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de ces sortes de traits, par lesquels elle énonçait, avec une ingénieuse précision, ce que sentait son cœur. Quelques-uns d'un autre genre, échappés à des circonstances particulières, annoncent qu'elle eût pu aussi manier le ridicule et divertir par la causticité, si la religion ne lui eût interdit l'usage de ces armes. Le cardinal de Fleury, pour se disculper auprès d'elle d'avoir si mal secondé le roi Stanislas au temps de sa seconde élection au trône de la Pologne, lui disait, après le succès de la guerre occasionée par la première faute : « Croyez, madame, » que le trône de Lorraine vaut mieux pour le roi votre père » que celui de Pologne. Oui, répondit la reine, à peu près » comme un tapis de gazon vaut mieux qu'une cascade de mar» bre. » Il faut observer, pour sentir le sel de cette réponse, que le cardinal, pour épargner une dépense d'entretien de mille écus, faisait, à cette époque, substituer un gazon à la magnifique cascade du parc de Marly, l'admiration des curieux et des étrangers. Une de ses dames du palais, qui se flattait que son inconduite était encore un mystère pour la princesse, lui demandait, sous un vain prétexte, la permission d'aller dans une maison de plaisance où était le roi : la reine lui répondit : « Vous êtes la maîtresse. » La dame voulut bien prendre l'équivoque du bon côté ; mais le courtisan inscrivit l'épigramme sur ses tablettes....

» Ennemie des cabales et des intrigues de cour, sans ambition et sans favoris qui en eussent pour elle, la reine était ce pendant animée du zèle, et l'on pourrait dire de la passion du bien public. Elle ne songeait point à gouverner et à s'attirer l'autorité; mais elle désirait que l'arbitre et les ministres du pouvoir ne l'exerçassent que pour faire triompher la justice et rendre les hommes heureux. Elle ne se mêlait pas de décider quand une guerre était légitime et inévitable; mais elle ne craignait pas de dire au roi, dans l'occasion, et de rappeler à ses ministres que les guerres les plus justes sont toujours à redouter, et que les plus heureuses sont encore des fléaux pour les peuples. Elle n'allait pas au-devant du roi pour lui suggé

rer ses idées; mais lorsque ce prince paraissait désirer ses conseils, elle ne lui en donnait que d'utiles à sa gloire et au bien de son royaume. C'est ainsi, par exemple, qu'elle l'exhorta plus d'une fois à être plus décisif dans son conseil; qu'elle lui fit remarquer que de grandes affaires avaient échoué, parce que, se défiant trop de ses lumières, il avait préféré les vues particulières de gens qui le trompaient, à son propre jugement qui lui disait vrai. Louis XV, dans une occasion, lui parlait avec complaisance du succès qu'avait eu un acte d'autorité qu'il venait d'exercer : « Je n'en suis pas surprise, lui dit » la reine : un roi n'est-il pas sûr de se faire aimer et d'être » obéi quand il parle en roi, et qu'il agit en père A. . »

» Mais tout le bien qu'elle provoquait autour d'elle et celui qu'elle voyait en espérance dans l'héritier du trône, ne la consolaient point des maux de la religion, qui prenaient de jour en jour un caractère plus effrayant. Un des événemens qui affligèrent le plus sa piété pendant son séjour en France, ce fut la destruction des jésuites. Elle avait toujours singulièrement affectionné ces religieux. Ils n'eussent été que malheureux, qu'elle se serait efforcée de les secourir: mais elle les croyait encore, comme le dauphin son fils, utiles à la religion et nécessaires à l'éducation chrétienne de la jeunesse dans nos pro

vinces. Aussi épuisa-t-elle tous les moyens humains pour conjurer l'orage qui les menaçait. Plus active à les servir que M. de Beaumont lui-même, elle eût voulu que ce prélat eût publié plus tôt la lettre pastorale qu'il donna pour leur justification, pièce la plus propre à démontrer leur innocence à tout tribunal où leurs ennemis n'auraient pas siégé comme juges. Dans le temps que cette affaire s'agitait, elle fit un jour appeler le duc de Choiseul, et lui dit : « Vous savez, monsieur, que je >> ne me mêle point d'affaires, et que je ne vous importune » pas par mes demandes ; c'est ce qui me donne la confiance » que vous ne me refuserez pas une chose que je crois bien » juste, et à laquelle est attaché le bonheur de ma vie : pro» mettez-moi que l'affaire des jésuites n'ira pas jusqu'à leur

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>> destruction. Sa Majesté, répond le ministre, me demande >> un miracle.-Hé bien, poursuit la reine, faites ce miracle, » et vous êtes mon saint. » Le miracle ne se fit point, et le duc, trop favorable au philosophisme pour avoir jamais été le saint de la reine, le fut encore moins depuis ce temps-là....

