Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

LETTRE XXXVIII.

Élisa à Zoé.

Fréville, ce 28 décembre 1808.

Le remboursement inattendu d'une somme d'argent nous a forcées d'aller pour quelques jours à Valence. Je savais le départ de tes parens pour Paris j'ai pensé que tu étais livrée toute entière au bonheur de les revoir; et j'ai différé à t'écrire jusqu'à mon retour au presbytère.

:

Nos affaires étant terminées, et le séjour de Fréville nous plaisant beaucoup, nous ne retournerons pas à Valence cet hiver. Madame Firmin, cette ancienne amie de ma mère, reste avec nous; mon oncle a fixé auprès de lui un ecclésiastique très-instruit, auteur de plusieurs recherches savantes sur l'histoire. Il est d'une extrême complaisance, il nous fait chaque soir quelque lecture intéressante pendant que nous travaillons à l'aiguille, et de la sorte les longues soirées d'hiver s'écoulent avec une surprenante rapidité. Ce n'est plus la crainte de rencontrer à la ville des personnes que l'on veut que j'évite, qui nous retient ici, mais seulement le bonheur que nous y trou

vons. Il a fallu bien moins de temps que nous ne le pensions, pour disperser la société que nous avons vue cet été chez M. de Mirbot. Le préfet a été appelé à Paris, le colonel est parti pour l'Espagne, et le général a obtenu un commande

ment.

Mais ce qui est très-affligeant est de savoir que les demoiselles Buret se soient perdues par leurs inconséquences. Elles se sont crues assurées d'épouser l'une l'aide-de-camp du général, et l'autre le colonel; toute la ville le croyait aussi. Ces deux officiers ne quittaient plus la maison de leur mère on les voyait, au spectacle dans sa loge; à la promenade, ils donnaient toujours le bras aux deux demoiselles. La mère confiait à ses amis que ces messieurs recherchaient ses filles en mariage; elle allait jusqu'à dire que les noces auraient lieu le même jour, et visitait des marchands pour acheter les trousseaux. On pense qu'elle croyait ainsi engager l'honneur des deux officiers, et les forcer à cette alliance à laquelle cependant ils ne songeaient pas.

Sur ces entrefaites, ils ont reçu l'ordre de partir pour l'Espagne; et, avant de quitter Valence, craignant probablement d'y laisser une mauvaise réputation, ils ont dit hautement, dans plusieurs bonnes maisons de la ville, qu'ils n'avaient pas montré le moindre désir de se marier; qu'ils avaient été pressés par madame Buret de regarder sa maison comme la leur propre; que la faute était en

tièrement à cette dame d'avoir établi des relations trop familières entre deux militaires et ses filles : mais qu'ils n'avaient en rien manqué aux lois de l'honneur. Toute la ville blâme la mère, et l'on trouve qu'il est inutile d'avoir quarante-cinq ans pour raisonner si pitoyablement, et pour guider si mal les êtres que l'on chérit le plus.

LETTRE XXXIX.

Zoé à Elisa.

Écouen, ce 15 janvier 1809.

Mon père ne retournera pas à Valence, ma chère Elisa; il est employé à l'armée d'Espagne, et part de Paris dans quinze jours. Ma mère y restera jusqu'au printemps : elle voulait se fixer à Écouen; mais j'ai moi-même contribué à la détourner de ce projet. J'aurais souffert de la savoir reléguée tout le reste de la mauvaise saison dans un village pour voir ses enfans seulement le dimanche et le jeudi; car les autres jours nous sommes occupées sans relâche, excepté dans quelques momens de récréation que nous avons après les repas. Mon père m'a su gré d'avoir songé aux jouissances de ma mère de préférence aux miennes. Il m'a tendrement embrassée en me disant qu'il voyait bien que j'avais maintenant le cœur d'une bonne fille, et non plus celui d'un enfant gâté.

Tes détails sur Valence m'ont bien intéressée. Ma mère m'avait dit seulement que les demoiselles Buret s'étaient perdues par leurs imprudences.

Adieu, ma chère Elisa : mon père part satisfait

de ses enfans; ma mère doit venir me voir tous les dimanches, et je vais passer mon hiver bien agréablement; tu me parais contente des dispositions faites pour le tien puissions-nous être toujours

aussi heureuses!

« ZurückWeiter »