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pour un si grand voyage. Mon père lui demanda comment on doublait aussi facilement son argent. « Je te mènerai, lui répondit son ami, dans une maison très-honnête où la fortune peut te favoriser au point non-seulement de la doubler, mais de la tripler.....

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(Les manuscrits de madame Campan ne renferment pas la suite de l'aventure; il est fàcheux qu'elle se trouve ainsi suspendue dans une situation dramatique. Madame Campan reprend de la manière suivante le cours de son récit dans un autre fragment. )

Mon père, né avec de la fortune, épousa par inclination ma mère qui n'en avait pas. Elle lui apporta pour dot une charmante figure, une grande pureté de mœurs, un attachement qui ne s'est jamais éteint qu'avec elle, un père et une mère auxquels il ne restait pour tout bien qu'une rente viagère de deux mille livres, un frère qui venait d'être reçu avocat à Paris, et deux jeunes frères encore au collége. Mon père se chargea de toute cette famille.

Cinq ans avant de se marier, mon père avait quitté Paris pour achever son droit public dans les grandes écoles de l'Allemagne, et fit aussi un séjour assez long en Angleterre; son projet était de suivre la carrière diplomatique. Son père s'y opposait l'ayant destiné à la magistrature, il voulait le faire conseiller au Châtelet. Un des motifs des

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voyages de mon père avait été de s'éloigner du plaisir et du danger de voir trop souvent mademoiselle Cardon, ma mère, à laquelle son père lui avait déclaré qu'il ne lui permettrait jamais de s'unir à cause de son peu de fortune.

Mon père avait vingt ans lorsqu'il quitta la France sa majorité l'atteignit à Londres, son amour s'accrut avec l'idée que les lois lui permettaient d'assurer son bonheur. Il quitta subitement l'Angleterre, et prit, en arrivant à Paris, le costume d'un abbé avant de se présenter chez ses parens. Il s'assura de la constance de celle qu'il aimait, et, s'appuyant de la tendresse de sa mère, de la protection de quelques vieux amis, il obtint pour son mariage un consentement qui lui sauva le malheur de recourir à une sommation respectueuse. Pendant les courses qu'il fit en costume d'abbé pour servir, sans être reconnu, le projet qui l'avait ramené à Paris, un fiacre, dans lequel il était enfermé, cassa à la porte même de mon grandpère, qui, rentrant à cet instant chez lui, considéra l'abbé que l'on retirait de cette voiture brisée, et apprit à sa femme qu'il venait de rencontrer un jeune ecclésiastique ressemblant si parfaitement à son fils, que, s'il n'eût pas reçu de lui la veille même une lettre de Londres, il croirait que son sot amour l'avait ramené en France. M. Genet n'apprenait rien à sa femme. Déjà, chez une de ses amies, elle avait serré dans ses bras, grondé et pressé sur son cœur maternel ce faux abbé, ce fils

justement chéri, dont l'amour pour une fille vertueuse, bien née et peu fortunée, était la première et l'unique faute. L'aveu du retour en France, du déguisement, du projet constant de n'avoir point d'autre femme que mademoiselle Cardon, le consentement enlevé dans un moment de sensibilité paternelle, toutes ces scènes de famille durèrent une quinzaine de jours. Mon père corrigeait en même temps les épreuves d'un livre intitulé Essais sur l'Angleterre. Cet ouvrage fit honneur à sa jeunesse, eut du succès à la cour, et, peu de temps après son mariage, il fut appelé à Versailles par le maréchal de Belle-Isle, et nommé secrétaire interprète des départemens des affaires étrangères, de la guerre et de la marine. Attaché à trois départemens, il obtint aisément de travailler chez lui : il lui fut accordé un ou deux commis, et, à son retour d'une mission à Londres en 1762, M. le duc de Choiseul créa en entier, pour mon père, le bureau des interprètes, lui donna un très-beau local à l'hôtel des affaires étrangères, avec un traitement équivalent à celui des premiers commis des affaires étrangères, mais assigné sur les trois départemens.

Marié en 1751, le sort de mon père ne fut terminé d'une manière à le préserver du malheur d'anéantir son patrimoine, que onze ans après son installation à Versailles, et pendant ce nombre d'années, avec de faibles appointemens et peu de secours de la part d'un père qu'il n'osait pas infor

mer de ses besoins, il eut à soutenir un ménage nombreux, à faire terminer l'éducation de ses deux jeunes beaux-frères qu'il plaça dans le corps royal du génie, à soigner l'aîné que l'excès des plaisirs conduisit au tombeau après une maladie lente, et à entretenir le nombre de domestiques nécessaires dans une famille où, pendant dix années consécutives, un petit être de plus venait prouver la constante union des époux.

Vous croirez aisément, mon fils, qu'une partie du patrimoine se trouva épuisée par des emprunts avant l'époque de 1767, où mon père hérita du bien de ses parens. Il acquitta, à cette époque, cinquante mille écus de dettes: il lui restait cent mille francs, quatre filles et un fils au berceau.

FRAGMENT

D'UNE LETTRE DE MADAME CAMPAN

A SON FILS.

20 novembre 1809.

Tu mérites d'être grondé, cher et bon enfant : l'argent est une chose si légère, quoique d'une nature pesante, que, si l'on ne fixe sur un registre le moment où on le reçoit, où on le possède, on s'expose à n'en conserver nulle trace, à ne jamais aligner sa dépense avec sa recette, vice si grave qu'il renverse les empires, comme il détruit les fortunes particulières.

Quelles leçons nous recevons du temps et de la différence des caractères qui passent sous nos yeux! L'un a de l'esprit, mais il est emporté par ses passions et ses goûts; l'autre a de la sagesse et n'a ni moyens ni talens.

L'un sait gagner des trésors, et ne peut conserver un sac d'écus.

Celui-ci a de l'ambition et ignore qu'elle a son temple, ses autels et ses ministres qu'il faut servir.

Celui-ci prend l'orgueil pour l'ambition, ou change son ambition en orgueil; il brave tout ce

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