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l'importance de sa faute. Ma mère prétend que, dans l'éducation publique, où l'on ne peut inspecter chaque élève assez particulièrement pour découvrir ses penchans secrets, il faut éviter tout ce qui peut faire succomber l'enfance à des tentations. Les premières impressions résistent souvent au développement de la raison. C'était un tort réel, dans l'ancienne éducation, de faire mettre les enfans à genoux et en prières tout le temps que durait un orage on leur donnait une idée fausse sur le danger qui menaçait leur vie. Dieu, dit-elle encore, dispose de nos jours de mille manières différentes. Le tonnerre n'est point son arme; il est trop puissant pour en avoir besoin : c'est un phénomène si bien expliqué de nos jours, qu'il n'est plus permis de l'ignorer : cependant on rencontre tous les jours des personnes qui raisonnent fort bien sur les effets de l'orage quand le ciel est calme, et qui, cédant à la force des premières impressions, tremblent au moindre coup de tonnerre. Mais je reviens à tes plaintes sur le déjeuner. Servir trois cents personnes d'une manière variée, ce serait pour les gens de cuisine une occupation trop pénible. Tu ignores donc qu'à SaintCyr, maison fondée par Louis XIV pour l'éduca

tion des filles nobles et sans fortune, et où ma mère a été élevée, on ne donnait que du pain à déjeuner elle trouve tous les articles de votre règlement non-seulement nécessaires, mais indispensables, et vos passe-ports en bois sont, à son

avis, d'une invention parfaite. Tous ces jugemens, si contraires aux tiens, te blesseront, ma chère Zoé mais il faut te parler vrai; ces choses, qui te gênent et te contrarient, sont les bases de l'ordre qui règne dans votre maison; tu finiras par en reconnaître l'utilité, et par y céder aussi facilement que le fait ta sœur. A dix ans, toutes ces règles paraissent naturelles; à quinze, on doit en juger l'utilité et s'y soumettre par raison. Pour moi, je serais admise à dix-sept ans dans la maison d'Ecouen, que j'étudierais toutes les parties du règlement, pour les observer avec la plus grande exactitude. Je serais bien heureuse, ma chère Zoé, de pouvoir te prouver que je pense tout ce que je dis, puisqu'alors je jouirais du bonheur d'être réunie à ma meilleure amie.

ΤΟΜ. 111.

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LETTRE XIII.

De la même à la méme.

Fréville, ce 5 mai 1808.

J'AI reçu le même jour, ma chère Zoé, tes deux lettres datées d'Écouen et de Paris. J'ai lu avec attendrissement l'expression de ta surprise lorsque tu as appris de madame la directrice qu'elle a bien voulu se charger de notre correspondance. Ma chère Zoé, ton âme est faite pour des sentimens Iouables, et tout ce que tu accordes de retour à ma tendresse ajoute encore à celle que j'ai pour toi. Tu le vois, lorsqu'on agit pour le bien, on n'a rien à redouter des plus sévères règlemens. Cette même personne qui interdit les correspondances inutiles, se charge de la nôtre. N'est-ce pas déjà un motif de l'aimer et de reconnaître sa justice?

Je ne vois pas pourquoi tu as été blessée de la. réflexion de la duchesse. L'usage du monde et le maintien sont des choses qui s'apprennent, et les conseils de cette dame indiquent seulement l'intérêt que tu lui inspires. Tu blames les femmes de la capitale et celles qui sont placées dans le grand monde, de s'ériger en juges sur les grâces et les bonnes manières. Mais, ma Zoé, oublies-tu donc

pas

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qu'en province nous ne parlons que de Paris et de sa supériorité pour les choses de bon goût? L'hiver à Valence, quand nous avons un bal, n'y a-t-il rivalité pour des parures que l'on dit venir toutes de Paris? C'est donc d'après une supériorité avouée pour tout ce qui est forme, mode et usage, que les Parisiennes, et surtout celles qui vivent dans la haute compagnie, prennent le droit de donner des avis aux femmes de province. Mais si tu ne trouves pas ces raisons assez fortes, ne dois-tu pas penser, en y réfléchissant, combien l'âge, le rang, et surtout l'amitié, donnaient de droits à la duchesse pour te parler avec franchise?

Mon frère et mon cousin sont arrivés. La campagne d'Eylau et celle de Friedland ont fait obtenir à mon frère le grade de lieutenant; mais il n'a pas la croix. Si j'avais ce ruban de la légion, me disaitil hier au soir, chère petite Elisa, je te ferais passer deux ans à Écouen avec ton amie; j'aurais le droit de solliciter cette faveur. Que je serais heureuse! me suis-je écriée; et tout à coup je me suis repentie de lui avoir témoigné ce désir, dans la crainte qu'il ne s'exposât pour mériter cette honorable récompense: mais ce bon frère, comme s'il eût compris ce qui se passait au fond de mon cœur, m'a dit que, par le nombre de campagnes qu'il comptait déjà, il avait lieu d'espérer qu'après celle qu'il va faire, il obtiendrait la croix, et pourrait ainsi, sans me faire verser de larmes, me procurer l'avantage que je paraissais tant souhaiter.

division. Un second coup de cloche s'est fait entendre pour la prière, et nous voilà toutes alignées, et marchant deux à deux au petit pas jusqu'à notre classe. Je me suis permis de demander à la dame surveillante pourquoi elle nous rangeait si ridiculement en procession : elle m'a répondu par je ne sais quelle raison: elle prétend que sans cette précaution les enfans se heurteraient dans les portes et pourraient se blesser. Après la prière, la cloche s'est encore fait entendre: c'était pour la messe. Toutes mes compagnes sont allées au même endroit prendre leurs livres, et nous voilà encore alignées. La messe dite, on a sonné le déjeuner; mais quel déjeuner! A l'exception de celles dont la santé est délicate, et auxquelles les infirmières apportent du chocolat, nous avons toutes du lait; un autre jour nous aurons du raisiné ou du fruit. Ne serait-il pas plus agréable de déjeuner selon son goût, avec du café, du chocolat ou des confitures? Mais on nous prive même de la satisfaction d'avoir de l'argent, et nous ne pouvons acheter les choses qui nous seraient agréables. Demain je serai obligée de me faire éveiller par une de mes compagnes du dortoir; car on m'a annoncé que j'aurais de plus à faire la toilette de Victorine. Il m'a fallu marquer tout mon trousseau; je suis forcée d'aller à la roberie faire moi-même mes robes, mes tabliers, ma toque de velours et mon chapeau. Je ne croyais pas que l'on dût faire de moi une couturière; et dans l'éducation que l'on

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