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DE

DEUX JEUNES AMIES.

LETTRE PREMIÈRE.

E

Zoé M..... à Élisa de T.....

Valence, ce 20 mars 1808.

Je suis désolée, ma chère amie, je ne pourrai jamais me consoler. Mon brevet de nomination à la place d'élève d'Ecouen est arrivé hier au soir, au moment où j'espérais que mon âge avait rendu la demande de mes parens inutile; lorsque je croyais ma jeunesse quitte de ces tristes années d'emprisonnement. Ah! ma chère Élisa, que n'étais-tu hier dans notre salon à l'instant où Jean est venu apporter les lettres! Mon père en remarqua deux plus grandes que les autres : C'est de la Légion-d'honneur et du Ministère de la guerre! s'est-il écrié : seraient-ce les brevets de mes filles et de leurs frères? Dieu! dis-je tout bas à Victorine, faites que ce soit

un bon refus! J'avais les yeux fixés sur mon père; je vis sa physionomie s'épanouir successivement, et j'entendis ces mots terribles : Mes filles et mes fils sont placés! Alors, ma chère, comme s'il n'était plus boiteux, comme s'il ne criait pas sans cesse, Ma blessure! ma blessure! voilà mon père qui retire sa jambe emmaillotée du tabouret qui la soutient, qui prend sa canne, se lève, ôte son chapeau et se met à crier: « Voilà un général, mes » amis, sous les ordres duquel il est glorieux de >> vivre et de savoir mourir ! >>

Ma pauvre mère ne partageait pas cet enthousiasme; elle pleurait; les femmes sont bien meilleures ! Ce bel esprit des hommes, leurs grands raisonnemens, tout cela, vois-tu, ma chère Elisa, tient à leur dureté, à leur despotisme. - Il est minuit, et j'écris encore ; j'ai tant pleuré, tant pleuré, que je ne saurais lire ce que j'ai écrit: mais tu me déchiffreras; et comme Jean va demain au marché, je veux qu'il te porte ma lettre. Ah! mon Elisa, plains-moi, c'est une consolation, c'est la seule quí reste à ta désolée Zoé.

Ne montre ma lettre à personne, pas même à ta maman, elle est trop griffonnée.

LETTRE II.

Élisa à Zoé.

Chabeuil, ce 20 mars 1 1808.

NON sûrement je ne pleurerai pas, ma Zoé, je t'aime trop sincèrement pour cela. Si je verse des larmes, c'est de regret de ne pouvoir t'accompa

gner, de regret de n'être pas dans le cas de jouir des avantages qui te sont assurés. J'ai eu de la peine à lire ta lettre, mais uniquement par la manière dont elle est orthographiée. A chaque mot, je me disais : Zoé écrit ainsi à quinze ans, et elle ne bénit pas la main tutélaire qui lui procure le bonheur de pouvoir s'instruire. Ah! ma Zoé, quel est ton aveuglement ! Hélas! quand mon brave père fut enlevé par un boulet à la bataille de Marengo, Napoléon n'avait pas encore cette étendue de puissance qui le met aujourd'hui dans la possibilité de faire tant d'heureux; il n'y avait point de légiond'honneur, point de maison d'éducation pour les filles des braves militaires. En perdant mon père, j'ai tout perdu. J'avais sept ans alors; déjà, sur ses appointemens de colonel, il trouvait le moyen de payer ma pension dans la maison de Saint-Germain. J'étais petite verte, mais j'étais la première;

je commençais à écrire sous la dictée; japprenais mes verbes, je savais mon catéchisme et plusieurs fables. Ma pauvre mère, qui se trouvait à peu près réduite à sa seule pension, vint me retirer; je la vois encore avec ses lugubres coiffes noires : elle était pâle; elle m'embrassa sans rien dire, et ses sanglots m'apprirent mon malheur; je partis en regrettant mes maîtresses, mes livres et mes jeunes

amies.

Le peu qu'on m'avait enseigné me fit connaître l'utilité de quelques livres que je trouvai chez ma mère; mais, seule, que peut-on bien apprendre? Et c'est toi, Zoé, qui es nommée à Ecouen, et c'est moi qui ne peux l'être! Ma mère et mon bon oncle le curé disent qu'on ne doit pas murmurer contre les décrets de la Providence; il me faut bien respecter leur morale pieuse, pour avoir la raison de m'y soumettre.

L'enthousiasme de ton brave père est fort naturel; un militaire qui a si bien servi sa patrie peutil n'être pas ravi d'en recevoir d'honorables récompenses? Ta mère a pleuré, je le crois bien; la mienne pleurerait aussi au moment de notre séparation; mais en même temps elle aurait de la joie de voir mon désir de m'instruire entièrement satisfait. Elle m'a souvent répété qu'une excellente éducation peut seule tenir lieu de fortune. Tu n'as rien, je n'ai pas grand' chose, gagnons notre dot. Adieu, ma Zoé: quoi que tu puisses dire, reçois mon sincère compliment.

LETTRE III.

Zoé à Élisa.

Valence, ce 28 mars 1808.

TA lettre m'a donné tant d'humeur, que je suis restée six jours sans y répondre. Je n'ai donc plus de consolation à espérer, puisque ma meilleure amie n'est qu'un docteur ! Si j'avais su cela, je ne me serais pas liée avec toi; Rosalie et Mathilde Buret me convenaient bien mieux, elles voulaient être mes amies; mais je les ai fàchées si fort en te préférant, que je ne puis renouer avec elles. Je sais qu'elles se réjouissent de mon départ; je ne serai donc ni regrettée ni consolée! Je partirai avec une telle humeur, qu'assurément il y aura du mérite à faire quelque chose de moi dans ce beau château d'Ecouen.

Notre départ est fixé au 10 avril. Croirais-tu que mon père a prescrit à ma pauvre maman de ne me garder que vingt-quatre heures à Paris ? et il a défendu de me mener au spectacle et dans les promenades publiques! Maman obéira; elle est si craintive! Je serai seulement présentée à M. le grandchancelier de la légion d'honneur et à la duchesse

TOM. III.

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