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L'attachement et le respect que Mahomet porta constamment pendant vingt-cinq années à Khadidja, sa première épouse, suffirait à prouver qu'à cette époque la femme était loin d'être méprisée, ou qu'au moins le chef de la religion donnait l'exemple d'une conduite toute contraire. J'ajouterai même à ce sujet que le préjugé des Européens relatif à l'expulsion des femmes musulmanes du Paradis, est fondé sur une tradition faussement interprétée par le peuple en Orient. Une vieille se plaignit, dit-on, à Mahomet, du sort qui lui était réservé après sa mort. Le prophète voyant son chagrin se mit à rire puis la rassura et la réjouit tout à la fois, en lui disant que toutes les vieilles seraient rajeunies avant que d'entrer en Paradis. Cette plaisanterie prise au sérieux par quelques commentateurs pédants, a donné lieu à une fausse tradition absolument contraire à ce que dit le Coran au sujet des femmes.

:

Mais quoiqu'alors les mœurs des Mahométans fussent dans toute leur simplicité, et que l'on ne raffinât pas encore sur les sentiments et les idées, le respect extraordinaire que l'on avait pour la femme est un fait qui mérite attention, parce qu'il semble être le point de départ de l'amour mystique, ou platonique, qui se développa vraisemblablement chez les Arabes, pendant ou après le règne de Mamoun, lorsque les lettrés de Bagdad eurent connaissance des philosophes de la Grèce. Or, voici l'exposition de l'ensemble de la doctrine mystique de l'amour divin, selon les Arabes :

Les degrés de l'amour de Dieu sont : l'amitié, l'amour, le désir, l'ardeur, l'extase, l'enthousiasme et la fureur. L'amour est une disposition qu'a le seul véritable Bien, pour sa souveraine beauté, en général et en particulier,

sous quatre points de vue différents : 1° du général au général; 2o du général au particulier; 3o du particulier au particulier; 4o et enfin du particulier au général.

1° Du général au général : lorsque Dieu contemple sa propre essence dans le miroir de son essence même, sans l'intermédiaire d'aucune autre essence. C'est alors qu'il produit de toute éternité, ce premier Amour, source de tout autre, dont un poète persan a donné cette définition allégorique :

« C'est un bien-aimé dont nul autre que lui-même ne >> connaît la beauté. Il en a levé l'étendard dans son » royaume éternel. Il n'a pas besoin du ciel pour lui » servir d'échiquier, ni du soleil et des astres pour lui » servir de pièces. Il joue lui seul avec lui seul, le jeu » ineffable d'Amour. »

2o Du général au particulier : lorsque Dieu par son essence unique, jette une infinité de regards sur les splendeurs de sa beauté; soit sur l'excellence de ses attributs divins, soit sur la perfection de ses ouvrages. A ce sujet Methnevia a fait les vers suivants :

« Cette beauté (divine) inspire de l'amour à chacun ; » mais nul n'est assez heureux en ce monde, pour pou» voir en jouir en elle-même. Le miroir dans lequel » vous pouvez la contempler est la production et la con>> servation de toutes les créatures. C'est là l'unique ob» jet, le seul intermédiaire que notre amour puisse » prendre. Contentez-vous de cette image, car on n'en » peut rien tirer de plus en cette vie. »

3o Du particulier au particulier cette troisième espèce d'amour est celui des créatures humaines qui, apercevant en elles des lueurs, des reflets de la souveraine beauté, s'attachent à des objets passagers, péris

sables, en font l'objet de leur préoccupation et de leur félicité; qui se réjouissent quand ils les possèdent et s'affligent quand elles en sont séparées. Ce genre d'amour qui se rapporte à celui dont parle Platon, et qui a été célébré par Dante et Pétrarque, a été défini de cette manière par un poète persan :

« C'est votre beauté cachée et néanmoins brillante » sous des voiles, qui a fait, Seigneur, un nombre infini » d'amants et d'amantes. C'est par l'attrait de votre » odeur, que Leila a ravi le cœur de Medjnoun. C'est aussi par la passion de vous (Dieu) posséder, que » Vamek a tant poussé de soupirs pour Adra. »>

4° Du particulier au général : enfin, c'est l'amour qui porte les âmes que Dieu a choisies, à quitter toutes les pensées et toutes les affections mondaines, pour s'élever jusqu'au Créateur qui possède toutes les qualités et toutes les perfections dans leur source (1).

