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toujours la portière de la chaise. La plus petite préférence accordée par les souverains au moindre de leurs serviteurs ne manque jamais d'être remarquée. Le roi avait fait quelque bien à la nombreuse famille de cet homme, et lui parlait souvent. Un abbé, attaché à la chapelle, s'avisa de le prier de remettre au roi un placet dans lequel il suppliait Sa Majesté de lui accorder un bénéfice. Louis XIV n'approuva pas la confiante démarche de son porteur, et lui dit d'un ton très-fâché : « D'Aigremont, » on vous fait faire une chose très-déplacée, et je >> suis sûr qu'il y a de la simonie là-dedans.- Non, » sire, il n'y a pas la moindre cérémonie là-dedans, reprit ce pauvre homme d'un air très-effrayé; M. l'ab>> bé m'a dit qu'il me baillerait cent louis pour cela.>>> D'Aigremont, dit le roi, je pardonne à ton igno

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'Une anecdote, que probablement l'auteur ignorait, justifie sa réflexion. De très-grands personnages ne dédaignaient pas de descendre jusqu'à d'Aigremont. « Lauzun, dit madame la duchesse d'Orléans dans ses Mémoires *, Lauzun fait quelquefois le niais, afin de pouvoir dire impunément aux gens leur fait; car il est très-malicieux. Pour faire sentir au maréchal de Tessé qu'il avait tort de se familiariser avec les gens du commun, il s'écria dans le salon de Marly: « Maréchal, donnez-moi un » peu de tabac; mais du bon, de celui que vous prenez le » matin avec M. d'Aigremont, le porteur de chaise. » (Note de l'édit.)

Les Mémoires de la duchesse d'Orléans, beaucoup plus piquans que discrets et réservés, ont été publiés en 1822 chez Ponthieu, libraire, au Palais-Royal.

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rance et à ta sincérité; je te ferai donner les cent >> louis sur ma cassette, et je te ferai chasser la pre>>mière fois que tu t'aviseras de me présenter un » placet. »

LOUIS XIV était fort bon pour ses serviteurs intimes; mais aussitôt qu'il prenait son attitude de souverain, les gens les plus accoutumés à le voir dans ses habitudes privées étaient aussi intimidés que si, pour la première fois de leur vie, ils paraissaient en sa présence. Des membres de la maison civile de Sa Majesté, appelés alors commensalité, jouissant du titre d'écuyers et des priviléges attachés aux officiers de la maison du roi, eurent à réclamer quelques prérogatives dont le corps de ville de Saint-Germain, où ils résidaient, leur contestait l'exercice. Réunis en assez grand nombre dans cette ville, ils obtinrent l'agrément du ministre de la maison pour envoyer une députation au roi, et choisirent parmi eux deux valets de chambre de Sa Majesté, nommés Bazire et Soulaigre. Le lever du roi fini, on appelle la députation des habitans de la ville de Saint-Germain; ils entrent avec confiance, le roi les regarde et prend son attitude imposante. Bazire, l'un de ces valets de chambre, devait parler; mais Louis le Grand le regarde. Il ne voit plus en lui le prince qu'il sert habituellement dans son intérieur; il s'intimide, la parole lui manque il se remet cependant, et débute, comme de

raison, par le mot Sire. Mais il s'intimide de nouveau, et, ne trouvant plus dans sa mémoire la moindre des choses qu'il avait à dire, il répète encore deux ou trois fois le même mot, puis termine en disant : « Sire, voilà Soulaigre. » Soulaigre, mécontent de Bazire, et se flattant de se mieux acquitter de son discours, prend la parole; Sire est répété de même plusieurs fois; son trouble égale celui de son camarade, et il finit par dire : « Sire, voilà Bazire. » Le roi sourit et leur répondit : « Messieurs,

je connais le motif qui vous amène en députa» tion près de moi; j'y ferai raison, et je suis très» satisfait de la manière dont vous avez rempli votre >> mission de députés 1.

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' Cette plaisanterie n'est point amère et dure comme la plupart des railleries de Louis XV: elle ne laisse que l'idée d'un badinage aimable. Jamais Louis XIV ne se permit un mot offensant pour personne, et ses reparties qui, presque toujours, sont d'un grand sens, décèlent très-souvent un tact délicat et fin. En général, l'esprit, qu'il fût vif et caustique, ou seulement agréable et gai, n'a pas manqué aux petits-fils de Henri IV. Les Mémoires de madame du Hausset contiennent une assez piquante remarque de Duclos à ce sujet.

