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quât son coup en la formant, et ne pût exprimer à quel point il la voulait belle. Elle peut faire de moi le plus heureux ou le plus malheureux des hommes, sans pouvoir jamais me faire changer. »

Cependant il arriva encore malheur au comte d'Orange, car il paraît que les belles dames d'alors, ne se piquaient pas d'être fidèles, et notre élégant troubadour après avoir dit que le dépit lui donne parfois l'envie de se faire moine, propose ainsi qu'il suit, les règles tant soit peu brutales au moyen desquelles on peut faire heureusement l'amour :

« J'enseignerai aux galants la vraie manière d'aimer. S'ils suivent mes leçons, il feront rapidement de nombreuses conquêtes. Voulez-vous avoir des femmes qui vous mettent en renom? Au premier mot désobligeant qu'elles répondront, prenez le ton menaçant. Répliquent-elles? ripostez par un coup de poing au nez. Font-elles les méchantes? soyez plus méchant qu'elles et vous en ferez ce qu'il vous plaira. Médire et mal chanter vous procureront des bonnes fortunes, même des meilleures, pourvu que vous y joigniez beaucoup de présomption et de suffisance. Faites l'amour aux plus laides, montrez de l'indifférence aux belles, c'est le moyen de réussir. Mais hélas! je n'en use pas de la sorte, car mes vieilles habitudes sont incorrigibles. Simple, doux, humble, tendre et fidèle, j'aime les femmes comme si elles étaient toutes mes sœurs. Oh! gardezvous de suivre mon exemple, et retenez bien mes préceptes si vous craignez les tourments de l'amour. »

Malgré la prétendue naïveté qu'affecte ici le noble troubadour, on aurait tort de prendre les beaux semblants de tendresse et d'humilité du comte d'Orange,

pour des sentiments vrais; car Raimbaud eut bientôt pour maîtresse la comtesse de Die qui, bien que mariée, célébra et divulgua ses amours en vers énergiques qu'elle adressa à son amant, ce qui n'empêcha pas celui-ci de la tromper bientôt après, et de se moquer d'elle dans ses chansons.

Ces anecdotes et ces extraits poétiques font entrevoir, je crois, quel était le caractère des mœurs et des écrits des troubadours provençaux de la classe la plus élevée. Quant aux troubadours jongleurs, pour qui l'art était un métier lucratif, ils se comportaient précisément comme les trouvères et jongleurs picards, normands et flamands d'au-delà de la Loire ; et Girard de Calanson dans une pièce de vers où il donne les préceptes de son art, recommande d'abord « de savoir bien trouver, bien rimer, bien parler, et proposer habilement un jeu-parti. En outre, dit-il, il faut bien jouer du tambour et des cymbales, faire retentir la symphonie, jeter des petites pommes et les retenir adroitement sur la pointe d'un couteau, imiter le chant du rossignol, faire des tours avec des corbeilles, simuler l'attaque des châteaux et traverser en sautant quatre cerceaux, jouer de la citale et de la mandore, manier la manicarde et la guitare, jouer de la harpe et bien accorder la gigue pour égayer l'air du psaltérion. »

A ces conseils succède l'énumération des romans qu'il était indispensable que tout jongleur dût connaître ; et pour terminer son art poétique, Calanson dit à celui qu'il enseigne : « Sache comment l'amour court et vole; comme il va nu et sans habit, comme il repousse la justice avec ses dards, et avec quel art il se sert de deux flèches, dont l'une est d'or fin qui éblouit, l'autre d'acier

qui fait de si profondes blessures que l'on n'en peut guérir. Apprends les ordonnances d'amour, ses privilèges et ses remèdes, et tu sauras exprimer les divers degrés de sa puissance; tu sauras comme il se meut rapidement, de quoi il vit, ce qu'il fait quand il s'élance, les tromperies qu'il exerce habituellement, et comment il détruit ses serviteurs. Quand tu sauras tout cela, ajoute Girard de Calanson à son disciple, alors ne manque pas d'aller vers le jeune roi d'Aragon, car je ne connais personne qui apprécie mieux les bons exercices. Si tu fais bien ton métier, si tu te distingues parmi les plus habiles de tes rivaux, tu n'auras certes pas à te plaindre de sa munificence. Mais si tu restes dans la médiocrité, alors attends-toi à être mal accueilli par le meil leur des princes. >>

