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LETTRE XVI.

Zoé à Elisa.

Écouen, ce 19 mai 1808.

Nous avons eu, il y a huit jours, la visite d'une personne d'un haut rang, que madame la directrice a eu l'honneur d'élever. Quoique les bâtimens ne soient pas encore entièrement achevés, elle est venue visiter notre maison. On travaille au pont qui conduit à l'entrée principale; la voiture n'a pu arriver jusqu'à la cour, mais la personne qu'on attendait a franchi très-lestement les planches qui servent à passer sur le fossé; elle a été reçue à la porte de la chapelle par le premier aumônier et par les autres ecclésiastiques attachés à la maison, et a entendu notre messe. Nous sommes toutes enchantées des grâces, de la bonté et de l'air de noblesse de cette personne; elle avait avec elle son fils aîné il est très-vif et paraît fort spirituel. Sa fille est d'une beauté surprenante, et semble avoir déjà les grâces nobles et attrayantes de sa mère.

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L'ancienne élève de madame la directrice a déjeuné chez elle, et a fait cadeau d'une jolie bague à la demoiselle de semaine, qui aidait à faire les honneurs de la maison. On lui a dit des choses

très-obligeantes sur son maintien. On est heureux d'être de cette classe blanche. Tu en serais en entrant ici, ma chère Élisa; et moi je paie en ce moment mon étourderie, comme toi tu recevrais la récompense de ton application et de ton amour pour le travail. Je soupire en écrivant ceci; mais je n'adresse mes reproches qu'à moi seule. Je n'aurais pas acquis de grands talens à Valence; cependant le vieux secrétaire de mon père, le bon M. Dupuis, enseignait bien; il me donnait assidûment des leçons de grammaire, d'histoire et de géographie; mais je l'écoutais à peine, et je ne savais jamais mes leçons. Ma mère, qui ne songeait qu'à son ménage, et qui était souvent attristée par l'absence de mon père, me faisait de temps à autre des reproches je savais qu'ils devaient durer à peu près dix minutes; je fixais pendant tout ce temps les yeux sur la pendule pour calculer le moment où je serais quitte de son sermon. Mon attention tout entière se portait sur le progrès de l'heure, et je n'écoutais rien de ce que disait ma mère. Je me le reproche bien sincèrement, je voudrais maintenant regagner le temps que j'ai perdu; mais peut-être est-il trop tard: aide-moi de tes avis, encourage-moi par tes conseils, ma chère Élisa. Quelle précieuse chose qu'une bonne et sincère amie, et combien je suis heureuse d'en avoir rencontré une telle que toi!

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LETTRE XVII.

Elisa à Zoé.

Fréville, ce 6 juin 1808.

Un événement effrayant, mais heureusement terminé, ma chère Zoé, vient de resserrer encore, et pour toujours, cette tendre amitié qui unit nos deux familles. Ton respectable père se porte mieux que jamais; mais il doit maintenant la vie à la jeunesse et à l'intrépidité de mon frère. De tous les faits glorieux dont il espère embellir sa carrière, celui-là sera toute sa vie le plus cher à son cœur : il le disait à ton père avec une expression de tendresse qui faisait de cette simple vérité la chose la plus touchante du monde. Je vais te faire le récit de ce qui s'est passé hier à cinq heures, et qui avait d'abord jeté l'alarme dans tout le canton.

Tu sais sans doute que, depuis quelques jours tes parens sont à la terre de Mirbot. Il n'y a que deux lieues de cette campagne à la cure de mon oncle ton père, qui peut maintenant monter à cheval, a voulu lui faire une visite. Il avait formé le projet de faire cette course sans palfrenier; ta mère s'y était opposée; mais, comme tu le sais,

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l'habitude du général est de céder rarement aux représentations. Nous étions, mon oncle, Charles et moi, à nous promener le long du torrent qui nous sépare de la grande route. Nous en étions fort près, puisque le chemin est sur l'autre bord de l'eau, et de l'endroit où nous nous promenions on peut très-facilement se faire entendre des voyageurs; mais la traversée du torrent est si périlleuse, que les paysans eux-mêmes n'osent jamais l'entreprendre, et préfèrent remonter jusqu'au pont du village. Nous étions donc fort tranquilles, occupés seulement à jouir de la beauté de la campagne, quand nous vîmes tout à coup, de l'autre côté de l'eau, un cheval qui emportait son cavalier; il avait déjà perdu son chapeau, qui était tombé loin de lui. Charles reconnaît ton père : il s'élance; et, sans que nous puissions le retenir, il court vers le torrent, et s'y jette pour aller le secourir; mais l'eau était profonde, le courant rapide, et nous voyons mon pauvre frère enfoncer et disparaître. Je me jetai à genoux; mon oncle leva les mains vers le ciel, et dans ce triste moment où je crus mon frère mort je crus aussi que j'allais mourir. Mais aussitôt nou le vîmes reparaître il avait saisi une branche de saule, dont la racine tenait à l'autre bord; et le voilà déjà dans la plaine, courant après ton père, que son cheval emportait toujours. Nous sommes bien heureux que mon frère ait eu tant de courage; car bientôt le cheval de ton père fit un saut violent,

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le général fut renversé et tomba sur le sable. Cependant son pied restait pris dans l'étrier, et le cheval, encore plus animé, l'allait traîner bien loin, quand mon frère arriva, saisit la bride, arrêta le cheval, et nous garantit ainsi du plus grand malheur. Ce bon frère eut à peine sauvé les jours de ton père, qu'il songea à notre effroi; il se retourna vers nous, et nous criait: Rassurez-vous, il n'a rien, il n'est point blessé. Cependant j'avais peine à me remettre, et mon frère, inquiet de mon trouble, s'approchait du torrent, et se disposait à le franchir de nouveau pour venir me rassurer; mais mon oncle lui dit d'un ton de voix imposant : Je vous défends de passer; et ce brave Charles, que peu de minutes auparavant rien n'avait arrêté quand il fallait sauver ton père, plein de respect pour quelques paroles de son oncle, s'arrêta tout à coup, et prit avec ton père le chemin du village. Nous nous hàtàmes de marcher vers le même côté ; et quand nous arrivâmes, ton père était déjà arrivé au presbytère et parfaitement remis de sa chute. Nous l'entourions avec joie et nous admirions la Providence, dont les soins généreux avaient tout disposé pour sauver sa vie. Il aurait pu rencontrer des pierres, et il était tombé sur le sable; la jambe qui était restée suspendue à l'étrier n'est point celle qui a été blessée. Enfin tu n'as maintenant que des grâces à rendre au ciel; l'événement ne peut avoir aucune suite fàcheuse, et il n'a fait que procurer à deux familles

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