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toutes les dames se récrieraient contre leur partialité.

Avant peu j'aurai des lettres de toi, j'espère qu'elles se succéderont; tu aimes à écrire, et tu sais quel plaisir tu me procures. Nous partirons pour Fréville le 1. mai, et nous y resterons jusqu'à la petite Fête-Dieu. Mon oncle désire nous garder pour cette époque; la pompe de cette cérémonie l'occupe infiniment; chaque année, je lui porte quelque broderie ou quelques vases garnis de fleurs de ma façon; il aime à prier pour son enfant chéri au pied d'un autel orné de ses mains. Il m'entretiendra beaucoup de toi : la visite que tes parens lui firent, il y a cinq ans, est un moment de bonheur dont il parle souvent; c'était aussi dans le temps de la Fête-Dieu; il rétablissait alors son église; la tristesse que lui avait laissée l'époque des persécutions n'avait pas encore été effacée par des temps plus heureux. Ton père portait cet uniforme de général français devant lequel mon oncle avait été forcé de fuir en Allemagne ; cette vue lui donnait de tristes souvenirs : mais lorsque le général, couvert de ces mêmes broderies qui avaient peu de temps auparavant causé l'effroi de mon oncle, se mit à marcher à la suite de la procession, avec sa contenance noble et martiale, et qu'en se retournant pour bénir le peuple, mon oncle vit ton père à genoux, pénétré de cette humilité chrétienne que les chevaliers des temps passés alliaient si bien à la valeur, les yeux de mon vénérable oncle se rem

plirent de larmes, tous les malheurs de son exil s'effacèrent en un instant de sa mémoire; et, regardant le ciel, il s'écria : « Religion sainte, les » braves s'humilient et vous implorent depuis que Napoléon a relevé vos autels au pied desquels on » prie pour lui. »

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Adieu, ma Zoé; j'attends ta première lettre d'Écouen avec impatience; on doit me l'envoyer à Fréville.

LETTRE XIII.

De la même à la même.

Fréville, ce 5 mai 1808.

JAI J'ai reçu le même jour, ma chère Zoé, tes deux lettres datées d'Ecouen et de Paris. J'ai lu avec attendrissement l'expression de ta surprise lorsque tu as appris de madame la directrice qu'elle a bien voulu se charger de notre correspondance. Ma chère Zoé, ton âme est faite pour des sentimens Jouables, et tout ce que tu accordes de retour à ma tendresse ajoute encore à celle que j'ai pour toi. Tu le vois, lorsqu'on agit pour le bien, on n'a rien à redouter des plus sévères règlemens. Cette même personne qui interdit les correspondances inutiles, se charge de la nôtre. N'est-ce pas déjà un motif de l'aimer et de reconnaître sa justice?

Je ne vois pas pourquoi tu as été blessée de la réflexion de la duchesse. L'usage du monde et le maintien sont des choses qui s'apprennent, et les conseils de cette dame indiquent seulement l'intérêt que tu lui inspires. Tu blâmes les femmes de la capitale et celles qui sont placées dans le grand monde, de s'ériger en juges sur les grâces et les bonnes manières. Mais, ma Zoé, oublies-tu donc

qu'en province nous ne parlons que de Paris et de sa supériorité pour les choses de bon goût? L'hiver, à Valence, quand nous avons un bal, n'y a-t-il pas rivalité pour des parures que l'on dit venir toutes de Paris? C'est donc d'après une supériorité avouée pour tout ce qui est forme, mode et usage, que les Parisiennes, et surtout celles qui vivent dans la haute compagnie, prennent le droit de donner des avis aux femmes de province. Mais si tu ne trouves pas ces raisons assez fortes, ne dois-tu pas penser, en y réfléchissant, combien l'âge, le rang, et surtout l'amitié, donnaient de droits à la duchesse pour te parler avec franchise?

Mon frère et mon cousin sont arrivés. La campagne d'Eylau et celle de Friedland ont fait obtenir à mon frère le grade de lieutenant; mais il n'a pas la croix. Si j'avais ce ruban de la légion, me disaitil hier au soir, chère petite Elisa, je te ferais passer deux ans à Écouen avec ton amie; j'aurais le droit de solliciter cette faveur. Que je serais heureuse! me suis-je écriée; et tout à coup je me suis repentie de lui avoir témoigné ce désir, dans la crainte qu'il ne s'exposât pour mériter cette honorable récompense: mais ce bon frère, comme s'il eût compris ce qui se passait au fond de mon cœur, m'a dit que, par le nombre de campagnes qu'il comptait déjà, il avait lieu d'espérer qu'après celle qu'il va faire, il obtiendrait la croix, et pourrait ainsi, sans me faire verser de larmes, me procurer l'avantage que je paraissais tant souhaiter.

Malgré ton humeur contre la classe bleue et contre la dame surveillante, tu donnes, sans t'en douter, bien des éloges à l'établissement, et je vois percer dans tes récits le détail de beaucoup de choses qui un jour mériteront ton approbation.

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