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ANECDOTES

DU

RÈGNE DE LOUIS XIV.

IL existait à Versailles, avant la révolution, des usages et même des mots dont peu de gens ont connaissance. Le dîner du roi s'appelait la viande du roi. Deux gardes-du-corps accompagnaient les gens qui portaient le dîner; on se levait à leur passage dans les salles, et on disait : « C'est la viande du roi.» Tous les services de prévoyance s'appelaient des en cas. Quelques chemises et des mouchoirs conservés dans une corbeille, chez le roi ou chez la reine, en cas que Leurs Majestés voulussent changer de linge sans envoyer à leur garde-robe, formaient le paquet d'en cas. Leurs vêtemens, apportés dans de grandes corbeilles ou dans des toilettes de taffetas vert, s'appelaient le prêt du roi ou de la reine. Ainsi le service se demandait : «Le prêt du roi est-il arrivé? » Un garde-du-corps disait : « Je suis d'en cas dans la forêt de Saint-Germain. » Le soir, on apportait chez la reine un grand bol de bouillon, un poulet rôti froid, une bouteille de vin, une d'orgeat, une de limonade et quelques autres

objets cela s'appelait l'en cas de la nuit. Un vieux médecin ordinaire de Louis XIV, qui existait encore lors du mariage de Louis XV, raconta au père de M. Campan une anecdote trop marquante pour qu'elle soit restée inconnue. Cependant ce vieux médecin, nommé M. Lafosse, était un homme d'esprit, d'honneur, et incapable d'inventer cette histoire. Il disait que Louis XIV ayant su que les officiers de sa chambre témoignaient, par des dédains offensans, combien ils étaient blessés de manger à la table du contrôleur de la bouche avec Molière, valet de chambre du roi, parce qu'il avait joué la comédie, cet homme célèbre s'abstenait de se présenter à cette table. Louis XIV, voulant faire cesser des outrages qui ne devaient pas s'adresser à l'un des plus grands génies de son siècle, dit un matin à Molière à l'heure de son petit lever : « On dit que vous faites maigre chère ici, Molière, et » que les officiers de ma chambre ne vous trouvent >> pas fait pour manger avec eux. Vous avez peut>> être faim, moi-même je m'éveille avec un très-bon » appétit; mettez-vous à cette table, et qu'on me » serve mon en cas de nuit. » Alors le roi, coupant sa volaille et ayant ordonné à Molière de s'asseoir, lui sert une aile, en prend en même temps une pour lui, et ordonne que l'on introduise les entrées familières qui se composaient des personnes les plus marquantes et les plus favorisées de la cour. «Vous » me voyez, leur dit le roi, occupé de faire manger >> Molière que mes valets de chambre ne trouvent pas

❝ assez bonne compagnie pour eux. » De ce moment, Molière n'eut plus besoin de se présenter à cette table de service, toute la cour s'empressa de lui faire des invitations 1.

Ce même M. de Lafosse racontait aussi qu'un chef de brigade des gardes-du-corps, chargé de placer à la petite salle de comédie dans le palais

' Cette anecdote est peut-être une de celles qui honorent le plus le caractère et la vie de Louis XIV. On est touché de voir ce roi superbe, accueillant, dans le comédien Molière, l'immortel auteur du Misanthrope et du Tartufe. Voilà par quels traits un prince qui a de la grandeur sait venger le génie de la sottise et le récompenser de ses travaux.

