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qu'il renferme, j'y ai vu que chaque objet pouvait être aisément remplacé par un autre, excepté Leila. Et si je dois la perdre, je ne vois que le sein de la Divinité où je puisse me distraire d'un être auquel rien, sur la terre, ne peut être comparé (1). »

Mais pour donner une idée complète de l'esprit que les Musulmans apportent en lisant ce livre, je joindrai la traduction des vers d'un poète turc qui, voulant faire comprendre à ses amis qu'il avait entièrement renoncé à l'amour des créatures pour se donner à Dieu, leur disait :

« Celui qui fixe sa vue sur le Seigneur, ne s'amuse plus à considérer Leila. Quiconque regarde le soleil ne daigne plus arrêter ses yeux sur la lune. Il en est de même de celui qui contemple le souverain Bien. Car dès qu'il est dans cet état, il n'a que du mépris pour les choses de la terre. Adieu donc, Leila! puisque j'ai trouvé aujourd'hui mon Seigneur. Ton amour m'a porté jusqu'à celui du vrai et unique Bien. Adieu donc, créatures misérables, car j'ai trouvé toutes choses dans un seul objet. La présence de Dieu est si fortement imprimée dans mon âme, que je ne sens en moi d'autre désir que d'être uni à lui. Sa beauté incomparable efface toutes les autres de mon esprit; Adieu donc, Leila! pour la dernière fois (2). »

(4) Feu Chezy a donné une traduction du poème de Medjnoun et Leila. Paris, 1807; cette citation en est extraite. On peut consulter aussi la traduction' anglaise de M. Atkinson. Londres, 1836.

(2) Pour tout ce qui concerne l'amour divin chez les mulsumans, on peut consulter la Bibliothèque Orientale d'Herbelot, où j'ai puisé moi-même. Voyez entre autres articles celui: Gennah, le Paradis. Les romans mystiques les plus fameux en Orient, sont: Joussouf et

Tel est l'ensemble de la doctrine de l'amour mystique, chez les Musulmans; et l'on doit s'apercevoir qu'à quelques nuances près, la Sulamite de Salomon, la Diotime de Socrate, la jeune esclave d'Hermas, la mère de saint Augustin, la philosophie de Boèce et la Leila des Arabes ne sont qu'une même figure modifiée, et au fond représentant la même idée.

Ces éclaircissements suffiraient, je pense, à démontrer que la poésie et l'amour n'ont pas, chez les Musulmans, des fondements aussi matériels qu'on le croit communément. Cependant pour ne rien négliger de ce qui se rattache à ce curieux sujet, j'ajouterai, mais succinctement, ce que ce système mystique a produit dans la partie occidentale de l'Europe, où les Musulmans fondèrent des royaumes, transmirent leurs connaissances, et ont même fait pénétrer quelque chose de leurs

mœurs.

Que l'idée de faire de la femme un être symbolique figurant toutes les vertus morales, ou un miroir qui réfléchit les attributs de la Divinité, ait été empruntée par les Musulmans, au Cantique des Cantiques ou au Banquet de Platon, ce n'est pas ce que nous avons à rechercher ici. C'est le fait même de l'acceptation de cette idée par eux, qui nous intéresse surtout, puisque cela prouve d'une manière évidente que les musulmans ont adopté le culte de la Beauté visible comme initiation à la connaissance de la Beauté divine et ont consacré et développé ce système non-seulement dans leurs livres de théologie, mais dans leurs poésies et dans leurs romans les plus anciens.

Zoleika, Medjnoun et Leila, Khosrou et Schirin, Gémil et Schanbah, Vamek et Adra,

Il ne nous reste plus qu'à déterminer le caractère que les écrivains de ces nations, ont donné à l'Amour naturel. Or, pour l'éclaircissement de ce sujet, je renverrai encore au roman d'Antar où l'on verra qu'aussi élevé que soit le sentiment que ce héros éprouve pour la belle Ibla, jamais cependant, son amour ne dépasse les bornes de la réalité ni de la vraisemblance; et qu'enfin, dans ce livre, la femme, sous le caractère et la figure d'Ibla n'est point soumise à l'état d'esclave, et tire toute l'influence qu'elle exerce, de sa beauté, de la pureté de ses sentiments et de ses hautes qualités morales.

