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cieux d'exister dans une classe distinguée, non par de vains titres, mais par les lumières inappréciables de l'éducation? Je crois donc servir la sensibilité de mon fils, et je ne crains pas de blesser un orgueil qui ne doit pas exister dans un cœur vertueux, en lui apprenant que, du côté paternel et maternel, il n'est que le quatrième de sa lignée vivant dans les villes et jouissant d'une considération acquise par le travail et les talens; que cette courte possession d'une existence qui doit lui plaire l'engage à ne pas laisser retomber sa famille au point d'obscurité dont elle ne fait que sortir : ce qui serait d'autant plus aisé, qu'il n'a point de fortune patrimoniale, et qu'aux avantages près de l'éducation soignée qui lui est donnée tous les jours, il est déjà au point d'où sont partis ses aïeux paternels et maternels.

P.-D. Berthollet, son aïeul paternel, est né dans la vallée de Campan, près de la ville de Tarbes, dans le Béarn; ses parens possédaient un petit bien patrimonial dans cette paisible vallée où régnaient, même dans ces temps, l'égalité la plus parfaite et des franchises qui existaient encore à l'époque de 1789. Le jeune Berthollet voulut servir son pays; mais, n'étant point né dans la classe à laquelle étaient exclusivement réservés les grades d'officiers, il fut obligé de borner toute son ambition au simple mais honorable titre de soldat. Il porta les armes vingt ans quelques années d'une éducation qu'il avait reçue à Toulouse, son intelligence, son activité

:

et sa grande bravoure, le firent distinguer par ses supérieurs. Il avait assisté aux actions les plus vives, et sa poitrine était couverte d'honorables blessures. Dans le nombre des supérieurs qui lui accordèrent de la bienveillance, M. Pâris Duverney, chef de la partie des subsistances militaires, s'attacha particulièrement à lui, lui donna quelques emplois de détail dans cette partie, et au moment du mariage de Louis XV avec Marie Leckzinska, fille de Stanislas Leckzinsky, roi de Pologne, M. Duverney, qui avait le plus grand crédit à la cour auprès de M. le Duc, prince du sang, obtint, pour son protégé Berthollet, la place de garçon de la chambre ordinaire de la nouvelle reine. P.-D. Berthollet avait, en entrant au service, pris pour nom de guerre celui de la vallée qui l'avait vu naître. Ainsi il fut présenté à ses supérieurs et à sa maîtresse sous le nom de Campan, que sa famille a toujours porté depuis, ne se servant plus de celui de Berthollet que dans la signature de leurs actes.

La place que M. Duverney avait procurée à notre grand-père, sans être brillante, était une des plus agréables de l'intérieur des princesses. Les garçons de la chambre, au nombre de quatre, servaient alternativement par quinzaine; ils étaient obligés de rester avec les femmes même dans l'intérieur de la princesse, c'est-à-dire dans sa chambre ou ses cabinets, toujours prêts à exécuter ses ordres ou à la suivre lorsqu'elle faisait une course dans le palais, à l'heure où ses grands-officiers n'étaient pas

auprès d'elle; dans ce cas ils avaient même l'honneur de lui donner la main. Ils servaient son déjeuner ou son dîner, conjointement avec les femmes, lorsqu'elle mangeait dans sa chambre; ils allaient porter ses ordres chez ses enfans ou chez ses dames du palais; enfin, ils étaient positivement les valets de chambre de l'intérieur le plus privé, les douze officiers qui portaient ce titre n'entrant jamais dans l'intérieur de la princesse et ayant leurs fonctions bornées à tout ce qui regardait les heures de représentation. Cette place rapportait huit à neuf mille livres de rentes; et comme elle procurait l'avantage d'être toute la journée sous les yeux de la souveraine, en parvenant à lui plaire par son adresse et son intelligence, elle était souvent une source de faveurs plus importantes pour les familles de ceux qui les possédaient.

M. Campan, ainsi pourvu, épousa une femme vertueuse et spirituelle, mais privée des avantages de la fortune par un père qui avait tout dissipé et qui ne lui laissa rien au monde quoiqu'il fût né fort riche 1. Il se nommait Hardivilliers. Il était d'une des familles de la plus ancienne bourgeoisie de Paris; il avait même un frère qui, par son mérite, avait été élevé dans l'état ecclésiastique à la dignité d'évêque. (J'ai oublié le nom de l'évêché. )

Elle fut pourvue d'une place de femme de chambre de madame Adélaïde, fille de Louis XV.

(Note de madame Campan.)

nesse,

P.-D. Berthollet-Campan et Mile. Hardivilliers eurent un fils et une fille : cette dernière mourut au berceau. Il ne leur resta donc qu'un fils unique, votre grand-père, dont vous devez parfaitement vous souvenir. Ils le firent élever dans un des meilleurs colléges de Paris; il s'y distingua dans ses études, remporta beaucoup de prix, et conserva toute sa vie un goût très-prononcé pour la littérature; il fit même imprimer, dans sa grande jeudeux ou trois romans qui furent distingués de la foule immense de ces sortes d'ouvrages. Il faisait des vers facilement, aimait beaucoup les arts et les talens, et a eu le bonheur de leur être souvent utile, lorsqu'à la fin de sa carrière il se trouva rangé au nombre des personnes favorisées par MarieAntoinette. Lorsqu'il eut fini ses études, M. Duverney le plaça comme employé dans l'administration des vivres. Il y avança promptement, tant par bonne volonté de son chef, que par ses propres talens; et il était arrivé au grade d'inspecteur des vivres, lorsque son père, sentant que sa santé ne lui permettait plus de remplir ses fonctions à la cour, le fit revenir du blocus de Prague, en 174... et le fit pourvoir de sa survivance.

la

Déjà votre aïeul avait, par ses économies, accumulé une fortune assez honnête pour que son fils unique passât pour un très-bon parti.

Votre grand-père possédait un très-gros revenu, et jusqu'à l'âge de sept ans vos yeux ont dû être frappés de tout l'éclat de la fortune. Mais tous ces

TOM. III.

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dehors si brillans se sont évanouis comme un songe, et il ne vous reste rien au monde que les soins donnés à votre enfance et les conseils de vos tendres parens. Puisque la fortune est si volage et que vous avez vu par vos propres yeux avec quelle rapidité elle abandonne ses favoris, n'oubliez jamais ces deux vers de La Fontaine, et qu'ils vous servent de devise :

Travaillez, prenez de la peine;

C'est le fonds qui manque le moins.

L'éducation, trésor plus solide que toutes les richesses, est le seul bien que nous pouvons vous laisser, et vous pouvez, par ce moyen, jouir dans l'avenir d'un sort plus assuré que ce que les auteurs de vos jours devaient à la faveur et à la puissance anéantie des êtres qui les avaient enrichis.

A Saint-Germain, an IV de la république.

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