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Philosophie; puis il ajoute un peu plus loin : « Par ma Dame, j'entends toujours celle dont il a été question dans ma Chanson précédente, c'est-à-dire Luce, la puissante philosophie.

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On rencontre encore fréquemment dans les vers et la prose de Dante des expressions dont l'indécision est telle, qu'elle embarrasse ordinairement le lecteur. Ce sont les mots tal (tel) ou altri (autre), employés comme nous le ferions pour indiquer quelqu'un dont on parle, mais que l'on ne veut pas nommer: « Un tel viendra; l'autre ne tardera pas à paraître. » A propos de ces deux expressions, M. Rosetti cherche à prouver par de nombreux exemples qu'elles ont été employées de la même manière par plusieurs poètes contemporains de Dante, et qu'il regarde comme ses co-sectaires; puis il finit par avancer que ces deux mots, TAL et ALTRI, renferment les initiales de ces deux phrases: Teutonico, Arrigo, Lucemburghese, et Arrigo Lucemburghese, Teutonico, Romano Imperatore, c'est-à-dire le nom, les qualités et le titre du Messie qu'attendaient les Gibelins, Henri VII, Duc de Luxembourg, Empereur d'Allemagne, qui devait être couronné à Rome. C'est au moyen de ces interprétations que M. Rosetti donne un sens précis à ces paroles de Dante, lorsque, dans son poème, les démons s'opposant à l'entrée de Virgile et à la sienne, dans la ville de Dite, l'Enfer ou la Rome des papes, il s'écrie : « Il nostro passo non ci può torre alcun, da TAL n'è dato. TAL ne s'offerse:-O quanto tarda à me ch' ALTRI qui giunga!» -«Personne ne pourra nous barrer le chemin, si un TEL ne l'a pas permis.- Un TEL ne vient pas ! Oh! qu'il me tarde de voir arriver l'AUTRE ici!» Ce tel, cet autre, selon M. Rosetti, est donc l'empereur Henri VII.

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Parmi les exemples donnés par le critique à l'appui de cette opinion, il cite encore une espèce de talisman indiqué par Francesco de Barberino, contemporain de Dante, Gibelin et sectaire comme lui. Ce talisman, ou plutôt ce préservatif que l'auteur commande d'écrire sur les murs des appartements, avec du sang de bouc, est disposé de cette manière :

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Et en voici l'explication: Au milieu, Teutonicus Henricus,Augustus Septimus, Uivat. A la droite de ce Messie, de ce christ politique, sont V, les vivants les bons, les Gibelins; à sa gauche, M. les morts, les méchants, les Guelfes. Dessous les vivants indiqués par un V, sont les morts pour exprimer leur infériorité et leur punition; et enfin l'X, qui se voit à l'angle opposé, est la date de l'année où Henri VII devait mettre son expédition en Italie à fin. Henricus VII, anno MCCCX, expeditionem romanam indixit (1).

J'ai cru devoir m'arrêter tant soit peu sur les faits qui tendent à prouver l'usage que Dante et ceux de ses contemporains, Gibelins comme lui, ont fait du langage apocalyptique, d'un argot de secte et de signes conven

(4) Struvius, hist. germ., Pars IX, sect. 4.

tionnels. Parmi l'immense quantité d'exemples fournis par M. Rosetti, j'ai choisi ceux qui frappent davantage et me paraissent le plus propres à donner le désir de s'assurer par soi-même de la solidité des raisons et du système du nouveau commentateur de Dante. Quoi qu'il en soit, et dans le cas même où les recherches de M. Rosetti à ce sujet, ne dévoileraient pas suffisamment la vérité qu'il croit avoir démontrée, on peut assurer que rien n'est plus curieux et plus intéressant pour les personnes qui étudient avec soin, que le livre d'où j'ai tiré tous les détails que l'on vient de lire. En admettant même que le système de M. Rosetti soit entièrement erroné, je conseillerais encore d'en prendre connaissance. Il y a toujours à apprendre avec ceux qui se trompent de bonne foi.

