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LETTRE XXIX.

Zoé à Élisa.

Écouen, ce 10 septembre 1808.

QUE tu es aimable, ma chère Élisa, de me donner des détails si importans pour ton bonheur et si intéressans par eux-mêmes! Tu as bien jugé la joie sincère que je devais en éprouver. Que ta bonne mère, que ton oncle doivent être heureux! Pour moi, j'avais peine à me persuader ce que tu me mandais. J'ai lu ta lettre plus de vingt fois : je l'ai lue aussi à notre dame surveillante; elle en a été charmée presque toutes mes compagnes m'ont félicitée comme si j'étais l'héritière. J'en ai été touchée, et, depuis ce moment, je sens que je les aime sincèrement. J'avais méconnu d'abord la plupart de celles qui viennent de me montrer la bonté de leur cœur. Je m'étais liée avec une jeune personne fort drôle, qui, dans le commencement, lorsque je m'ennuyais, avait trouvé le moyen de me divertir; elle faisait mille singeries qui amusaient aussi beaucoup toutes mes camarades. Elle choisit ordinairement l'instant le plus sérieux de la leçon pour nous donner le plaisir de la récréation alors elle

se met en devoir de singer l'institutrice; elle tousse comme elle, imite son geste lorsqu'elle prend du tabac, et si la pauvre dame répète par hasard un mot qui lui soit familier, aussitôt le petit singe invente une phrase fort raisonnable pour placer ce mot favori; nous rions toutes, et la rusée garde son sérieux, comme si elle était étrangère à ce désordre. Tous ces petits tours de passe-passe, qui m'avaient d'abord séduite, ont souvent causé de grandes rumeurs. La dame institutrice allait se plaindre à madame la directrice; mais l'esprit de corps nous empêchait de dénoncer la coupable. Madame la directrice approuve cette coutume de ne pas se trahir entre compagnes, et dernièrement elle nous disait : << N'imitez pas le mal, mesdemoiselles; mais ne le dénoncez pas. Assez d'yeux clairvoyans veillent sur >> vous et le découvriront: la délation entre cama>> rades est un vice, et les délateurs sont voués au mépris de la société. »

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Je ne dénoncerai certainement jamais cette jeune personne, mais j'ai cessé d'avoir aucune liaison avec elle. Elle a failli déjà m'entraîner dans bien des fautes auxquelles je n'ai échappé que par miracle; et tout à l'heure, lorsque les élèves de ma classe me témoignaient leur joie pour la bonne nouvelle que j'ai reçue, elle a bien fait voir par son indifférence qu'elle ne m'avait jamais recherchée que pour avoir en moi une compagne de folie.

Madame la directrice m'a fait inviter ce matin à diner, pour me donner la satisfaction de me réjouir

avec elle de ton bonheur; j'y suis allée fort joyeusement, et il m'a paru bien doux, éloignée comme je le suis de ma famille et de tous ceux qui me sont chers, de voir qu'ici on s'intéressait même au bonheur de mes amis.

LETTRE XXX.

Élisa à Zoé.

Au château de....., ce 20 septembre 1808.

MON séjour dans ce château me plaît chaque jour davantage, ma chère Zoẻ; une vie pieuse et calme est plus analogue à mon goût qu'une vie bruyante. Des entretiens mêlés d'anecdotes ou de remarques instructives viennent animer nos soirées. Madame de..... est encore si aimable, qu'on est surpris de trouver tant d'attraits dans une femme de son âge; quand elle n'a point à se plaindre de sa santé, le désir de plaire à ses amis lui fait retrouver ce choix heureux d'expressions qui la faisait citer comme une des femmes les plus aimables de l'ancienne cour. Elle ne paraît jamais avoir envie de parler, et l'on a toujours le désir de l'entendre. Rien n'égale l'intérêt de ses récits sur tous les événemens dont elle a été témoin. On n'y remarque ni prétention ni esprit de parti; elle sait se rappeler le passé et jouir de son bonheur actuel. Quelquefois elle nous reporte vers le règne de Louis XV, époque à laquelle

elle faisait les délices de la cour. Les vieilles personnes de ce temps se plaisaient à l'instruire des anecdotes de la régence et des dernières années du règne de Louis XIV. Elle les raconte avec l'aisance de la conversation et ce caractère de vérité qui fait le mérite d'un récit: on croit que l'événement vient de se passer.

Les jours où elle est moins disposée à rendre la conversation intéressante, madame de..... fait apporter des tables de jeu. Quelques hommes s'établissent à un trictrac; d'autres font la partie de ma mère; le reste de la société joue au loto. On sert le souper à neuf heures. En quittant la table, on passe dans une pièce qui précède la chapelle. C'est une chambre particulièrement destinée à la prière du soir. Le prie-dieu de madame de..... et beaucoup de chaises se trouvent rangés du même côté; l'aumônier vient se placer en face de la maîtresse de la maison; les domestiques, et même les filles de basse-cour, entrent avec nous; et tous s'agenouillent pour entendre la prière.

Notre manière de vivre, quoique différente de la tienne, ma chère Zoé, est tout aussi régulière, et je ne puis te faire des récits bien variés : mais tu aimes tout ce qui me touche; et si, comme je le crois, tu commences à prendre quelque goût à la retraite, les détails de cette vie simple pourront te plaire.

Je t'envoie deux lettres de mon oncle; je les ai

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