De ces quatre modes de l'Amour divin, trois sont exclusivement du domaine des théologiens; mais les poètes des différentes nations musulmanes se sont emparés du troisième, du particulier au particulier, et en ont fait le fondement de certaines de leurs compositions littéraires.

Il y a chez les Musulmans deux histoires d'amour entre autres dont les circonstances naturelles et où il se mêle des passions très-vives, servent cependant de texte pour exprimer allégoriquement tous les raffinements de l'amour divin. La première et la plus célèbre est celle des amours du patriarche Joseph avec la fille de Pharaon, Zoleika, femme de Putiphar, dont le récit fort bi

(1) Bibliot. Orientale d'Herbelot, au mot : Eschk Allah,

zarre contenu dans le Koran (Chapitre intitulé: Joseph), fourni la matière de plusieurs romans en vers. Le plus ancien est celui composé par Amak, poète qui présidait une foule de savants et d'écrivains à la cour de Khedher-Khan, souverain de l'Inde, et dont la vie a rempli tout le ve siècle de l'hégyre (de 1022 à 1122 de J.-C.) (1)

Dans ces compositions, les personnages de Joseph et de Zoleika jouent des rôles analogues à ceux du Bienaimé et de la Sulamite du Cantique des Cantiques. Ce sont des figures allégoriques, mystiques; et Joseph, qui réfléchit en lui tous les éléments de la beauté, est l'image visible de la divinité, comme Zoleika n'est que la figure de l'âme fidèle, qui s'élève par l'amour de la créature jusqu'à Dieu.

Deux autres amants, Medjnoun et Leila, renommés parmi les Musulmans, à cause de leur constance et de leur chasteté, figurent également, l'un l'amour divin et l'autre la créature réfléchissant toutes les beautés et les perfections divines. Cette fois, les rôles sont transposés; et c'est la femme, Leila, qui figure la divinité. Voici l'extrait de cette jolie composition qui servira à faire comprendre l'application du mysticisme mahomé

tan.

Keis est l'amant, Leila l'aimée. Ces deux jeunes gens appartenant chacun à des tribus arabes ennemies, font de vains efforts pour obtenir de leurs parents d'être réunis et mariés. Cet obstacle augmente leur passion au point que Leila se promet de conserver une fidélité

(2) Il y a encore plusieurs poèmes ou romans sur Joseph: entre autres, ceux d'Abdalrahman, et de Nadhami, ou Nezami, l'un des plus célèbres poètes persans,

éternelle à son amant, et que de son côté, Keis fatigué des refus qu'il essuye, s'éloigne de la société des hommes, va vivre dans le désert au milieu des bêtes sauvages et finit par perdre l'usage de la raison. C'est alors qu'on lui donne le surnom de Medjnoun, qui veut dire l'insensé. Cependant Leila ne cesse pas de lui conserver son amour; et bien qu'elle soit forcée par ses parents d'épouser un chef arabe, elle n'accorde rien à son époux légitime, dans l'intention de conserver sa pureté pour Medjnoun. L'époux pénétré de respect pour la chaste constance de Leila, aulieu d'user de ses droits, prend du chagrin de n'être point aimé, maigrit, dépérit et finit par mourir. Cependant la folie de Medjnoun est loin de diminuer ; et lorsque par la mort de son rival, il pourrait de nouveau concevoir quelqu'espérance, c'est à ce moment au contraire que sa raison l'abandonne entièrement. Bientôt il meurt, et Leila ne tarde pas à quitter aussi la vie, en recommandant que son corps soit enterré auprès de celui de son amant.

Tel est le fond de cette ancienne aventure arabe, dont le persan Djami (1414-1492 de J.-C.) a fait un petit poème plein de charme et d'intérêt; et pour donner un exemple des nombreux passages de ce livre, qui se prêtent à une intérprétation mystique, je rapporterai les paroles de Keis, au moment où ses parents lui proposent un mariage, dans l'espérance de le détourner de l'amour qu'il ressent pour Leila : « Moi, oublier Leila ! s'écrie-t-il, moi, l'abandonner! non, jamais. Non, son souvenir repose dans mon cœur, comme une image inaltérable, profondément gravée sur un chaton précieux. Leila est l'âme qui m'anime. J'ai promené mon imagination sur l'univers entier; j'ai examiné tout ce

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