une armée sur les terres des Romains, qu'il ravagea , qu'il pilla, jusqu'à ce qu'il parvint à entrer dans la Galatie, où il se comporta de la même manière. D'un autre côté, cependant, les Musulmans achevaient la conquête de l'Afrique ; et à partir de l'an 93 de l'hégyre ( 712 de J.-C.), conduits par Tarik , lieutenant de Mousa, ils se rendaient maîtres de l'Espagne en quinze mois pour établir leur domination qui dura pendant 800 ans, jusqu'en 1492, que Ferdinand-le-Catholique et Isabelle de Castille rentrèrent triomphants dans les murs de Grenade. Il est inutile de rappeler l'éclat de la cour de Bagdad, sous le kalife Aroun-al-Rachid (800 de J.-C.) ; et il suffit de nommer son fils Mamoun, dont le règne et la vie durèrent jusqu'en 833 de notre ère, pour faire souvenir que ce fut lui qui associa les lettres à l'empire ; qui accueillit indistinctement tous les hommes savants, quelle que fût leur religion ; et que c'est par ses ordres et sur ses conseils que furent faites, d'après les écrits des savants et des philosophes grecs, hébreux et syriaques, la pluspart des traductions arabes dont la connaissance devint bientôt si précieuse aux chrétiens. Jusqu'au xv° siècle, les enfants de Mahomet exercèrent donc de puissantes influences sur les chrétiens, la force des armes, soit par celle de l'intelligence. Or, ces races d'hommes si terribles à la guerre, et que les Européens n'ont considérés si longtemps que comme des barbares inaccessibles à toutes les délicatesses de pensées et de sentiments dont nous sommes si fiers, ont poussé, au contraire, les élans de l'âme et de l'esprit, plus haut peut-être qu'on ne l'a jamais fait dans l'Europe chrétienne. Ainsi, ils ont youé un culte à la soit par femme ; ils ont fait des vers et des romans d'amour tout aussi quintessenciés que les nôtres, et enfin comme Platon et comme Dante, leurs poètes ont admiré la beauté visible et ont élevé la créature humaine jusqu'à l'état purifié de Démon, d'Esprit intermédiaire entre l'homme et Dieu. En un mot, leur mysticisme religieux ne le cède en rien au nôtre. Quant au respect que les Arabes des premiers temps de l'islamisme, portaient à la femme, on en trouve la preuve frappante dans le livre d'Antar (1). Rien n'est plus sincère ni plus profondément respectueux que l'amour de cet homme noir , hideux , esclave, mais géné. reux, résigné et plein de courage, pour la fille d'un chef arabe, la belle Ibla , qu'il finit par obtenir pour femme, après avoir accompli une foule d'exploits toujours plus glorieux pour lui. Dans cette profonde et noble passion du héros-esclave, fort différente de celle des paladins et des chevaliers de l'Occident, il n'y a pas ombre de galanterie , de même que dans ses faits d'armes, la bravade n'y est pour rien, tandis que la nécessité les détermine toujours. (1) Toutes les compositions romanesques ou poétiques des auteurs musulmans, antérieurs au xvie siècle, présentent les femmes ayant assez de liberté de pensée et même d'action, pour exercer sur les hommes une influence à peu près analogue à celle que les personnes du sexe font sentir en Europe. Indépendamment d'Antar, à qui son amante Ibla fait accomplir de si grandes choses, on peut s'assurer par la lecture des romans de Joseph et Zoleika, de Medjnoun et Leila, et surtout par celle des contes des Mille et une Nuits, qu'en Orient les femmes ont été loin, pendant plusieurs siècles, d'être considérées comme de simples marchandises. On trouvera sur ce sujet des renseignements curieux dans un livre intitulé : Mahomet législateur des Femmes, etc., par M. de Sokolnicki, Paris, 1846, gr. in-8°. L'attachement et le respect que Mahomet porta constamment pendant vingt-cinq années à Khadidja, sa première épouse, suffirait à prouver qu'à cette époque la femme était loin d'être méprisée, ou qu'au moins le chef de la religion donnait l'exemple d'une conduite toute contraire. J'ajouterai même à ce sujet que le préjugé des Européens relatif à l'expulsion des femmes musulmanes du Paradis, est fondé sur une tradition faussement interprétée par le peuple en Orient. Une vieille se plaignit, dit-on, à Mahomet, du sort qui lui était réservé après sa mort. Le prophète voyant son chagrin se mit à rire puis la rassura et la réjouit tout à la fois, en lui disant : que toutes les vieilles seraient