Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

pas jusqu'à la forme raide et symétrique de la Chanson se terminant invariablement par un Envoi, que le Tasse n'ait scrupuleusement reproduite dans cette gracieuse composition qui fournit une nouvelle preuve de la persistance avec laquelle la poésie amoureuse a été cultivée par les plus grands poètes.

Mais, à cette pièce religieuse, je joindrai une petite composition sur l'amour profane, que le Tasse a donnée sous forme de dialogue. Fille ou sœur de la Muse provençale, la Poésie italienne a toujours un air de famille avec sa parente; et c'est ce qui frappe dans le morceau que je vais citer. Pour peindre l'amour divin, Tasse a choisi la Chanson, la forme la plus lyrique, la plus élevée selon l'opinion de Dante. Mais quant au Dialogue qui suit, où un Amant soumet ses doutes à l'Amour, il en fait une espèce de Tenzon provençale, où l'on trouve effectivement une cause, un plaidoyer et un arrêt.

DIALOGUE

ENTRE L'AMANT ET L'AMOUR.

L'AMANT.

Toi, qui scrutant le fond des cœur y vois les affections les plus cachées, dissipe mes doutes, Amour, et ap

DIALOGO

AMANTE, AMORE.

AMANTE.

Tu, ch'i più chiusi affetti

Miri spiando entro agli accesi petti,

porte un doux soulagement à mon cœur. Lorsque ma Dame joint ses douces lèvres aux miennes, elle semble trouver si pénible de me voir avec elle, que fermant les yeux, elle m'en cache les beaux rayons.

L'AMOUR.

C'est donc cette pensée qui te tourmente? C'est pour cela que ton âme oppressée, se confond dans une crainte vaine? Enfin c'est pour cela que toute ta joie cesse ?

L'AMANT.

L'idée que mon humilité (mon état humble) lui est désagréable et n'est pas digne de sa beauté, me communique cette crainte, trouble ma joie intérieure et me cause enfin une peine dure et éternelle.

Sciogli i miei dubbi, Amore,

E porgi dolce rifregerio al core.
Qualor Madonna alle mie labbra giunge

La sua bocca soave;

Quasi il viddermi seco a lei sia grave;

Chiudendo gli occhi, i suoi bei rai m'asconde.

AMORE.

Questo pensier ti punge?

Per questo, si confonde

Da timor vano oppressa

L'alma? e per questo la tua gioia cessa?

AMANTE

Il pensier, che l'annoi

L'umiltà mia, di bellezza sua indegna,
Questo timor m'insegna, e turba poi
La mia letizia interna,

E m'è cagione d'un' aspra pena eterna.

L'AMOUR.

Tu sais qu'une joie excessive fait qu'une âme meurt et retourne à la vie. C'est pourquoi, si ta Dame chérie, lorsqu'elle reçoit tes baisers, te retire ses rayons (ses regards), cela vient de ce que sa vertu languit doucement, laisse le corps privé de sang, ne donne plus d'esprit, (de vie) à ses beaux yeux et cesse d'envoyer la force à ses membres. Mais toute languissante qu'elle soit, elle éprouve une grande joie près des portes (au moment) de cette mort agréable.

L'AMANT.

Mais enfin, avec quel moyen pourrai-je lui épargner un tel assaut, et faire que je puisse voir en toute joie, l'éclair de ses deux yeux courtois ?

AMORE,

Sai, che soverchia gioia

Fa, ch' un' alma si muja e torni in vita :
Però se la gradita

Tua Donna, allorch' i dolci bacci accoglie,

I suoi tremuli rai t'invola e toglie;

Ciò vien però che dolcemente langue

La sua virtute, e lascia il corpo esangue.

Ne dar spirto a' begli occhi, od alle membra

Vigor più la rimembra;

Ma di gioconda morte

Fiacca languendo gode in sulle porte.

AMANTE,

Dunque con qual rimedio

Potrò levarle un così fatto assedio,

Acciò che lieto miri

Il lampaggiar di due cortesi giri?

L'AMOUR.

Donne-lui pieusement la mort, parce qu'elle est désireuse d'une telle mort qui, par sa fin, donne șeule la vie heureuse.

[blocks in formation]

On peut s'assurer, par la comparaison avec les Cantiques de Jacopone de Todi, de l'exactitude avec laquelle le Tasse a suivi les anciennes traditions de la poésie mystique religieuse. Mais il n'en serait pas ainsi à propos du Dialogue qui précède, où l'on remarque bien quelques locutions propres à la poésie amoureuse de Guido Cavalcanti et de Dante, sans que l'on y retrouve toutefois, le fond de leur doctrine. En lisant le Dialogue entre l'Amant et l'Amour on est bien quelque peu trompé d'abord par ces mots Humilité, Piété, Mort qui donne la vie, tirés du jargon philosophique des vieux Fidèles d'Amour; mais avec un peu d'attention, on s'aperçoit bientôt que Tasse n'a réellement voulu parler que d'un amour tout naturel ; et qu'au moyen de ces paroles apocalyptiques empruntées aux poètes du xe siècle, il a tout simplement cherché à traduire la fameuse ode de Sapho lorsqu'il fait dire à l'Amant par l'Amour : » que toute faible et languissante que soit sa maîtresse au moment où elle lui donne un baiser, elle éprouve cependant une grande joie sur les portes de cette mort qui

donne la véritable vie (1). » Au temps où écrivait le Tasse, le secret de la poésie Dantesque était-il encore connu? Les imitateurs de Pétrarque feraient croire que non, tant leurs vers sont vides de sens et leurs paroles incohérentes. Quant au Dialogue du Tasse, évidemment on n'y retrouve plus que le jargon des vieux Fidèles, car, dans cette pièce, au moins, Torquato parle d'un tout autre Amour que celui qu'ont inspiré les Mandetta, les Nina, et les Béatrice.

Avec la fin de ce xvi siècle, on voit s'éteindre peu à peu en Italie, la doctrine grave et âpre que Dante avait si puissamment établie. De ce moment, la transition du jargon rigoureusement figuré et mystique, à un langage plus positif et exprimant des sentiments simples et na"turels, se manifeste de la manière la plus sensible dans la suite des compositions poétiques de Michel-Ange, de Vittoria Colonna, et du Tasse.

Mais tout en accordant aux idées de Dante et de ceux qui les ont adoptées, toute l'importance qu'elles ont eue et qu'elles méritent, il faut croire cependant que la poésie amoureuse mystique a pour principe dans l'esprit de l'homme, quelque chose de plus intime et de plus général tout à la fois, que telle ou telle doctrine religieuse ou philosophique en particulier. Aussi voit-on que ce mode d'expression figurée, se reproduit et est employé dans des contrées si éloignées les unes des au

(4) Dans un Sonnet de la Vie nouvelle : « Spesse fiate vennemi alla mente, etc., se trouve une pensée à peu près semblable, au dernier tercet: « Et si je lève les yeux pour vous regarder, un tremblement s'élève dans mon cœur, qui me fait tomber sans pouls et ans haleine.» (Voyez la Vic nouvelle, page 174 de ce volume).

« ZurückWeiter »