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LETTRE XIV.

Zoé à Élisa.

Écouen, ce 4 mai 1808.

QUELLE horrible maison, ma chère Élisa! Quelle vie j'y vais mener! Je me ressentirai toute la journée du réveil que j'ai eu aujourd'hui. Comme je m'étais enrhumée à Paris, ma mère avait désiré qu'en arrivant on me couchât à l'infirmerie; maintenant je suis guérie, et je viens d'être installée dans un dortoir voisin de la cloche qui sonne les devoirs. A six heures j'ai entendu un bruit terrible; j'ai d'abord été fort effrayée; mais j'ai passé la tête sous ma couverture, et me suis bientôt rendormie. Cependant je me suis entendu appeler par mon nom; j'ai regardé, et j'ai vu la dame surveillante, tout habillée, qui était arrêtée au pied de mon lit. Mes compagnes étaient déjà levées et prêtes à passer en classe; il m'a donc fallu prendre mon parti, et, un œil fermé, l'autre ouvert, je me suis habillée; mais, en me hâtant, j'avais mis mon tablier à l'envers, et, pour surcroît de plaisir, j'ai eu l'agrément de servir de risée à toute ma

division. Un second coup de cloche s'est fait entendre pour la prière, et nous voilà toutes alignées, et marchant deux à deux au petit pas jusqu'à notre classe. Je me suis permis de demander à la dame surveillante pourquoi elle nous rangeait si ridiculement en procession: elle m'a répondu par je ne sais quelle raison: elle prétend que sans cette précaution les enfans se heurteraient dans les portes et pourraient se blesser. Après la prière, la cloche s'est encore fait entendre: c'était pour la messe. Toutes mes compagnes sont allées au même endroit prendre leurs livres, et nous voilà encore alignées. La messe dite, on a sonné le déjeuner; mais quel déjeuner! A l'exception de celles dont la santé est délicate, et auxquelles les infirmières apportent du chocolat, nous avons toutes du lait; un autre jour nous aurons du raisiné ou du fruit. Ne serait-il pas plus agréable de déjeuner selon son goût, avec du café, du chocolat ou des confitures? Mais on nous prive même de la satisfaction d'avoir de l'argent, et nous ne pouvons acheter les choses qui nous seraient agréables. Demain je serai obligée de me faire éveiller par une de mes compagnes du dortoir; car on m'a annoncé que j'aurais de plus à faire la toilette de Victorine. Il m'a fallu marquer tout mon trousseau; je suis forcée d'aller à la roberie faire moi-même mes robes, mes tabliers, ma toque de velours et mon chapeau. Je ne croyais pas que l'on dût faire de moi une couturière; et dans l'éducation que l'on

donne ici, il ne me paraît pas qu'on s'occupe beaucoup de remplir l'intention des parens. La cruelle cloche vient encore de se faire entendre; elle ne cesse de sonner la rentrée en classe, la leçon d'écriture, celle de l'institutrice; je ne pourrais lui pardonner son bruit infernal que si elle sonnait plus souvent la récréation. Elle sonne dix minutes avant le dîner, pour que nous remplissions, comme des servantes, l'agréable devoir de nettoyer nos bureaux et de balayer nos classes; puis elle sonne le dîner, le souper, le coucher: mais la plus détestable de toutes ces sonneries est celle du matin; enfin nous marchons ici comme une horloge. Ah! que je regrette ma petite chambre de Valence, si calme, si éloignée du bruit de la rue! Que j'étais injuste lorsque je murmurais contre un pauvre coq qui m'éveillait, à la vérité assez souvent, mais qui me laissait au moins la liberté de me rendormir! Ici, il faut que trois cents personnes marchent comme une seule, d'après une seule volonté, à un seul ordre; il y a, de plus, des minuties qui me révoltent. Crois-tu que pour aller d'un endroit à l'autre, lorsqu'on ne marche pas en procession, il faut tenir à la main une petite planche sur laquelle est écrit le nom de l'endroit où l'on vous permet de vous rendre? On y lit ces différens mots, Roberie, Lingerie, Musique, etc. Si une dame rencontre une élève sans cette espèce de passe-port, elle a le droit de la prendre par la main et de la conduire chez madame la directrice; tu sens

qu'une visite faite de cette manière est très-désagréable. J'écrirais un volume de toutes les choses de ce genre établies dans la maison d'Écouen; tu dois juger combien il est affreux d'être soumise à un pareil despotisme. Ecris-moi donc, ma chère Élisa; sans tes lettres je perdrais la raison; et ne m'abandonne pas à ma tristesse.

LETTRE XV.

Élisa à Zoé.

Chabeuil, ce 9 mai 1808.

Je te fàcherai sûrement, ma chère Zoé, en t'avouant que nous avons ri, ma mère et moi, de ta dernière lettre. Ton humeur contre le règlement, bien que plaisamment exprimée, n'est pas moins injuste. Les lois les plus sévères sont nécessaires pour contenir trois cents jeunes filles dans la même maison. Fait-on marcher un régiment sans discipline? Demande-le à ton père. La dame surveillante a eu parfaitement raison dans l'explication qu'elle t'a donnée de l'utilité des marches régulières lorsque vous passez d'un endroit à un autre. Si l'on permettait d'acheter du fruit ou des confitures, il y aurait une communication perpétuelle entre les élèves et les servantes. Les enfans contracteraient le goût des friandises; les moins riches éprouveraient des privations: qui sait même si l'on n'aurait pas à gémir d'avoir, par cette indulgence, introduit parmi les élèves le vice le plus honteux ? Une malheureuse petite fille, poussée par la gourmandise, peut se trouver cou pable d'un vol avant d'avoir appris à distinguer

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