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toute espérance? Quels charmes, quels avantages ont donc brillé sur le front des autres, pour que tu aies pris le parti de te tenir auprès d'eux? - Après avoir tiré un soupir amer de ma poitrine, et trouvant à peine de la voix pour répondre, mes lèvres s'émurent péniblement, et je dis en pleurant : Les choses du moment, par l'attrait de leurs faux plaisirs, ont détourné mès pas, dès que votre figure s'est cachée. Et elle : quand tu aurais tu ou nié ce que tu confesses, ta faute n'en serait pas moins connue; un Tel juge la sait! >>

Cette scène est une des plus importantes des trois Cantiques. Dante a parcouru tous les cercles, tous les degrés de l'enfer et du purgatoire, et il arrive devant Béatrice qui lui fait subir sa dernière initiation, son dernier jugement, avant qu'il soit admis à boire les eaux du Léthé et à visiter le Paradis. Or, en oubliant, s'il est possible, la majesté de cette scène, et la beauté des vers du poète, il faut convenir que l'aveu du pénitent comme les reproches de l'accusatrice, sont bien vagues, et qu'il est assez singulier que Dante, qui ne recule ordinairement devant aucune dissertation, ait été d'une réserve si extraordinaire dans une circonstance aussi importante.

Voici de quelle manière M. Rosetti interprète l'ensemble de cette scène, ainsi que la réserve des deux interlocuteurs, et enfin l'amour platonique qui les unit. Béatrice, comme il l'a dit, est la perfection sur terre dans la monarchie impériale, opposée à la Mérétrice, la louve, la prostituée, la Rome des papes. Dante aime Béatrice et hait Mérétrice. Or Dante, avant d'avoir embrassé le parti gibelin, avait été Guelfe ainsi que toute sa famille. Il se reprocha souvent cette espèce de péché

originel dont il ne fut lavé que quand il se mit volontairement parmi les Gibelins. C'est le passage d'une faction à l'autre, que Dante regardait comme la transition de l'erreur à la vérité, et qu'il considéra, pour lui, comme une vie nouvelle. Et s'il faut en croire M. Rosetti, la Vita nuova n'est rien autre chose que l'histoire de cette conversion dont Béatrice, figurant le pouvoir impérial, est l'objet, et sur laquelle le poète promet de dire des choses qui n'ont point encore été entendues, parole qu'il a tenue effectivement dans ses trois Cantiques. On reprocha à Dante, et il se reprocha à lui-même plus d'une fois, non-seulement d'être né Guelfe, mais encore d'avoir cédé à la crainte qu'inspiraient les hommes de ce parti, en ne parlant pas avec toute la fermeté et la franchise qu'il aurait dû mettre dans ses discours. Ainsi dans le premier ouvrage de Dante, la Vita nuova, il dit à l'occasion de la mort de Béatrice : « Quand cette noble dame fut sortie de ce monde, la ville resta comme veuve et privée de son ornement; j'étais encore dans l'affliction au milieu de cette ville désolée, quand j'écrivis aux princes de la terre et du monde, pour leur faire connaître qui elle était. On trouvera peut-être mauvais que je ne rapporte pas ici cette lettre qui est en latin (langue des Guelfes); mais comme mon intention est de ne rien insérer dans ce présent livre qui ne soit en langue vulgaire (langue des Gibelins), et qu'en agissant ainsi, je remplis d'ailleurs les intentions de mon principal ami (Guido Cavalcanti, poète gibelin), je ne donnerai donc pas ma lettre latine. » Toutefois ce passage de Ja Vita nuova est accompagné de ces paroles latines tirées de Jérémie : Quomodo sola sedet civitas plena populo? facta est quasi ridua domina gentium.

