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LETTRE VI.

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Elisa à Zoé.

Chabeuil, ce 4 avril 1808.

Je ne pourrais, dis-tu, figurer à Écouen qu'en institutrice! Ah! ma chère Zoé, tu es bien dans l'erreur je ne sais rien par principe, comment donc pourrais-je enseigner? J'aime la lecture, et j'ai goûté les pieuses et savantes conversations de mon oncle, toutes les fois que j'ai pu en jouir, mais je ne le vois guère que six semaines par année. Si mon orthographe est passable, c'est uniquement par routine, et mon style ne s'est formé que par la lecture des Lettres de madame de Sévigné. D'autres livres, tels que les Caractères de La Bruyère et les Sermons de Massillon, que j'ai lus plusieurs fois, ont placé quelques idées morales dans ma mémoire et dans mon cœur; et tout ce que mon oncle me dit et m'écrit sur la beauté de l'Evangile, sur la force d'àme que l'on puise dans la pratique de notre sainte religion, a dirigé ma conduite. Je sens qu'il faut se rendre utile; on peut l'être infiniment plus en s'instruisant, et en fortifiant son jugement. Les méchantes idées s'éloignent par le constant emploi

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du temps, aussi ai-je grand soin de ne rester jamais sans être occupée. Lorsque ma chambre est faite, quand j'ai aidé ma mère à s'habiller, j'inspecte la maison, je vais aux basses-cours surveiller les choses nécessaires au ménage; de là je me rends au potager; je cueille les fruits, je fais cueillir les légumes, et je distribue les provisions; ma mère soigne le reste. Ensuite je lis, j'écris, j'apprends par cœur, jusqu'à l'heure du dîner; le soir, je tricote ou je raccommode le linge et les hardes. De cette manière je mène la vie la plus heureuse : mais, seule, je n'ai pu réussir à bien apprendre la grammaire, les calculs, la géographie, le dessin ; je n'ai pu me rendre habile dans les ouvrages de goût, et je regrette ce genre d'instruction. Je serai peut-être mère un jour; si je pouvais, en allant te rejoindre, devenir capable de faire l'éducation de mes filles, n'aurais-je pas, pendant toute ma vie, une ample et douce récompense du sacrifice de quelques années? Ah! je sens tout ce qui me manque, et l'impossibilité où je suis de me le procurer. Je ne suis pourtant pas jalouse de ton bonheur; et j'en jouirais si tu pouvais le sentir et en jouir toi-même. Je prie Dieu, ma chère Zoé, pour qu'il te donne la force et la raison dont tu me parais avoir besoin.

LETTRE VII.

Zoé à Élisa.

Valence, ce 8 avril 1808.

TA dernière lettre était bien longue, ma chère Élisa; je n'ai eu que le temps de la parcourir, je l'emporte avec moi, ainsi que toutes celles que j'ai de toi. Elles sont dans mon sac avec un ruban que tu me donnas l'hiver dernier; je les lirai lorsque j'en aurai le temps. Les visites de complimens et d'adieux me désolent; mon père me fait des yeux terribles quand je suis près de pleurer, je renfonce mes larmes; mais dans ma chambre j'en verse tant que je peux, et j'ai les yeux rouges au point de faire peur à tout le monde. Adieu, adieu, nous partons demain à sept heures du matin. Demain, à l'heure où je t'écris, j'aurai quitté mon père, mes amies mes connaissances, mes habitudes, pour aller me mettre derrière des grilles et sous la férule de pédantes que je ne connais pas. Rien, ne connais pas. Rien, rien ne pourra me consoler. Je lirai peut-être, mais bien inutilement, les conseils dont ta lettre est remplie. Encore adieu; aime et plains, je t'en supplie, ta désolée Zoé M...

LETTRE VIII.

De la même à la méme.

gens

Paris, ce 21 avril 1808.

PARIS est superbe, ma chère Élisa, j'en suis enchantée. Malgré la défense de mon père, ma mère m'a fait voir le jardin des Tuileries. Les amis qu'elle a consultés lui ont assuré qu'en nous interdisant les promenades publiques, il avait voulu indiquer seulement le jardin du Palais-Royal où circulent beaucoup de de très mauvaise compagnie, et où résident même des bandes de filous. Mais les Tuileries, le Luxembourg, le Jardin des Plantes, sont des lieux dignes de l'admiration de tout le monde, et les gens de la meilleure société s'y réunissent. C'était hier dimanche ; que de mon de dans les Tuileries et dans un bois superbe qui se trouve à la suite de ce jardin, et que l'on nomme les Champs-Elysées! Que de jolies parures! que de jolies femmes qui marchent avec une grâce......! En vérité, j'en étais ravie. L'après-midi, nous sommes allées voir le Luxembourg. Je ne m'y promènerais pas, je t'assure, si je demeurais à Paris : le jardin est beau, cela est vrai; mais il est triste. Je n'y ai vu que de vieux bons hommes appuyés

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sur leurs cannes, et des bonnes d'enfans. Je fus bientôt lasse; je demandai à me reposer, puis à m'en aller.

Il ne nous est rien arrivé en route qui mérite la peine d'être raconté. Demain nous serons présentées à M. le grand-chancelier, et de là nous irons voir la duchesse de....

Ma mère a dîné aujourd'hui chez un ancien ami de mon père, qui a sa fille à Ecouen. On espérait me faire connaître cette nouvelle compagne, mais on n'a pu obtenir la permission de la faire sortir. Je me suis récriée sur cette sévérité, et je m'en suis bien repentie. Il y avait dans le cercle une vieille dame, élève de Saint-Cyr, qui a beaucoup applaudi à cette mesure rigoureuse, et qui en a dit, en a dit..... Ces vieilles femmes sont impatientantes, au point que je ne puis les souffrir. Je parie que je vais trouver à Ecouen trente ou quarante vieilles têtes, cela me fait trembler d'avance. A demain ma visite chez la duchesse de......, et à demain mon entrée dans la maison impériale, car le même carrosse de louage nous mène à midi chez le grand-chancelier, à une heure chez cette dame, et de chez elle, nous partons pour Ecouen; je t'écrirai en arrivant.

Adieu, mon Elisa; j'espère trouver plusieurs de tes lettres dans le triste château que je vais habiter.

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