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dans un endroit solitaire, mais qui fut bientôt connu; et là elle donnait à téter à son royal enfant. Madame eut la curiosité de la voir, et se rendit un jour à la manufacture de Sèvres avec moi, sans me rien dire. Quand elle eut acheté quelques tasses, elle me dit : « Il faut que j'aille promener au bois de Boulogne, » et donna l'ordre pour arrêter où elle voulait pour mettre pied à terre. Elle était très-bien instruite; elle approcha du lieu; elle me donna le bras, se cacha dans ses coiffes, et mit son mouchoir sur le bas de son visage. Nous nous promenâmes quelques momens dans un sentier d'où nous pouvions voir la dame allaitant son enfant. Ses cheveux, d'un noir de jais, étaient retroussés avec un peigne orné de quelques diamans. Elle nous regarda fixement, et Madame la salua; et, me poussant par le coude, elle me dit : « Parlez-lui. » Je m'avançai et lui dis : « Voilà un bien bel enfant. · Oui, dit-elle, je peux » en convenir, quoique je sois sa mère. » Madame, qui me tenait sous le bras, tremblait, et je n'étais pas trop rassurée. Mademoiselle Romans me dit : « Êtes-vous des environs ?

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Madame, lui dis-je, je demeure à Auteuil avec cette dame, >> qui souffre en ce moment d'un mal de dents cruel. Je la » plains fort, car je connais ce mal qui m'a bien souvent tour» mentée. » Je regardais de tous côtés, dans la crainte qu'il ne survînt quelqu'un qui nous reconnût. Je m'enhardis à lui demander si le père était un bel homme. « Très-beau, me dit» elle, et si je vous le nommais, vous diriez comme moi. » J'ai donc l'honneur de le connaître, madame? Cela est » très-vraisemblable. » Madame, craignant comme moi quelque rencontre, balbutia quelques mots d'excuse de l'avoir interrompue, et nous prîmes congé. Nous regardâmes derrière nous à plusieurs reprises, pour voir si l'on ne nous suivait pas; et nous regagnâmes la voiture sans être aperçues. « Il faut con» venir que la mère et l'enfant sont de belles créatures, dit » Madame, sans oublier le père. L'enfant a ses yeux. Si le roi » était venu pendant que nous étions là, croyez-vous qu'il nous >> eût reconnues? - Je n'en doute pas, Madame. Et dans quel

>> embarras j'aurais été, et quelle scène pour les assistans, de »> nous voir toutes deux ; mais quelle surprise pour elle ! » Madame fit présent le soir au roi des tasses qu'elle avait achetées, et ne dit pas qu'elle s'était promenée, dans la crainte que le roi, en voyant mademoiselle Romans, ne lui dît que des dames de sa connaissance étaient venues un tel jour. Madame de Mirepoix dit à Madame : « Soyez persuadée que le roi se soucie >> fort peu de ses enfans naturels; il en a assez, et ne voudrait >> pas s'embarrasser de la mère et du fils. Voyez comme il s'oc>> cupe du comte du Lue qui lui ressemble d'une manière frap» pante! Il n'en parle jamais, et je suis sûre qu'il ne fera rien » pour lui. Encore une fois, nous ne sommes pas sous Louis » le XIV. » C'est ainsi que s'expriment les Anglais. Elle avait été ambassadrice à Londres. » (Journal de madame du Hausset.)

<«< MADAME me fit appeler un jour et entrer dans son cabinet où était le roi qui se promenait d'un air sérieux. « Il faut, me » dit-elle, que vous alliez passer quelques jours à l'avenue de >> Saint-Cloud, dans une maison où je vous ferai conduire : » vous trouverez là une jeune personne prête à accoucher. » Le roi ne disait rien, et j'étais muette d'étonnement. « Vous » serez la maîtresse de la maison et vous présiderez, comme » une déesse de la fable, à l'accouchement. On a besoin de >> vous pour que tout se passe suivant la volonté du roi et se>> crètement. Vous assisterez au baptême et indiquerez les » noms du père et de la mère. » Le roi se mit à rire et dit : Le père est un très-honnête homme. Madame ajouta : Aimé de tout le monde et adoré de tous ceux qui le connaissent. Madame s'avança vers une petite armoire, en tira une petite boîte qu'elle ouvrit ; elle en sortit une aigrette de diamans, en disant au roi : « Je n'ai pas voulu, et pour cause, qu'elle fût plus belle.· >> Elle l'est encore trop, » et il embrassa Madame en disant : Que vous êtes bonne! Elle pleura d'attendrissement, et mettant la main sur le cœur du roi : « C'est là que j'en veux, » ditelle. Les larmes vinrent aussi aux yeux du roi, et je me mis

aussi à pleurer sans trop savoir pourquoi. Ensuite le roi me dit « Guimard vous verra tous les jours pour vous aider et >> vous conseiller, et au grand moment vous le ferez avertir de » se rendre auprès de vous. Mais nous ne parlons pas du par>> rain et de la marraine; vous les annoncerez comme devant » arriver, et un moment après, vous aurez l'air de recevoir » une lettre qui vous apprendra qu'ils ne peuvent venir. Alors >> vous ferez semblant d'être embarrassée, et Guimard dira : Il » n'y a qu'à prendre le premier venu, et vous prendrez la » servante de la maison et un pauvre ou porteur de chaises, et >> vous ne leur donnerez que douze francs pour ne pas attirer >> l'attention. Un louis, ajouta Madame, pour ne pas faire » d'effet dans un autre sens. C'est vous qui êtes cause de >> mes économies dans certaines circonstances, dit le roi. Vous >> souvenez-vous du fiacre? Je voulais lui donner un louis, et » le duc d'Ayen me dit: Vous vous ferez reconnaître, et je >> lui fis donner un écu de six francs. >> Il allait raconter l'histoire; Madame lui fit signe de se taire, et il eut bien de la peine à se contenir. Elle m'a dit depuis que le roi, dans le temps des fêtes pour le mariage de monseigneur le dauphin, avait été la voir à Paris, en fiacre, chez sa mère. Le cocher ne voulait pas avancer, et le roi voulait lui donner un louis. « La » police en sera instruite demain, dit le duc d'Ayen, et les » espions feront des recherches qui nous feront peut-être re» connaître. »

