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L'ABBÉ DE COUR.

Le jour où la reine Marie-Antoinette reçut à Versailles la première visite du grand-duc et de la grande-duchesse de Russie, la foule des curieux remplissait le palais et assiégeait les portes. La reine m'avait donné la garde de ses cabinets intėrieurs, avec la consigne de ne laisser pénétrer de ce côté que la fille de madame la duchesse de Polignac, encore enfant, et qui devait se tenir auprès de son lit, dans l'intérieur de la balustrade, pour assister à la réception du grand-duc. Un jeune abbé s'insinue dans les cabinets, traverse la bibliothéque, et ouvre la porte qui communiquait dans l'intérieur de cette balustrade. Je vais avec précipitation vers lui, je l'arrête; il recule de quelques pas, et me dit : «< Pardonnez-moi, madame, je viens de » quitter le séminaire, je ne connais point l'inté» rieur du palais de Versailles; mon père m'a dit » pour unique instruction: Mon fils, allez tou

jours devant vous jusqu'à ce qu'on vous arrête, >> alors soumettez-vous avec respect à la consigne. >> Vous m'arrêtez, madame, je me retire et vous >> prie de m'excuser. » Ce jeune homme a dû savoir aller devant lui avec confiance, et s'arrêter avec circonspection.

SUR LA COUR.

L'ART de la guerre s'exerce sans cesse à la cour: les rangs, les dignités, les entrées familières, mais surtout la faveur, y entretiennent sans interruption une rixe qui en bannit toute idée de paix. Les gens qui se dévouent à servir dans les cours y parlent souvent de leurs enfans, des sacrifices qu'ils font pour eux, et leur langage est sincère. Le courtisan le plus en faveur, le plus en crédit, ne trouve la force de résister aux chagrins qu'il endure, que dans l'idée qu'il se dévoue pour l'avancement ou la fortune des siens; celui qui n'est pas soutenu par ces louables sentimens pense à l'honneur de pouvoir payer ses dettes, ou aux jouissances que lui procure le plaisir de briller aux yeux de ceux qui ignorent ses douleurs secrètes.

La Fontaine a dit de la faveur :

On la conserve avec inquiétude

Pour la perdre avec désespoir.

Jamais on ne peut mieux définir le joug brillant et déchirant que porte l'homme favorisé. Aussitôt que le prince prononce quelques mots qui annoncent son estime ou son admiration pour quelqu'un, le premier mouvement des courtisans est d'être l'écho des sentimens du prince; mais ce pas en avant n'est fait que pour se mettre en position de.

par

perdre celui qui a été favorablement désigné. Alors le jeu de l'intrigue commence; si l'on peut, on tue la calomnie ce nouvel objet d'inquiétude ; l'idée favorable du prince est détournée ou annulée, et l'on jouit de cette facile victoire. Mais si le souverain, persévérant dans son opinion et ses sentimens, fait percer les rangs à l'homme qu'il a remarqué, et auquel il croit avoir reconnu des talens utiles ou des qualités aimables; s'il l'introduit parmi ses favoris, l'attaque ne cesse plus, les années n'en ralentissent point l'ardeur; on prend toutes les formes, tous les moyens pour le perdre. Le public vient alors au secours des courtisans, ce ne sont plus eux qui parlent; au contraire, les prévenances, les égards, les soins répondent à l'instant à la faveur du monarque; ils en charment, ils en étourdissent leur victime; ils compriment la jalousie, ils laissent au temps à diminuer l'enchantement du prince; ils savent que les sentimens des hommes sont disposés à se ralentir; ils s'aperçoivent du moment où la première chaleur de l'engouement diminue, ils commencent leur attaque. Si ces premiers coups réveillent l'attention du monarque, et lui font juger les manœuvres des courtisans, s'il donne quelque nouveau signe de faveur à l'objet de leur envie, ils se replient à l'instant et ajournent leur projet.

L'homme du plus grand mérite doit faire quelques fautes ou commettre quelques erreurs; on y compte, on les attend, on les grossit, on les fait

circuler dans le monde; on les rapporte au prince sous l'apparence du zèle et du dévouement entier pour ses intérêts; enfin, le plus souvent on parvient à son but. La faveur ne sauve de ces cruelles et persévérantes attaques, que ceux qui, par leur poste à la cour, ne quittent jamais le prince, et peuvent se défendre à toutes les heures du jour ou de la nuit.

Les travaux des ministres ne leur donnent point cette facilité; ils ne peuvent paraître que des momens à la cour; aussi sont-ils facilement attaqués et déplacés, quand le souverain ne s'est pas fait la loi, quelque chose qu'il entende dire, d'en changer le moins possible. Les charges qui ont des temps de repos ne procurent jamais une grande faveur, parce qu'elles donnent le temps d'agir aux sapeurs infatigables des cours. Pendant que l'action est de cette chaleur dans l'intérieur des palais, on a soin de lancer quelques traits, même au loin, contre tout ce qui a du mérite; on sait que c'est ce qui fait sortir de la foule, et qu'il est plus aisé d'y atteindre ceux qui y sont encore. On ne voit jamais une disgrâce avec peine; c'est un homme tombé dans les rangs. La mort et les disgrâces n'amènent à la cour que la même idée : par qui celui qui disparaît serat-il remplacé ?

RÉPONSE

A M. DE LACRETELLE LE JEUNE,

AU SUJET DE SON OUVRAGE.

La lettre, monsieur, que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, m'est parvenue à la terre de Coudreaux, chez la duchesse d'Elchingen, où j'étais allée passer quelques jours. Vous ne me donnez pas votre adresse; cependant je veux avoir l'honneur de vous remercier de la manière si obligeante dont vous m'avez écrit, pour quelques réflexions que je me suis permis de vous faire parvenir sur votre Histoire de France.

Tout le monde devrait s'empresser de communiquer des faits certains à un auteur qui sait les rendre si intéressans, les enchaîner avec tant d'art, les écrire avec tant de goût, et en tirer de si justes et de si lumineuses conséquences; mais, en vous occupant de l'histoire en général, vous devez avoir étudié, monsieur, celle du cœur humain; vous devez avoir observé cette insouciance constante pour le succès des plus louables entreprises, qui n'est égalée que par une disposition aussi persévérante à les critiquer. Je pense donc que vous auriez dû ne pas attendre des lumières utiles, mais vous donner plus de peine pour les obtenir. Le baron de Bre

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