« M. Duclos était chez le docteur Quesnay, et pérorait avec sa chaleur ordinaire. Je l'entendis qui disait à deux ou trois personnes : « On est injuste envers les grands, les ministres et >> les princes; rien de plus ordinaire que de parler mal de leur >> esprit. J'ai bien surpris, il y a quelques jours, un des mes»sieurs de la brigade des infaillibles, en lui disant qu'il y avait >> plus d'esprit dans la maison de Bourbon que dans toute Vous avez prouvé cela? dit quelqu'un en ricanant.

>> autre.

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- Oui, dit Duclos, et je vais vous le répéter. Le grand » Condé n'était pas un sot, à votre avis; et la duchesse de Longueville est citée comme une des femmes les plus spiri»tuelles. M. le régent est un homme qui n'avait pas d'égaux en tout genre d'esprit. Le prince de Conti, qui fut élu roi » de Pologne, était célèbre par son esprit, et ses vers valent >> ceux de La Fare et de Saint-Aulaire. M. le duc de Bourgogne » était instruit et très-éclairé. Madame la duchesse, fille de >> Louis XIV, avait infiniment d'esprit, faisait des épigrammes >> et des couplets. M. le duc du Maine n'est connu générale»ment que par sa faiblesse ; mais personne n'avait plus d'agrément dans l'esprit. Sa femme était une folle, mais qui >> aimait les lettres, se connaissait en poésie, et dont l'imagi» nation était brillante et inépuisable. En voilà assez, dit-il, » et comme je ne suis point flatteur, et que je crains tout ce » qui en a l'apparence, je ne parle point des vivans. » — On fut étonné de cette énumération, et chacun convint de la vérité de ce qu'il avait dit. Il ajouta : « Ne dit-on pas tous les jours d'Argenson la bête, parce qu'il a un air de bonhomie >> et un ton bourgeois? Mais je ne crois pas qu'il y ait eu beau>> coup de ministres aussi instruits et aussi éclairés. » — Je pris une plume sur la table du docteur, et je demandai à M. Duclos de me dicter les noms qu'il avait cités et le petit éloge qu'il en avait fait. — « Si vous montrez cela à madame la marquise de » Pompadour, ajouta-t-il alors, dites-lui bien comment cela » est venu, et que je ne l'ai pas dit pour que cela lui revienne » et aille peut-être ailleurs. Je suis historiographe et je rendrai » justice, mais aussi je la ferai souvent. » (Journal de madame du Hausset.)

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Nous ne connaissons pas de mot plus juste que celui de rendre justice et la faire. Tous les devoirs du véritable historien sont dans ces paroles; tout écrivain qui n'en remplit qu'une partie est un flatteur ou bien un satirique.

Puisque nous avons déjà donné deux fois, dans les notes de ce volume, des extraits des Mémoires écrits par madame du Hausset, nous devons au lecteur quelques détails sur cette dame et sur son ouvrage.

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« M. Senac de Meilhan, entrant un jour chez M. de Marigni, frère de madame de Pompadour, le trouva brûlant des papiers. Prenant un gros paquet qu'il allait aussi jeter au feu: C'est, dit-il à M. de Meilhan, l'ouvrage d'une femme de chambre de ma sœur. Cette femme était estimable, mais tout cela est du rabâchage: au feu! » et il s'arrêtà en disant : « Ne trouvez-vous pas que je suis ici comme le barbier de Don Quichotte, qui brûle les ouvrages de chevalerie! —Je demande grâce pour celui-ci, dit son ami. J'aime les anecdotes, et je trouverai sans doute dans ce manuscrit quelque chose qui m'intéressera. Je le veux bien,» répliqua M. de Marigni; et il le lui donna.

» Madame de Pompadour avait deux femmes de chambre qui étaient femmes de condition : l'une, madame du Hausset, ne changea point de nom; l'autre prit un nom emprunté, et ne se fit pas connaître aux yeux du public pour ce qu'elle était *. Le journal dont il s'agit est l'ouvrage de la première. »

Il n'a jamais été imprimé qu'à un très-petit nombre d'exemplaires. Notre intention est de le joindre à notre collection, en y ajoutant des morceaux inédits et fort piquans sur le règne de Louis XV. (Note de l'édit.)

* On verra dans les Éclaircissemens, lettre (A), que madame de Pompadour poussa son insolente vanité jusqu'à vouloir que son maître d'hôtel fût décoré d'un ordre militaire.

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