Dans un autre ouvrage arabe, les contes des Mille et une Nuits (1) où les fredaines des belles persanes ne peuvent laisser de doute sur la douceur excessive de leur esclavage, on trouve constamment la femme exerçant dans la société, dans la famille et jusque sur le souverain une influence très-grande. Si l'Ibla d'Antar commande le respect par sa chaste beauté ; dans les contes arabes, ce sont ordinairement les combinaisons de la galanterie et de l'intrigue qui remplacent les vertus. Mais dans l'un comme dans l'autre cas, la femme est loin de vivre effectivement en esclave, puisqu'au contraire c'est elle qui domine.

(1) La date de la publication du roman d'Antar est 1145, mais les traditions qui ont servi à la composition de ce livre, remontent aux premiers temps de l'islamisme. Quant aux contes des Mille et une Nuits, on est assez incertain sur le temps vers lequel ils ont été écrits. Dans l'histoire du Barbier, (CLXIe Nuit. Trad. de Galland.) il est question de l'an de l'Hégyre 653, qui répond à 1255 de JésusChrist. Cette date a fait penser que l'on pouvait faire remonter la rédaction de ce recueil au XIIIe siècle de notre ère. Dans ce cas, le roman d'Antar serait plus ancien d'un siècle que les Mille et une Nuits.

Cette double combinaison de l'autorité de la femme sur l'homme, a-t-elle réellement été en usage autrefois chez les peuples musulmans, ou bien n'est-ce qu'une invention de leurs poètes et de leurs romanciers? C'est sans doute une question assez piquante pour que quelqu'un de nos doctes orientalistes s'évertue à la résoudre; mais historique ou seulement littéraire, je prends le fait, tel qu'il nous a été transmis, et je cherche ce qu'il a pu devenir lorsque les musulmans eurent l'occasion de frayer avec les Européens.

Depuis 1095 jusqu'à 1291 les huit croisades qui eurent lieu dans l'Asie-Mineure, en Palestine et sur les rives septentrionales de l'Afrique donnèrent aux peuples de l'Orient et de l'Occident des occasions fréquentes de se combattre, de se connaître et enfin de s'apprécier. Toute espèce d'échange s'établit entre eux, depuis la langue que chaque adversaire parlait, jusqu'aux connaissances scientifiques et littéraires particulières aux musulmans et aux chrétiens.

Mais l'intelligence et l'usage réciproque des langues arabe et franque (1) qui se répandirent pendant le cours de ces guerres, entre les divers peuples en présence, est ce qui concourut le plus puissamment à la renaissance des lumières en Europe. Les sciences, plus particulièrement cultivées par les Arabes, devinrent, de ce moment, l'objet des études des Européens qui en pri

(1) Je désigne ici par langue franque, le résultat des langues d'oc et d'oil que les croisés d'en-deçà et d'au-delà de la Loire parlaient, pendant les premières croisades, et dont la confusion a du servir à former ce que l'on appelle encore aujourd'hui langue franque en Orient.

rent les premières teintures dans les traductions des philosophes et des savants grecs que les successeurs d'Aroun-al-Rachid avaient fait faire à Bagdad. D'une autre part les troubadours et les trouvères, en imposant leur langue aux croisés de tous les pays, réunis en Palestine pour la conquête du Saint-Sépulcre, établirent là un immense et puissant foyer littéraire d'où les langues provençale et picarde, transportées ensuite par les croisés de retour dans leur pays, furent parlées jusqu'au xvi® siècle à Jérusalem, à Constantinople, à Naples, en Catalogne, en Italie, en France et jusqu'en Angleterre.

Au milieu du concours de tant de nations différentes, que de combinaisons intellectuelles ne dut-il pas se former? Tandis que les rimeurs de la France apprenaient à tant d'autres peuples à se servir de leur langage, ces faiseurs de contes et de fabliaux y introduisaient, à leur insu, des fantaisies orientales. Dans les camps, sur le champ de bataille, où lorsque tour-à-tour on était vainqueur ou prisonnier, on faisait des échanges continuels de mots, d'usages, de vêtements et d'idées. Pendans les trèves, les conteurs arabes et francs s'écoutaient pour s'imiter; et les récits de nos trouvères prouvent que malgré leur originalité incontestable, ils ont fait de larges emprunts aux narrateurs de l'Orient (1).

De ces échanges continuels de langues, d'usages et d'idées dont il nous reste tant de preuves historiques et littéraires, serait-il déraisonnable de conclure que par suite des conférences et des discussions qui avaient lieu entre les Imans et les Docteurs chrétiens, ou pour se re

(1) Tels sont les recueils de contes intitulés : Disciplina clericalis, le castoiment, l'Ordène de chevalerie, etc.

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