» La seule ressource qui restât à la reine, dans la douleur de ne pouvoir épargner aux jésuites le sort que leur avaient préparé les manœuvres concertées du vice et de l'impiété, fut de travailler à leur en adoucir la rigueur. Placés par leurs persécuteurs entre le crime de l'apostasie et le plus cruel éxil, tous ces religieux optèrent pour ce dernier parti: la reine obtint des passages gratuits sur les vaisseaux du roi pour ceux d'entre eux qui désirèrent de se rendre dans les pays infidèles en qualité de missionnaires. Elle en adressa un très-grand nombre au roi Stanislas qui les accueillit dans la Lorraine. Elle intéressa en leur faveur toutes les personnes aisées de sa connaissance. Elle mit à contribution la famille royale, et Louis XV luimême, qui leur payait régulièrement une pension de trente. mille livres sur sa cassette. De son côté, après avoir épuisé tous ses moyens, et voyant qu'il restait encore des besoins à plusieurs de ces infortunés proscrits, elle emprunta, elle fit vendre ses bijoux, pour procurer un viatique et des voitures à ceux à qui leur grand âge ou des infirmités rendaient ce secours nécessaire pour gagner la terre de leur exil. A la mort du roi de Pologne, la reine conjura Louis XV de conserver aux jésuites leur existence dans la Lorraine, au moins tant qu'elle vivrait; et ce prince, malgré le vœu contraire des ennemis de sa gloire, prit sur lui d'accorder cette satisfaction à sa vertueuse épouse.

>> Jamais la reine n'avait voulu renoncer à l'espérance du rétablissement des jésuites en France, et toute sa vie elle se flatta que quelque heureuse circonstance pourrait le déterminer. Au moins ne pouvait-elle douter que le premier acte de justice de son fils, s'il fût monté sur le trône, n'eût été leur rappel. Un jour qu'elle était occupée de la broderie d'un riche orne

ment d'église, le P. Griffet qu'elle estimait pour son savoir et sa piété, se présenta à son audience. « Tenez, père, lui dit» elle, voici une chasuble que je destine à la première de vos >> maisons qui sera rétablie. - Cela étant, madame, répond le

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> jésuite, Votre Majesté pourrait se contenter d'en faire un >> point par jour. J'espère mieux que vous, poursuit la » reine ; je verrai ce que je désire, je dirai mon Nunc dimittis, » et je mourrai de joie.......... »

» Après la gloire de Dieu, ce qui touchait le plus la reine de France, c'était le bonheur des peuples. Toutes ses vues se portaient à leur faire du bien, et toute sa conduite tendait à leur soulagement : les exemples du roi son père parlaient sans cesse à son cœur. Elle le disait quelquefois : « Qu'elle eût voulu » pouvoir reproduire en France tous les monumens de charité » dont il couvrait la Lorraine. » Protectrice généreuse de tous ceux qui étaient dans le besoin, elle les accueillait avec bonté : son crédit et ses richesses étaient leur patrimoine. Jamais elle ne détourna ses regards de dessus les malheureux qui s'attachaient en foule à ses pas. S'ils se présentaient sur son passage, elle les écoutait; s'ils lui remettaient des mémoires et des placets, elle les recevait, les faisait examiner et les examinait elle-même. C'était toujours elle qui, la première à la cour, entendait ces cris de l'indigence et du malheur, qui s'élèveraient en vain du fond des provinces, s'ils n'étaient portés par la bienveillance jusqu'à l'oreille des rois......

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Quoique dans l'âge encore qui rend plus excusables les dépenses de fantaisie d'un sexe auquel on les pardonne assez volontiers, et surtout d'un rang où les profusions passent pour des bienséances, la reine, modérée dans tous ses goûts, ne paraissait occupée que des besoins du pauvre peuple. « Il vaut mieux, disait-elle un jour, écouter ceux qui nous crient de loin, Soulagez notre misère, que ceux qui nous disent à l'oreille: Augmentez notre fortune. >> Elle eut le courage, et c'en est un d'un grand mérite pour une reine', de supporter quelquefɔis le sérieux de certains visages mécontens, et d'entendre

dire autour d'elle qu'elle était peu généreuse. Mais ce reproche de la cupidité fut pour elle un reproche honorable, et la postérité la louera d'avoir dit plus d'une fois à d'avides courtisans : « Les trésors de l'État ne sont pas nos trésors; il ne >> nous est pas permis de divertir en largesses arbitraires des » sommes exigées par deniers du pauvre et de l'artisan. » (Vie de Marie Leckzinska, par l'abbé Proyart. )

Note (M), page 92.

<<< Louis XVI goûta beaucoup les premiers entretiens du comte de Maurepas qui cherchait à lui plaire, en lui racontant des anecdotes sentimentales sur le dauphin, son père, pour lequel Louis XVI était pénétré de vénération. Maurepas confirma le roi dans la croyance que le duc de Choiseul avait hâté la mort du feu dauphin, et ne cessa de le maintenir dans la résolution d'éloigner à jamais le duc de la cour, et surtout du ministère. Il présentait, dans des mémoires manuscrits et dans ses conversations intimes, le duc de Choiseul comme un dissipateur des deniers de l'État, qui, pour se former en France un parti inattaquable, avait prodigué plus de douze millions de pensions, accordées inutilement à des gens sans autre mérite que celui d'être protégés par la maison de Choiseul.

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Maurepas fit un jour dresser le tableau des grâces accordées à toutes les maisons qui portaient le nom de Choiseul, et démontra qu'aucune autre famille en France ne coûtait le quart de ce qu'avait envahi celle de ce ministre. Ainsi, à mesure que la reine tourmentait Louis XVI pour rappeler Choiseul à la cour, M. de Maurepas, travaillant en sens contraire, le faisait détester du prince. Sa haine pour M. de Choiseul l'avait élevé en place, la même haine l'y conserva. De là les premières animosités de Marie-Antoinette contre M. de Maurepas. Elle avait résolu de tout faire en France pour rappeler au gouvernement l'ami de sa maison et l'auteur de son mariage.

>> Les autres ministres travaillaient dans le même sens que

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