La mort de Béatrice coïncide, selon M. Rosetti, avec celles de l'empereur Henri VII et du pape Clement V (1313-1314). Dante, à l'occasion de ce dernier événcment, et pour engager le clergé à ramener le SaintSiége d'Avignon à Rome, écrivit une lettre latine aux cardinaux italiens qu'il surnomma, selon les formules de la flatterie en usage alors, princes de la terre et du monde. Il accompagna même cette lettre de l'épigraphe tirée de Jérémie : Quomodo sola sedet civitas, etc. Cette condescendance pour les hommes guelfes, cette formule qu'on leur accordait par flatterie, ce titre qu'on leur disputait effectivement, indisposèrent le parti gibelin contre Dante, qui ne tarda pas à se reprocher à luimême cette faiblesse. D'après les idées de M. Rosetti, tous les péchés dont s'accuse Dante dans ses poèmes se borneraient à cette faute. La mort de Béatrice ne serait qu'un emblême de la colère de ses co-sectaires contre lui, et enfin les interrogations impérieuses de Béatrice au xxx chant du Purgatoire, ainsi que l'aveu si vague que Dante y fait de sa faute, auraient pour motif cette déviation apparente du poète gibelin vers le parti guelfe. Enfin, le dernier vers du morceau cité : da TAL giudice sassi, deviendrait une confirmation matérielle de ce que le commentateur avance, puisque, comme on l'a déjà dit, TAL est un signe conventionnel qui enferme les initiales de Teutonico, Arrigo, Lucemburghese, l'empereur Henri VII, qui était le grand juge dans cette affaire.

J'ai rapporté fidèlement l'opinion de M. Rosetti sur ce morceau de Dante. Cependant je dois avertir ce critique et les lecteurs qu'il y a abus et erreur dans le rapprochement des dates. Ainsi Henri VII est mort empoi

sonné avec une hostie, en 1313, et le pape Clément V a quitté le monde l'année suivante. Dante, né en 1265, avait 47 ou 48 ans vers 1314. Or, Boccace, dans la vie de Dante, qu'il a écrite, dit que ce poète, précisément contemporain de Béatrice, avait 26 ans lorsqu'il composa la Vie nouvelle, quelque temps après la mort de cette femme. « Egli primieramente, duranti ancora le lagrime della sua morta Beatrice, quasi nel suo vigesimo sesto anno, compose un suo vilumetto, il quale egli titolò: Vita nuova. » Sans croire que cette observation renverse entièrement le système que M. Rosetti présente pour expliquer ce passage de Dante, on doit cependant l'engager à mettre toute la précision imaginable dans la citation et le rapprochement des faits sur lesquels il établit ses inductions.

Mais je dois le dire, malgré ces erreurs partielles, et sans adopter complètement les idées de M. Rosetti sur le but exclusivement politique qu'il donne à tous les écrits de Dante et des auteurs de son siècle, il est impossible de ne pas convenir d'une part, qu'ils renferment un sens allégorique que personne n'a encore découvert ni saisi, et que de toutes les clés données jusqu'a présent pour pénétrer dans ce sanctuaire, celle qu'à forgée M. Rosetti, est encore celle qui ouvre le plus de portes. Comme j'ai critiqué ce commentateur sur un point important, je veux maintenant prouver par un exemple, qu'il est loin d'avoir toujours tort. Parmi la quantité de preuves qu'il allègue pour démontrer que, sous le voile du mot amour, et de tous les dérivés de cette parole emblématique, on cachait les espérances et le langage conventionnel d'une secte, il rapporte une Chanson d'un certain Bracciarone de Pise, espèce d'apostat qui, après

avoir fait partie de la secte gibeline, trahit ses secrets. en exprimant le ressentiment auquel l'exposait sa désertion.

Nuova m'è volontà nel cor creata
Volendo proferisca e dica il grave
Crudele stato ch'è in Amor fallace.
Però ch' alquanto gia fui suo seguace,
Vuol che testimonia rendane dritta,
Ed alla gente rea faccia scoufitla

Che seguon lui, e cantan del lor male,
E danno laude a chi tanto gli sconcia;

Cio è Amor, che non stanchi si veno (vedono)
Di coronar lo impero d' ogni bene.
Li matti che si copron del suo scudo
Il qual manco è che di ragnolo tela !
Come la gente non di lui s' accorge?
A prender goardia da' suoi inganni felli
Che a Deo li fa, e al mondo ribelli !

« Une nouvelle volonté née dans mon cœur me force de dire, de faire connaître ce qu'il y a de triste et de terrible dans ce qui constitue l'Amour trompeur; et par cela même que j'ai été dévoué à cet Amour, ma volonté exige que je rende témoignage de ce que je sais et que je poursuive et démasque cette tourbe coupable de gens qui suivent ses lois, qui célèbrent par leurs louanges ce qui fait leur malheur et leur perte, c'est-à-dire cet Amour qu'ils ne se lassent pas de voir couronner comme le maître et la source (impero) de tout bien. Les insensés! ils se couvrent de son bouclier qui est moins qu'une toile d'araignée! Comment tout le monde ne le démasque-t-il pas? Comment chacun ne se tient-il pas en garde contre les embûches perfides qui rendent tous ceux qui

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