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désire; mais je me figure déjà voir ton frère décoré de la croix avant la fin de la campagne; je te vois entrer à Écouen comme pensionnaire, y rester deux années, recevoir des leçons pour les talens que tu veux cultiver, et donner toi-même des soins à une des classes de nos petites compagnes. Je jouirai des suffrages que tu obtiendras : je serai si fière de mon amie et si heureuse de t'avoir près de moi, que le séjour d'Écouen deviendra pour toujours l'époque la plus heureuse de ma vie.

LETTRE XLVI.

Elisa à Zoé.

Fréville, ce 18 mai 1809.

DEPUIS long-temps tu n'as point eu de mes nouvelles, ma chère Zoé; pouvais-je écrire? Nos jours se passaient à attendre l'heure de la poste. Nous savions que le régiment de mon frère devait donner un des premiers: nous agissions, nous parlions encore de choses indifférentes, mais machinalement; et toutes les fois que les yeux de ma mère et les miens se rencontraient, des larmes venaient y dévoiler l'unique et secrète pensée de nos cœurs. Enfin, hier, ma chère Zoé, nous avons reçu, de la main de mon frère, un court récit de la bataille de Ratisbonne, La victoire ne quitte jamais les drapeaux français; la guerre ne vient que de commencer, et l'ennemi a déjà essuyé une déroute. On parle de villages incendiés; que de familles sans asile! que d'enfans sans vêtement et sans pain! Mon imagination me transporte vers ces pays dévastés. Ce sont des terres étrangères : mais j'en suis bien sûre, dès que la victoire est remportée, les cœurs de nos guerriers gémissent sur tant d'infor

tunes particulières; et si la renommée pouvait publier les actions que la vertu ordonne de tenir secrètes, l'univers retentirait des traits de sensibilité des Français, comme il retentit de leurs triomphes. Mon frère nous a raconté qu'un des généraux sous les ordres duquel il a servi sortait toujours seul avec un de ses serviteurs, le lendemain d'une victoire; il parcourait les campagnes ravagées, et portait des secours aux infortunés que la bataille avait ruinés. Mon frère nous annonce que bientôt l'armée française sera dans Vienne; pourra-t-on refuser une glorieuse et solide paix à celui contre lequel on ne saurait faire la guerre ? Le sort a jusqu'ici préservé notre cher Charles de la moindre blessure; tu dois t'en réjouir avec sa sœur je t'entretiens de notre bonheur, car je sais toute la tendresse que tu as vouée à ta fidèle amie.

LETTRE XLVII.

:

Zoé à Elisa.

Écouen, ce 6 juin 1809.

J'ai regretté Valence depuis quelques jours, ma chère Elisa; mais ce n'était plus les regrets d'une enfant je m'affligeais d'être éloignée de toi dans des momens que l'inquiétude devait te rendre si longs. Je te savais, il est vrai, près de ta mère; mais, comme tu le dis, la crainte de l'affliger te faisait garder le silence, et avec moi tu aurais pu verser toutes tes larmes et redire vingt fois le sujet de tes craintes.

Enfin tu as eu des nouvelles de ton frère : la campagne a commencé par des succès; il espère que l'armée sera bientôt à Vienne : espérons aussi, et tandis que chaque Français contribue à nos victoires par sa bravoure, essayons de la fixer par nos prières.

Nous eûmes avant-hier une superbe cérémonie; la procession de la Fête-Dieu a eu lieu avec une pompe et une solennité dignes de l'établissement d'Ecouen. On avait fait construire un reposoir à l'extrémité de notre parterre. La procession était

ouverte par les filles de service habillées en uniforme; elles portaient la croix la bannière de la Vierge venait ensuite; l'honneur de la porter a été accordé aux élèves des sections bleues; les sections des nacarats et des blanches portaient le dais et les cordons du dais: cinquante petites élèves, avec des voiles de mousseline retenus sur leurs têtes par des couronnes de bleuets, venaient ensuite; elles tenaient des corbeilles remplies de fleurs, et marchaient devant le Saint-Sacrement. Le grand-chancelier et madame la surintendante suivaient le dais, ainsi que les dames dignitaires et celles des autres dames qui ne conduisaient pas les élèves. Le reste des sections qui n'étaient pas employées dans la marche de la procession formait deux files. Nous avons marché jusqu'au reposoir en chantant des cantiques; le temps était superbe, le soleil éclatant, et l'air était rempli de l'odeur des fleurs qu'on avait jetées sur notre passage; nous sommes ensuite revenues à la chapelle où nous avons chanté une messe en musique.

Adieu, ma chère Élisa, donne-moi les nouvelles que ton frère ne manquera pas de t'envoyer bientôt; je n'ai pas besoin, quelque occupée que tu sois de lui, de te recommander de songer à moi et à mes inquiétudes sur tout ce qui te touche.

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