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ANECDOTES DIVERSES.

LE Recueil des Causes célèbres a rendu le service important de donner dans le monde une salutaire défiance sur les apparences criminelles. Quel bien la société ne retirerait-elle pas d'une collection de toutes les histoires de ces imposteurs, depuis ceux qui, se faisant passer pour des souverains ou des héritiers de la puissance souveraine, se sont formé des partis et ont compromis des gens crédules, jusqu'à ceux qui, nés dans une classe obscure, ont pris les noms de gens d'un rang supérieur, ou ont fait croire à leurs liaisons intimes avec des grands et même avec des têtes couronnées! Hélas ! les malheurs inouïs de Marie-Antoinette sont dus en grande partie aux audacieux mensonges d'une femme dont les traits ne lui étaient pas même connus, et qui avait trouvé le moyen de persuader au cardinal de Rohan qu'elle était une amie intime et cachée de cette auguste et infortunée princesse. Il n'y a point de classe où ces esprits inventifs et dangereux ne parviennent à troubler l'ordre de la société, et à porter le malheur et la désolation dans les familles les plus respectables. Si leur génie malfaisant leur fait prendre des formes légales et judiciaires pour étayer leurs audacieux menson

ges, le merveilleux qui accompagne toujours les réclamations dénuées de toute vraisemblance, occupe et amuse les indifférens, et excite presque toujours l'amour - propre de quelque avocat qui croit sans doute défendre la cause de gens victimés par la ruse, la cupidité ou la puissance. Le plus prudent est d'être en défiance contre le merveilleux, et de se dire, d'une chose qui est contre les lois de l'honneur, des convenances et des bienséances il est probable que cela n'est pas vrai. Cette précieuse défiance serait généralement servie par le recueil que je désirerais voir confié aux soins de quelque avocat distingué. Ces réflexions précèdent l'histoire assez inconnue d'une intrigante du dernier rang de la société, et dont les mensonges ont osé atteindre les personnes les plus augustes et les plus estimables.

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Mon père m'avait donné une espèce de gouvernante, ou plutôt ce que l'on appelle une bonne, qui avait une nièce du même âge que le mien. Jusqu'à l'époque de notre première communion elle venait passer ses jours de vacances chez sa tante et jouait avec moi. Lorsqu'elle eut atteint l'âge de douze ans, mon père, sans qu'aucun sentiment de hauteur dirigeât sa prudence, déclara qu'il ne voulait plus que cette petite vînt jouer avec moi et mes sœurs. L'éducation soignée qu'il voulait bien nous donner lui faisait craindre des relations intimes avec une petite personne destinée à l'état de couturière et de brodeuse. Cette petite

fille était jolie, blonde et d'un maintien très-modeste. Six ans après l'époque où mon père lui avait interdit l'entrée de sa maison, le duc de La Vrillière, alors M. le comte de St.-Florentin, fit demander mon père : « Avez-vous, lui dit-il, à votre service une femme âgée nommée Pâris? » Mon père lui répondit qu'elle nous avait élevées et était encore chez lui. «< Connaissez-vous sa jeune nièce?» reprit le ministre. Alors mon père lui dit ce que la prudence d'un père, qui désire que ses enfans n'aient jamais que d'utiles liaisons, lui avait suggéré il Ꭹ avait six ans. « Vous avez agi bien prudemment, lui dit M. de Saint-Florentin; depuis quarante ans que je suis au ministère, je n'ai pas encore rencontré une intrigante plus audacieuse que cette petite grisette: elle a compromis dans ses mensonges notre auguste souverain, nos pieuses princesses, mesdames Adélaïde et Victoire, et l'estimable M. Baret, curé de Saint-Louis, qui, dans ce moment, est interdit de ses fonctions curiales jusqu'à l'éclaircissement parfait de cette infame intrigue; la petite personne est à la Bastille en ce moment. Imaginez-vous, ajouta-t-il, qu'à l'aide de ses astucieux mensonges, elle a soustrait plus de soixante mille francs à divers gens crédules de Versailles; aux uns elle affirmait qu'elle était maîtresse du roi, se faisait accompagner par eux jusqu'à la porte de glace qui ouvre dans la galerie, entrait dans l'appartement du roi par cette porte particulière en se la faisant ouvrir par quelques

TOM. III.

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garçons du château qui avaient ses faveurs. A peu près dans le même temps, elle a fait demander M. Gauthier, le chirurgien des chevau-légers, pour accoucher chez elle une femme dont le visage était couvert d'un crêpe noir, et fournit au chirurgien les serviettes dont il avait besoin, et qui toutes étaient marquées à la couronne, selon les dépositions de Gauthier. Elle lui a de même procuré, pour bassiner le lit de l'accouchée, une bassinoire aux armes des princesses, et un bol de bouillon en argent et portant les mêmes armes. Depuis les informations commencées sur cette affaire, nous savons de même que c'est encore un garçon, servant chez Mesdames, qui lui a procuré ces objets; mais elle a fait circuler cet odieux et criminel mensonge parmi les gens de son espèce, et il a même percé jusqu'à des gens dont les opinions ont plus d'importance. Ce n'est pas tout encore, ajouta le ministre, elle a avoué tous ses crimes; mais au milieu des pleurs et des sanglots du repentir, elle a déclaré qu'elle était née pour la vertu, et avait été entraînée dans le chemin du vice par son confesseur, M. le curé Baret, qui l'avait séduite dès l'àge de quatorze ans le curé lui a été confronté. Cette malheureuse, dont l'air et le maintien ne ressemblent nullement à la perversité de son esprit et de ses mœurs, a eu l'effronterie de soutenir en sa présence ce qu'elle avait déclaré, et a osé appuyer cette déclaration d'un fait qui semblait affirmer la liaison la plus intime, en disant au vertueux curé qu'il

avait un signe sur l'épaule gauche. A ces mots le curé a demandé qu'on fit arrêter sur-le-champ un valet de chambre qu'il avait alors, et qu'il avait chassé pour ses mauvaises mœurs. Les interrogatoires suivans ont prouvé que ce malheureux avait aussi été du nombre des amans de la jeune fille et que c'était de lui qu'elle tenait le renseignement sur le signe qu'elle avait eu l'impudeur et l'effronterie de citer. » Le pauvre curé Baret fit une maladie grave du chagrin que lui donna un désagrément aussi peu mérité. Le roi avait pourtant eu la bonté de l'accueillir à son retour à Versailles, et de lui dire qu'il devait savoir qu'il n'y avait eu rien de sacré pour cette audacieuse créature. Quand l'affaire fut entièrement éclaircie, le ministre fit sortir cette vile intrigante de la Bastille, et elle fut envoyée à Sainte-Pélagie pour le reste de ses jours,

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