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LETTRE XLVIII.

Élisa à Zoé.

Fréville, ce 12 juin 1809.

QUE d'événemens heureux j'ai à te raconter, ma chère Zoé! La première lettre de mon frère ne contenait que quelques lignes écrites peu d'heures après le combat; nous venons d'en recevoir une seconde. Quoique ma main tremble encore de la vive émotion que je viens d'éprouver, je prends la plume pour te faire jouir de notre bonheur. Bon et aimable Charles! à quels dangers ses jours ont été exposés! Ce n'est pas assez d'avoir couru les chances funestes d'un combat ; une espèce de duel, au milieu du champ de bataille, vient de placer notre jeune brave au nombre de ceux qui ont eu l'honneur d'être remarqués par leur général en chef; il a combattu et vaincu un commandant de hullans qui paraissait vouloir, en quelque sorte, braver sa jeunesse. Napoléon a daigné le nommer capitaine et membre de la légion-d'honneur sur le champ de bataille. La voilà, cette croix! Voilà les portes d'Ecouen ouvertes à ton amie, et cette réunion tant désirée aura lieu incessamment.

Le croiras-tu? Charles n'a pas un instant oublié

le vœu que je formais d'être auprès de ma chère Zoé; dès le lendemain, il a obtenu du maréchal duc de..... la promesse d'écrire à monseigneur le grand-chancelier, pour faire placer mon nom sur la prochaine liste des prétendantes au titre d'élèves de la maison d'Ecouen.

Ce travail doit incessamment être envoyé de Paris en Allemagne; Napoléon n'interrompt pas les travaux de ses conseils, même pendant les plus pénibles campagnes; j'ose donc me flatter d'avoir ma lettre de nomination avant la fin de la belle saison. Ce qui rend mon bonheur complet, c'est de voir ma mère partager ma satisfaction. En peu de minutes, nous avons fait tous nos arrangemens; nous partons la semaine prochaine pour le château de madame de..... Une de ses nièces vient de se marier; elle se rend à Paris dans le mois d'août, et consentira sûrement à nous y mener. Adresse donc tes lettres à Clermont.

Quelle joie, ma chère et bonne Zoé! je vais t'embrasser, je vais revoir l'amie le plus tendrement chérie; retrouver toutes les qualités aimables qu'elle doit à la nature, embellies par le développement

de sa raison !

Adieu, présente mon respect à madame la surintendante; ma mère aura l'honneur de lui écrire pour lui annoncer qu'une fois encore je jouirai de l'avantage de vivre auprès d'elle et de recevoir ses leçons avec respect et une tendresse filiale.

LETTRE XLIX.

Elisa à M. le curé de Fréville.

MON CHER ONCLE,

Écouen, ce 14 août 1809.

Déjà ma mère vous a donné le détail de notre voyage et de notre séjour à Paris; elle vous a sûrement rendu compte de la manière honorable dont son excellence le grand-chancelier a bien voulu nous recevoir. Votre Élisa a besoin quelquefois, mon cher oncle, de se rappeler tout ce qu'elle vous doit, pour tenir loin d'elle un léger sentiment d'orgueil qui pourrait s'emparer de son cœur, et détruire les fruits de vos sages conseils. On me fait trop d'honneur en accordant à mes jeunes années le mérite d'une raison que vous avez fait éclore, et qui s'affaiblirait bien vite par les défauts naturels à mon âge, si votre bienveillante sollicitude se ralentissait. Continuez, mon cher oncle, à guider cette Elisa qu'une ambition pardonnable éloigne pour quelque temps de celui qu'elle révère comme son père. Je vous communiquerai mes plus secrètes pensées, comme si je jouissais encore de vos entre

tiens; combattez mes jugemens lorsqu'ils seront faux ou légèrement portés, et grondez-moi quand je le mériterai.

Zoé est devenue charmante; elle croit m'être redevable des qualités dont tout le monde la félicite mais c'est à vous, mon cher oncle, que doit s'adresser toute sa reconnaissance; je n'étais que votre écho, et je n'ai fait que lui transmettre ce que je tenais de vos précieux entretiens. Zoé est grandie, et réunit à un excellent maintien un air modeste et gracieux. Souvent, à Valence, elle était parée sans être habillée; ici, avec l'uniforme le plus simple, elle semble avoir fait une toilette recherchée. Sa joie, en me voyant, a été des plus vives; nos larmes se sont long-temps confondues ma mère nous tenait embrassées comme deux filles chéries. Madame la surintendante nous a retenues toutes trois à dîner, et nous ne pouvons trop nous louer de l'accueil que nous en avons reçu.

:

Me voici donc élève de la maison d'Ecouen! mais, après l'avoir si vivement désiré, les nouveaux engagemens que ce titre me fait contracter me donnent une certaine crainte; je sens que l'on exigera beaucoup plus de moi dans le monde lorsque j'y reparaîtrai; le peu que j'avais acquis par mon seul travail inspirait une bienveillance à laquelle je n'ai plus le droit de prétendre. Soutenez-moi, mon cher oncle, par vos utiles conseils, et diminuez par vos lettres la tristesse que notre séparation fait déjà naître dans mon cœur. Ecrivez-moi le plus souvent

qu'il vous sera possible. Je devrais dire, écriveznous, car Zoé partage et mes sentimens et l'admiration que vous avez fait naître dans le cœur de votre Elisa pour tout ce qui vient de votre indulgente sagesse. Faites, mon cher oncle, que nous soyons pour toujours, l'une et l'autre, dignes de nos parens et de l'honorable titre d'élèves de la maison d'É

couen.

FIN DU TROISIÈME VOLUME.

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