ses Arrêts en 1579; ce qui s'accorde très-bien avec l'époque où nous avons placé sa naissance, environ l'an 1520. 4. Nous n'en citerons que huit vers, dans lesquels le nom de du Fail se trouve écrit de deux manières différentes. L'auteur s'efforce de démontrer que l'homme doit négliger les sciences inutiles et chimériques pour s'appliquer uniquement à acquérir un « sçavoir profitable, » et il conclut ainsi : Mais ce sçavoir, où est-il? Il est à bannir le vice, Il est, mon docte du Fail, A embrasser la Justice. Or le moyen de l'avoir, Etc. général, et dont Noël du Fail a loué avec chaleur la brillante éloquence: il eût mieux fait, si c'est lui, de s'en tenir à la prose. § 14. - Vie parlementaire de Noël du Fail. Noël du Fail avait été reçu conseiller au Parlement de Bretagne le 21 février 1572. Le 30 avril suivant, il rapporta une affaire à la Grand-chambre, sans doute pour montrer ce qu'il savait faire, car ses lettres de provision l'attachaient, non à la première séance ou session trimestrielle du Parlement commençant en février, mais à la seconde commençant en août. Dans la séance d'août de cette même année, il siégea et rapporta douze affaires, ce qui n'était pas mal pour un débutant. L'année suivante et jusqu'en 1575, comme nous l'avons vu plus haut au § 12 (Bibl. de l'Ec. des chartes, 1875, p. 581), Noël du Fail resta, contre sa volonté, sans fonctions déterminées dans le service du Parlement. En 1576 et 1577, il fit partie de la chambre des Enquêtes (séance d'août), et nous avons retrouvé plusieurs des arrêts, signés de sa main, prononcés dans les affaires dont il fut rapporteur, savoir sept en 1576 et six en 15773. La plupart de ces affaires sont importantes et concernent des questions de propriété, de succession, de prémesse ou retrait lignager, des discussions de comptes entre commerçants, etc. L'une d'elles durait depuis 1562. Une autre, avant d'arriver au Parlement, avait eu à traverser trois juridictions: la cour seigneuriale du Chastel', la sénéchaussée royale de Léon, le présidial de Quimper. C'était là ces procès « brouillez et immortels, » dont notre auteur parle dans ses Arrêts (ci-dessus, p. 580). Il y a aussi une affaire de mur mitoyen, qui a coûté des sueurs 1. V. ci-dessus p. 578. 2. Voir la Table ou Inventaire des arrêts de la Grand-chambre, t. X, aux archives du Parlement de Bretagne, conservées au greffe de la Cour d'appel de Rennes. Nous n'avons pu retrouver les arrêts de l'an 1572. Ces arrêts sont 3. Arch. du Parlement de Bret., Minutes des Enquêtes. sous les dates de 1576, 18 août, 7, 17, 19 septembre, 1, 8 et 11 octobre; 1577, 16 août, 4, 11, 20, 27 septembre et 12 octobre. 4. La seigneurie du Chastel, célèbre par son possesseur, Tangui du Chastel, avait pour chef-lieu le château de Trémazan, dont le haut donjon carré se dresse encore au bord de la mer dans la commune de Landunvez, canton de Ploudalinézau, arr. de Brest, Finistère. |