«< Guimard, dit le roi, vous dira le nom du père et de la » mère; il assistera à la cérémonie qui doit être le soir, et il » donnera les dragées. Il est bien juste que vous ayez les » vôtres; » et il tira cinquante louis qu'il me remit avec cette mine gracieuse qu'il savait prendre dans l'occasion, et que n'avait personne autre que lui dans son royaume. Je lui baisai la main en pleurant. — « Vous aurez soin de l'accouchée, >> n'est-ce pas ? C'est une très-bonne enfant qui n'a pas inventé » la poudre; et je m'en fie à vous pour la discrétion. Mon >> chancelier vous dira le reste, » dit-il en se tournant vers

Madame; et il sortit. « Eh bien, comment trouvez-vous mon » rôle? dit-elle. D'une femme supérieure et d'une excel>> lente amie, lui dis-je. C'est à son cœur que j'en veux, » me dit-elle, et toutes ces petites filles qui n'ont point d'édu» cation ne me l'enlèveront pas. Je ne serais pas aussi tran» quille, si je voyais quelque jolie femme de la cour et de la » ville tenter sa conquête. » Je demandai à Madame si la jeune personne savait que c'était le roi qui était le père. « Je ne le >> crois pas, dit-elle; mais comme il a paru aimer celle-ci, on >> a craint qu'on ne se soit trop empressé de le lui apprendre. » Sans cela on voulait insinuer à tout le monde, dit-elle en >>levant les épaules, que le père est un seigneur polonais, » parent de la reine, et qui a un appartement au château. » Cela a été imaginé, à cause du cordon bleu que le roi n'a » pas souvent le temps de quitter parce qu'il faudrait changer » d'habit; et pour donner raison du logement qu'il a au châ>>teau si près du roi. » C'étaient deux petites chambres du côté de la chapelle, où le roi se rendait de son appartement, sans être vu de qui que ce soit, sinon d'une sentinelle qui avait ses ordres et qui ne savait pas qui passait par cet endroit. Le roi allait quelquefois au Parc-aux-Cerfs, ou recevait ces demoiselles dans l'appartement dont j'ai parlé.

» Madame me dit : « Tenez compagnie à l'accouchée pour >> empêcher qu'aucun étranger ne lui parle, pas même les gens » de la maison. Vous direz toujours que c'est un seigneur po>> lonais, fort riche, et qui se caché à cause de la reine qui est >>fort dévote. Vous trouverez dans la maison une nourrice à » qui l'enfant sera remfis, et tout le reste regarde Guimard. » Vous irez à l'église comme témoin, et il faudra faire les choses » comme le ferait un bon bourgeois. On croit que la demoi>> selle accouchera dans cinq ou six jours. Vous dînerez avec >> elle et vous ne la quitterez pas jusqu'au moment où elle sera >> en état de retourner au Parc-aux-Cerfs; ce qui, je suppose, » sera dans une quinzaine de jours, sans qu'elle coure aucun risque. » Je me rendis le soir même à l'avenue de Saint

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Cloud, où je trouvai l'abbesse et Guimard, garçon du château, mais sans habit bleu ; il y avait de plus une garde, une nourrice, deux vieux domestiques, et une fille, moitié servante, moitié femme de chambre. La jeune fille était de la plus jolie figure, mise fort élégamment, mais sans rien de trop marquant. Je soupai avec elle et avec la gouvernante qui s'appelait madame Bertrand. J'avais remis l'aigrette de Madame avant le souper, ce qui avait causé la plus grande joie à la demoiselle, et elle fut fort gaie. Madame Bertrand avait été femme de charge chez M. Le Bel, premier valet de chambre du roi qui l'appelait Dominique, et elle était son confidentissime. La demoiselle causa avec nous après souper, et me parut fort naïve. Le lendemain j'eus avec elle une conversation particulière, et elle me dit : « Comment se porte M. le comte (c'était » le roi qu'elle appelait ainsi)? Il sera bien fâché de n'être pas » auprès de moi, » me dit-elle, « mais il a été obligé de faire >> un assez long voyage. » Je fus de son avis. « C'est un bien >> bel homme, » ajouta-t-elle, et il m'aime de tout son cœur; il » m'a promis des rentes, mais je l'aime sans intérêt, et s'il » voulait je le suivrais dans sa Pologne. » Elle me parla ensuite de ses parens et de M. Le Bel qu'elle connaissait sous le nom de Durand. « Ma mère, » me dit-elle, « était une grosse épi>>cière droguiste, et mon père n'était pas un homme de rien : » il était des six corps, et c'est, comme tout le monde sait, ce » qu'il y a de mieux; enfin il avait pensé deux fois être éche» vin. » Sa mère avait, après la mort de son père, essuyé des banqueroutes; mais M. le comte était venu à son secours, et lui avait donné un contrat de quinzents livres de rentes et six mille francs d'argent comptant. Six jours après elle accoucha; et on lui dit, suivant mes instructions, que c'était une fille, quoique ce fût un garçon ; et bientôt après, on devait lui dire que son enfant était mort, pour qu'il ne restât aucune trace de son existence pendant un certain temps; ensuite on le remettait à la mère. Le roi donnait dix à douze mille livres de rentes à chacun de ses enfans. Ils héritaient les uns des autres

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