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donne ici, il ne me paraît pas qu'on s'occupe beaucoup de remplir l'intention des parens. La cruelle cloche vient encore de se faire entendre; elle ne cesse de sonner la rentrée en classe, la leçon d'écriture, celle de l'institutrice; je ne pourrais lui pardonner son bruit infernal que si elle sonnait plus souvent la récréation. Elle sonne dix minutes avant le dîner, pour que nous remplissions, comme des servantes, l'agréable devoir de nettoyer nos bureaux et de balayer nos classes; puis elle sonne le dîner, le souper, le coucher: mais la plus détestable de toutes ces sonneries est celle du matin; enfin nous marchons ici comme une horloge. Ah! que je regrette ma petite chambre de Valence, si calme, si éloignée du bruit de la rue! Que j'étais injuste lorsque je murmurais contre un pauvre coq qui m'éveillait, à la vérité assez souvent, mais qui me laissait au moins la liberté de me rendormir! Ici, il faut que trois cents personnes marchent comme une seule, d'après une seule volonté, à un seul ordre; il y a, de plus, des minuties qui me révoltent. Crois-tu que pour aller d'un endroit à l'autre, lorsqu'on ne marche pas en procession, il faut tenir à la main une petite planche sur laquelle est écrit le nom de l'endroit où l'on vous permet de vous rendre? On y lit ces différens mots, Roberie, Lingerie, Musique, etc. Si une dame rencontre une élève sans cette espèce de passe-port, elle a le droit de la prendre par la main et de la conduire chez madame la directrice ; tu sens

qu'une visite faite de cette manière est très-désagréable. J'écrirais un volume de toutes les choses de ce genre établies dans la maison d'Écouen; tu dois juger combien il est affreux d'être soumise à un pareil despotisme. Écris-moi donc, ma chère Élisa; sans tes lettres je perdrais la raison; et ne m'abandonne pas à ma tristesse.

LETTRE XV.

Élisa à Zoé.

Chabeuil, ce 9 mai 1808.

Je te fàcherai sûrement, ma chère Zoé, en t'avouant que nous avons ri, ma mère et moi, de ta dernière lettre. Ton humeur contre le règlement, bien que plaisamment exprimée, n'est pas moins injuste. Les lois les plus sévères sont nécessaires pour contenir trois cents jeunes filles dans la même maison. Fait-on marcher un régiment sans discipline? Demande-le à ton père. La dame surveillante a eu parfaitement raison dans l'explication qu'elle t'a donnée de l'utilité des marches régulières lorsque vous passez d'un endroit à un autre. Si l'on permettait d'acheter du fruit ou des confitures, il y aurait une communication perpétuelle entre les élèves et les servantes. Les enfans contracteraient le goût des friandises; les moins riches éprouveraient des privations qui sait même si l'on n'aurait pas à gémir d'avoir, par cette indulgence, introduit parmi les élèves le vice le plus honteux? Une malheureuse petite fille, poussée par la gourmandise, peut se trouver cou pable d'un vol avant d'avoir appris à distinguer

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l'importance de sa faute. Ma mère prétend que, dans l'éducation publique, où l'on ne peut inspecter chaque élève assez particulièrement pour découvrir ses penchans secrets, il faut éviter tout ce qui peut faire succomber l'enfance à des tentations. Les premières impressions résistent souvent au développement de la raison. C'était un tort réel, dans l'ancienne éducation, de faire mettre les enfans à genoux et en prières tout le temps que durait un orage on leur donnait une idée fausse sur le danger qui menaçait leur vie. Dieu, dit-elle encore, dispose de nos jours de mille manières différentes. Le tonnerre n'est point son arme; il est trop puissant pour en avoir besoin : c'est un phénomène si bien expliqué de nos jours, qu'il n'est plus permis de l'ignorer: cependant on rencontre tous les jours des personnes qui raisonnent fort bien sur les effets de l'orage quand le ciel est calme, et qui, cédant à la force des premières impressions, tremblent au moindre coup de tonnerre. Mais je reviens à tes plaintes sur le déjeuner. Servir trois cents personnes d'une manière variée, ce serait pour les gens de cuisine une occupation trop pénible. Tu ignores donc qu'à SaintCyr, maison fondée par Louis XIV pour l'éducation des filles nobles et sans fortune, et où ma mère a été élevée, on ne donnait que du pain à déjeuner : elle trouve tous les articles de votre règlement non-seulement nécessaires, mais indispensables, et vos passe-ports en bois sont, à son

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avis, d'une invention parfaite. Tous ces jugemens, si contraires aux tiens, te blesseront, ma chère Zoé mais il faut te parler vrai; ces choses, qui te gênent et te contrarient, sont les bases de l'ordre qui règne dans votre maison; tu finiras par en reconnaître l'utilité, et par y céder aussi facilement que le fait ta sœur. A dix ans, toutes ces règles paraissent naturelles; à quinze, on doit en juger l'utilité et s'y soumettre par raison. Pour moi, je serais admise à dix-sept ans dans la maison d'Écouen, que j'étudierais toutes les parties du règlement, pour les observer avec la plus grande exactitude. Je serais bien heureuse, ma chère Zoé, de pouvoir té prouver que je pense tout ce que je dis, puisqu'alors je jouirais du bonheur d'être réunie à ma meilleure amie.

ΤΟΜ. 111.

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