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LETTRE X.

Madame de..... à Madame la Directrice de la Maison d'Ecouen.

Chabeuil, ce 10 avril 1808.

L'INTÉRÊT que vous m'avez témoigné, madame, à l'époque de mes malheurs, les lettres consolantes que vous avez bien voulu m'adresser dans ce temps, l'amitié que vous accordiez à ma bonne Elisa, me donnent la confiance de me rappeler à votre souvenir, et de vous demander pardon pour la liberté que je prends de vous adresser les lettres que ma fille écrit à une jeune élève de la maison d'Ecouen. Je sais que la sagesse de votre règlement interdit ces correspondances enfantines, dont le moindre inconvénient est d'accoutumer les enfans à juger lorsqu'ils ne doivent que se soumettre; mais, madame, la correspondance que je vous prie de permettre, et même de protéger, est d'une nature bien différente elle sera peut-être aussi utile à votre jeune élève, que les conseils et les réprimandes dont elle aura cependant grand besoin. Mademoiselle Zoé M..... est jolie, très-spirituelle, mais ignorante et gâtée. Elle faisait l'ornement de la société de sa mère, où ses naïvetés et son babil lui valaient

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les suffrages de ceux qui ne portent pas assez de bienveillance à la jeunesse, pour songer au mal que lui font des éloges donnés hors de propos. Son père, homme à la fois sensible et réfléchi, ne s'est pas déguisé les défauts qui auraient pu nuire au bonheur de ses enfans. Il a béni le décret qui assure aux familles des légionnaires le moyen de donner à leurs filles une éducation modeste et distinguée. Les larmes de mon Elisa ont coulé de nouveau sur la mort de son père. Il a laissé, il est vrai, à sa famille de glorieux souvenirs; mais l'ordre de la légiond'honneur n'étant pas établi à l'époque où nous avons eu le malheur de le perdre, il ne nous a pu laisser aucun droit pour solliciter l'admission de sa fille à Écouen. Elle a souffert de voir sa jeune amie si peu pénétrée des avantages qui l'attendent dans la maison impériale, et elle a entrepris de les lui faire sentir, pour la mettre en état d'en profiter. Voilà, madame, le but louable de la correspondance que j'ose soumettre à votre volonté.

Mon Élisa vous présente ses plus tendres respects: combien elle serait heureuse de vous revoir, et de passer encore quelque temps auprès de vous! Conservez-lui, madame, une amitié dont elle a su dès son enfance apprécier la valeur, et recevez de nouveau l'assurance des sentimens, etc., etc.

LETTRE XI.

La Directrice de la Maison d'Ecouen à madame de.....

Écouen, ce 18 avril 1808.

Vous avez si bien défini, madame, les motifs qui ont fait interdire aux élèves de la maison confiée à mes soins les correspondances confidentielles avec leurs jeunes amies, que je n'ai rien à vous dire pour motiver cette décision: mais vous rendez si intéressantes les relations que notre aimable Elisa désire établir avec mademoiselle Zoé M....., que je m'engage de tout mon cœur à faire parvenir les lettres des deux amies, sans les lire. Je sais tout ce qu'un enfant gâté dira ou inventera sur la tenue et les règlemens de notre maison; mais je sais si bien ce qui lui sera répondu, que je n'en ai aucune inquiétude. Si la tendresse maternelle, qui prend trop souvent le caractère de la faiblesse, était toujours dirigée par la justesse d'esprit, on n'aurait rien à craindre, pour les élèves, des fausses confidences qui alarment mal à propos les familles. Trop souvent, une petite fille qui n'apprend pas, dit qu'on ne lui donne pas de leçons; une friande, privée de sucreries, assure qu'elle est mal nourrie; une mé

chante ou une menteuse, qui mérite de sévères réprimandes, se plaint d'être maltraitée.

A dix-huit ans, elle pensera autrement, et rougira si on lui donne à lire ce que son inconséquence lui a fait écrire à treize. Elle estimera, comme femme de mérite, l'institutrice qui, avec fermeté, exige de ses élèves de remplir tous leurs devoirs, et regardera comme une femme dénuée de toutes les qualités qui distinguent notre sexe, celle qu'elle appelait dans sa première jeunesse toute bonne et toute aimable, parce qu'elle cédait à ses caprices et favorisait sa paresse.

Je suis entrée dans des détails dont votre excellent esprit, madame, vous fera saisir la vérité; mais je ne suis pas moins persuadée que le commerce de lettres entre Zoé et Elisa ne peut être qu'extrêmement utile à la première. Vous pouvez donc, madame, lui adresser ses lettres sous mon

couvert.

J'ai l'honneur d'être, etc.

LETTRE XII.

Elisa à Zoé.

Chabeuil, ce 15 avril 1808.

Tu es en route, ma chère Zoé; tes larmes cesseront. Le grand air, la vue des différentes provinces que tu vas traverser, les soins qu'amène un long voyage, tout cela doit naturellement te distraire, et je ne suis pas la première à dire de que deux amies qui se séparent, la plus à plaindre n'est pas celle qui s'éloigne.

Je songe souvent aux dangers que tu peux courir pendant ton séjour à Ecouen, et aux avantages que tu cn peux retirer. Zoé, pense à ton retour à Valence, songe au moment où tu te retrouveras dans ta famille; vois les amis de ton père empressés à venir te féliciter, si des notes avantageuses ont précédé ton retour. Je me plais à porter ton esprit sur les idées qui peuvent te donner du courage. Mais, ma bonne Zoé, des notes favorables, des éloges, ne s'accordent, dans les grands établissemens, qu'à celles qui les méritent réellement. Le grand-chancelier ni la directrice ne peuvent louer sans motifs s'ils le faisaient, le reste des élèves et

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