Tel était le caractère de la poésie amoureuse des Provençaux, bien différente, comme on le voit, de celle des musulmans, si habituellement chaste et religieuse. On observera encore, en comparant la manière des troubadours avec celle des trouvères, la nuance qui les distingue. Dans les poètes du nord il y a une hardiesse de pensée et d'expression que rien n'arrête. Ils sont satiri> ques, narquois et obscènes commes des gens qui veulent surtout s'adresser et plaire au bas peuple. Chez les troubadours, au contraire, curieux surtout de flatter l'oreille des princes et des gens de cour, la corruption morale est plus grande, mais dans les formes de leurs compositions et de leur langage, ils se montrent plus délicatement spirituels, ils jouent gracieusement avec les vices dont ils parlent, et parlent de tout comme des gens qui n'attachent d'importance à rien. Les trouvères

sont les poètes du peuple; les troubadours sont des poètes courtisans.

Parmi les formes que les troubadours employaient dans leurs chants, la Tenson, espèce de plaidoyer où l'on envisageait les cas de conscience amoureux, est une de celle qui fait ressortir plus particulièrement le caractère de la nation provençale.

Entre mille aventures dont le fond varie peu, en voici une qui donna lieu à faire composer une Tenson. « Vers le milieu du XIIe siècle, vivait un riche baron du Poitou, seigneur de Mauléon et de plusieurs fiefs. Savary, c'était son nom, brave et galant chevalier, aimait les assemblées, les tournois, les fêtes et les vers. Ce chef de toute courtoisie, aima et servit longtemps une noble dame de Gascogne, Guillemette de Bénavias, femme de Pierre de Gavaret, seigneur de Langon, car il n'est pas inutile de faire observer que dans les poésies provençales toutes les femmes qui recherchent les soins et l'amour d'un chevalier-troubadour, afin d'acquérir de la célébrité, sont en puissance de mari. Quoiqu'il en soit donc, dame Guillemette de Bénavias, sans s'inquiéter de ce qu'en pourrait penser son époux, recevait les soins du preux chevalier son amant, qui fit pour elle les plus haut faits d'armes, qui lui envoyait les plus beaux messages et les plus riches présents. De tous ces soins Savary fut mal récompensé; car on lui préféra des rivaux et il fut congédié. Ses amis qui s'étaient aperçus qu'on le trompait, lui avaient fait faire connaissance avec une autre dame également mariée, la comtesse Mahaut de Montagnac, jeune, belle, désirant comme les autres acquérir de la célébrité, et ne croyant pas pouvoir mieux faire, en ce cas, que de voir Savary. Cette beauté plut telle

ment au chevalier qu'il la pria d'amour, selon l'expres sion consacrée alors, et reçut en réponse un rendezvous pour recevoir de la dame tout ce qu'il désirait. Mais madame Guillemette de Bénavias ayant eu vent de cette affaire, se ravisa et prit la résolution de donner aussi un rendez-vous pour la même fin. Or, c'est ici que l'étrange métaphysique de l'amour provençal, apparaît dans tout son éclat. Le chevalier Savary jugeant le cas où il se trouvait, singulier et fort embarrassant, va chercher, pour lever ses doutes, un prévôt de Limoges, vaillant homme et bon troubadour lui-même, auquel il raconte l'histoire de ses doubles amours, le priant d'agiter, dans une Tenson la question de savoir auquel des deux rendez-vous il doit satisfaire. En effet, le prévôt expose la difficulté dans une Tenson, où Savary semble pencher pour sa première maîtresse, tandis que le prévôt-troubadour plaide la cause de la seconde dame. Enfin, la question restant indécise, ils conviennent de la soumettre à trois grandes dames dont on ne connaît ni le nom, ni la sentence. Les dernières paroles que Savary prononce dans la Tenson, sur sa première maîtresse sont fort tendres : « Prévôt, dit-il, si celle que j'aime daignait seulement me donner son gant, ou me permettre de la voir une fois avant de mourir, je ne me ferais pas prier pour me rendre à ses ordres. C'est à elle que je veux être éternellement attaché, c'est avec ma seule douce amie que je veux vivre. Mon amour n'est point trompeur; il me brûle, il m'embrase. »

Après cette promesse du poète provençal, Savary va faire visite à madame la vicomtesse Guillemette de Bénangès, autre dame mariée dont il était encore devenu amoureux, et chez laquelle venaient aussi deux de ses

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