Louis XV aussi voulut encourager les lettres, mais il ne put leur accorder que cette protection froide et hautaine, qu'aucune grâce, qu'aucun mouvement bienveillant n'accompagne, et qui alors humilie plus qu'elle ne touche.

le

Les piquans Mémoires de madame du Hausset contiennent passage suivant :

« Le roi qui admirait tout ce qui avait rapport au siècle de Louis XIV, en rappelant que les Boileau, les Racine, avaient été accueillis par lui, et qu'on leur attribuait une partie de l'éclat de ce règne, était flatté qu'il y eût sous le sien un Voltaire; mais il le craignait et ne l'estimait pas. Il ne put s'empêcher de dire : « Je l'ai aussi bien traité que Louis XIV a traité » Racine et Boileau; je lui ai donné, comme Louis XIV à Ra» cine, une charge de gentilhomme ordinaire et des pensions. » Ce n'est pas ma faute s'il a la prétention d'être chambellan, » d'avoir une croix et de souper avec un roi. Ce n'est pas la

de Versailles, fit sortir avec humeur un contrôleur du roi, qui était venu prendre sur une banquette la place que lui assignait la charge dont il était nouvellement pourvu. Ses protestations sur son état, sur son droit, tout fut inutile. Le démêlé s'était terminé par ces mots du chef de brigade: « Mes» sieurs les gardes-du-corps, faites votre devoir. » Dans ce cas, le devoir était de prendre la personne et de la mettre à la porte. Ce contrôleur, qui avait

>> mode en France; et, comme il y a plus de beaux-esprits et >> de plus grands seigneurs qu'en Prusse, il me faudrait une >> bien grande table pour les réunir tous. » Et puis il compta sur ses doigts Maupertuis, Fontenelle, La Motte, Voltaire, Piron, Destouches, Montesquieu, le cardinal de Polignac. « Votre Majesté oublie, lui dit-on, D'Alembert et Clairault. -Et Crébillon, dit-il, et la Chaussée. Crébillon le fils, >> dit quelqu'un; il doit être plus aimable que son père ; et il y >> a encore l'abbé Prevôt et l'abbé d'Olivet. Hé bien! dit le » roi, tout cela, depuis vingt-cinq ans, aurait dîné ou soupé >> avec moi. »>

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Il y a quelque chose de vrai dans ces réflexions, et le trait d'humeur contre la Prusse est assez piquant; mais que le fond de la pensée, le dédain du prince et son orgueil révolté, se font bien voir dans ces mots : « Tout cela depuis vingt-cinq ans aurait dîné ou soupé chez moi ! » Qu'est-ce donc pour des hommes comme Voltaire, qu'un titre de gentilhomme, que des pensions et des croix, s'ils ne trouvent point dans le prince cette politesse qui les attire et cette affabilité qui les honore? Les lettres devaient trouver un jour un plus noble protecteur dans un des descendans de Louis XIV.

(Note de l'éditeur )

payé sa charge soixante ou quatre-vingt mille francs, était un homme de bonne famille, et qui avait eú l'honneur de servir le roi vingt-cinq ans dans un de ses régimens. Ainsi honteusement chassé de cette salle, il vint se placer sur le passage du roi dans la grande salle des gardes, et, s'inclinant devant Sa Majesté, lui demanda de rendre l'honneur à un vieux militaire qui avait voulu terminer ses jours en servant son souverain dans sa maison civile, quand son âge lui interdisait le service des armes. Le roi s'arrêta, écouta son récit fait avec l'accent de la douleur et de la vérité, puis lui ordonna de le suivre. Le roi assistait au spectacle dans une espèce d'amphithéâtre où était son fauteuil; derrière lui était un rang de plians pour le capitaine des gardes, le premier gentilhomme de la chambre et d'autres grands-officiers. Le chef de brigade avait droit à une de ces places; le roi s'arrêtant à la place qu'il devait occuper, dit à son contrôleur: «< Monsieur, prenez près de moi, pour » ce soir, la place de celui qui vient de vous offenser, » et que l'expression de mon mécontentement pour » cette injuste offense vous tienne lieu de toute >> autre réparation. >>

DANS les dernières années de la vie de Louis XIV, ce prince ne sortait plus qu'en chaise à porteurs, et témoignait une grande bienveillance pour un nommé d'Aigremont, son porteur de devant, qui ouvrait

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