Quoi qu'il s'en faille de beaucoup que j'adopte entièrement les idées de M. Rosetti, je suis loin cependant de les rejeter avec le mépris que quelques écrivains ont montré pour elles. Il est certain que plus d'une des Chansons de Dante, citées et traduites dans ce volume, sont inexplicables dans les détails, et parfois même dans leur ensemble. Il y a seulement un fait certain c'est que l'Amour, dans ces poésies, a ordinairement pour cbjet comme le dit présisément le poète, la Philosophie. Or, que l'objet allégorisé soit la Théologie, la Philosophie, ou la Puissance impériale, je ne vois pas pour quelle raison l'une de ces trois entités, figurée allégoriquement, serait plus digne d'être aimée et chantée poétiquement que l'autre. Les critiques de M. Rosetti, qui prétendent que, si on substituait la Politique à la Philosophie ou à la Théologie, comme le veut ce commentateur, on réduirait la poésie du Florentin a un prosaïsme désanchan

teur et insupportable, me semblent manquer de logique. Car, dans un poème ållégorique. c'est l'allégorie en elle-même qui est froide et difficile à comprendre, mais non pas le sujet ou l'objet allégorisé; et j'avoue que pour mon compte. il m'importe assez peu que ce soit l'une de ces trois vertus que Dante adore, pourvu qu'il me fasse croire momentanément, en lisant ses vers, qu'il s'adresse à Béatrice, à une femme incomparable, divine même, comme tout le monde se figure celle qu'il aime,mais cependant pourvue d'assez d'attraits pour que l'amour le plus pur et le plus chaste trouve encore quelqu'aliment vraisemblable.

Cette idée, d'ailleurs, de cacher sous des chants amoureux adressés à une Femme, l'ardeur passionnée avec laquelle on veut gouverner et rendre heureux un royaume, un empire, un peuple, n'est pas nouvelle. Et sans prétendre ravir à M. Rosetti cette idée, qui a pu lui venir spontanément, je puis arffimer qu'elle était connue et reçue même assez généralement, au commencement du XVIe siècle. En tête du commentaire que Martin Luther a fait sur le Cantique des Cantiques, il a mis une préface dans laquelle il détermine le sens allégorique qui, selon lui, doit être donné à ce poème fameux. «En le lisant, dit-il, on en tire cette conséquence que Salomon a seulement chanté, célébré sa politique, son gouvernement. Il ne faut y voir qu'une espèce de Chanson où il est traité généralement, de tous les gouvernements qui forment le peuple de Dieu, c'est-à-dire l'ensemble des peuples qui connaissent et révèrent le Verbe de Dieu, et croyent que la puissance des magistrats est ordonnée et constituée par Dieu, pour établir et conserver la paix, la justice et la discipline sur la terre. Pour par

ler de ce sujet avec l'élévation qu'il réclame, ajoute le commentateur. Salomon ne croyant pas devoir se servir du langage employé vulgairement, a eu recours, au contraire, au style le plus haut et le plus figuré, afin que le commun du peuple, en entendant ces paroles magnifiques et à double sens, comprît tout autre chose que ce qui y est traité réellement. C'est, en effet, ce que les rois et les princes ont coutume de faire lorsqu'ils composent des vers amoureux, que le vulgaire regarde comme adressés à une épouse ou à une amante, quoiqu'en effet ces princes ne traitent d'autre chose que de l'état et du gouvernement de leurs peuples. Il en est de même lorsqu'ils se servent des images et des termes empruntés à la chasse; et s'ils veulent exprimer que l'ennemi a été mis en fuite et vaincu, ils disent que le sanglier a été frappé, blessé; que la bête est prise, etc.

« C'est ainsi que Salomon en a agi dans son Cantique ; et il s'est servi de locutions magnifiques, sublimes, royales, pour mieux établir que Dieu est l'Époux, que le peuple est l'Épouse, et faire éclater l'amour avec lequel Dieu protège et gouverne son peuple (1). »

Ce passage curieux, que le nouveau commentateur de Dante paraît n'avoir pas connu, vient tout-à-fait à l'appui de son système, puisqu'il révèle qu'en 1533, lorsque Luther a parlé sur le Cantique des Cantiques, c'était en

(1) Præfatio D. Martini Lutheri, in cantica-canticorum. Pages 268 et seq. T. IV. Edit. Jeno. 1570. « Sicut enim reges et principes solent, meditantur et canunt amatoria carmina, quæ vulgus accipit de sponsa aut amica cantata, cum tamen politiæ et populi sui statum his depingant. Aut si de venationibus loquuntur, significare volunt hoc sermone, hostem fusum ac fugatum, ac se victoria politos esse. Ut cum dicunt: Aper est confossus, Fera capta; et id genus alia. »

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