rajeunies avant que d'entrer en Paradis. Cette plaisanterie prise au sérieux par quelques commentateurs pédants, a donné lieu à une fausse tradition absolument contraire à ce que dit le Coran au sujet des femmes. Mais quoiqu'alors les meurs des Mahométans fussent dans toute leur simplicité, et que l'on ne raffinat pas encore sur les sentiments et les idées, le respect extraordinaire que l'on avait pour la femme est un fait qui mérite attention, parce qu'il semble être le point de départ de l'amour mystique, ou platonique, qui se développa vraisemblablement chez les Arabes, pendant ou après le règne de Mamoun, lorsque les lettres de Bagdad eurent connaissance des philosophes de la Grèce. Or, voici l'exposition de l'ensemble de la doctrine mystique de l'amour divin, selon les Arabes : Les degrés de l'amour de Dieu sont : l'amitié, l'amour, le désir, l'ardeur, l'extase, l'enthousiasme et la fureur. L'amour est une disposition qu'a le seul véritable Bien, pour sa souveraine beauté, en général et en particulier, sous quatre points de vue différents : 1° du général au général; 2° du général au particulier; 3° du particulier au particulier ; 4° et enfin du particulier au général. 1° Du général au général : lorsque Dieu contemple sa propre essence dans le miroir de son essence même, sans l'intermédiaire d'aucune autre essence. C'est alors qu'il produit de toute éternité, ce premier Amour, source de tout autre , dont un poète persan a donné cette définition allégorique : « C'est un bien-aimé dont nul autre que lui-même ne » connaît la beauté. Il en a levé l'étendard dans son » royaume éternel. Il n'a pas besoin du ciel pour lui » servir d'échiquier, ni du soleil et des astres pour lui » servir de pièces. Il joue lui seul avec lui seul , le jeu » ineffable d'Amour. » 2° Du général au particulier : lorsque Dieu par son essence unique, jetle une infinité de regards sur les splendeurs de sa beauté; soit sur l'excellence de ses attributs divins, soit sur la perfection de ses ouvrages. A ce sujet Methnevia a fait les vers suivants : « Cette beauté (divine) inspire de l'amour à chacun ; » mais nul n'est assez heureux en ce monde, pour pou» voir en jouir en elle-même. Le miroir dans lequel » vous pouvez la contempler est la production et la con» servation de toutes les créatures. C'est là l'unique ob» jet, le seul intermédiaire que notre amour puisse prendre. Contentez-vous de cette image, car on n'en » peut rien tirer de plus en cette vie. » 3° Du particulier au particulier : cette troisième espèce d'amour est celui des créatures humaines qui apercevant en elles des lueurs, des reflets de la souveraine beauté, s'attachent à des objets passagers, péris sables, en font l'objet de leur préoccupation et de leur félicité; qui se réjouissent quand ils les possèdent et s'affligent quand elles en sont séparées. Ce genre d'amour qui se rapporte à celui dont parle Platon, et qui a été célébré par Dante et Pétrarque, a été défini de cette manière par un poète persan : « C'est votre beauté cachée et néanmoins brillante sous des voiles, qui a fait, Seigneur, un nombre infini » d'ainants et d'amantes. C'est par l'attrait de votre v odeur, que Leila à ravi le cæur de Medjnoun. C'est » aussi par la passion de vous (Dieu) posséder, que » Vamek a tant poussé de soupirs pour Adra. » 4° Du particulier au général : enfin, c'est l'amour qui porte les âmes que Dieu a choisies , à quitter toutes les à pensées et toutes les affections mondaines, pour s'élever jusqu'au Créateur qui possède toutes les qualités et toutes les perfections dans leur source (1). De ces quatre modes de l'Amour divin, trois sont-exclusivement du domaine des théologiens; mais les poètes des différentes nations musulmanes se sont emparés du troisième, du particulier au particulier, et en ont fait le fondement de certaines de leurs compositions littéraires. Il y a chez les Musulmans deux histoires d'amour entre autres dont les circonstances naturelles et où il se mêle des passions très-vives, servent cependant de texte pour exprimer allégoriquement tous les raffinements de l'amour divin. La première et la plus célèbre est celle des amours du patriarche Joseph avec la fille de Pharaon, Zoleika, femme de Puliphar, dont le récit fort bi (1) Bibliot. Orientale d'Herbelot, au mot : Eschk Allah. |