qu'avait fait le platonisme et la poésie amoureuse depuis Dante et Guido Cavalcanti, jusqu'à l'école de Carregi où Laurent avait étudié cette philosophie. Son commentaire, où les imitations de la Vie nouvelle abondent, commence par l'explication de quatre Sonnets écrits à l'occasion « d'une Dame morte dans la cité »de Florence, et qui a excité généralement les regrets >> du peuple; chose peu étonnante, car c'était une mer>> veille de beauté et de noblesse telle que l'on n'en avait >> jamais vu de semblable, etc., etc. » puis après des éloges et des plaintes à l'occasion de cette autre Béatrice, le commentateur ajoute, dans le style et presqu'avec les mêmes expressions que l'auteur de la Vie nouvelle : « Tous >>les Florentins d'esprit, pleurent cette mort funeste en >>vers et en prose, et voulant mêler mes larmes aux >>leurs, je fis les quatre Sonnets suivants, dont le premier «commence ainsi : O chiara stella, etc. » «O brillante Étoile, dont les rayons font pâlir l'éclat de tes voisines célestes, pourquoi resplendis-tu plus que de coutume? Pourquoi veux-tu le disputer encore à Phébus? Peut-être que les beaux yeux que la mort cruelle vient de nous ravir, (cette mort qui s'est arrogé un droit excessif) ont été recueillis en toi. Renforcée O chiara Stella, che co' raggi tuoi Per che splendi assai più del tuo costume? Forse i begli occhi, qual ha tolto a noi Morte crudel, c' homai troppo presume, Accolti hai in te adorna del lor lume de leur éclat, tu peux maintenant demander à Phébus de conduire son beau char. Étoile renouvelée que tu es, et qui ornes le ciel d'une splendeur nouvelle, ô toi, divinité implorée, exauce nos vœux. Fais jaillir tant d'éclat de ta lumière que tu te montres joyeuse et sans offenser les yeux mêmes qui se sont voués à des pleurs à cause de ta perte. Il suo bel carro a Febo chieder puoi. Che di splendor novello adorni il cielo, Leva dello splendor tuo tanta via Ch' agli occhi, c' han d'eterno pianto zelo, Ce Sonnet, ainsi que la Chanson de l'empereur Frédéric II, n'ont certes pas une grande valeur intrinsèque; cependant c'est un détail curieux dans l'histoire de l'esprit humain, que des vers amoureux et sur des sujets à peu près imaginaires, composés par des hommes d'état et de guerre, par des souverains, car Laurent l'était à Florence, dont la vie habituelle a été constamment entravée par les affaires les plus difficiles et les plus sérieuses. En rassemblant surtout, par la pensée, les nombreuses pièces de vers de Laurent des Médicis, disséminées dans plusieurs recueils, on a peine à comprendre comment cet homme, qui, outre les heures données à ses travaux poétiques, a passé beaucoup de temps à étudier la philosophie de Platon, a pu concilier toutes ces occupations relativement frivoles, avec les soins et l'attention qu'exigeait de lui le gouvernement de la tumultueuse république de Florence. Ce qui caractérise l'ensemble des poésies de Laurent est la variété infinie des sujets qu'il a traités, et la diversité des styles que l'auteur y a employés. On vient de voir avec quelle facilité gracieuse cet élégant imitateur de Dante et de Pétrarque, traite de l'amour platonique ; il serait facile de citer tel ou tel couplet de lui, où il a l'air d'être aussi pieusement inspiré que son antagoniste Savonarola; mais je crois faire mieux connaître l'homme et le philosophe poète, en plaçant ici une espèce d'hymne à Dieu, dans lequel le premier citoyen de Florence, l'académicien de Carregi et l'homme d'esprit tout à la fois, a exprimé avec énergie et franchise, les intermittences de son scepticisme et de sa foi. I. O Dieu! Bien souverain, comment fais-tu maintenant, que ne cherchant que toi seul, je ne te trouve jamais? II. Hélas! si je m'applique à connaître telle chose ou telle autre, c'est toi que je cherche en elles, ô mon doux Seigneur ! C'est par toi que chaque chose est belle et bonne, et qu'en cette qualité, elle fait naître mon 1. O Dio, o sommo bene, hor come fai Che te sol cerco, e non ti trovo mai? amour. O Dieu! tu es tout et tu es partout; et cependant je ne te trouve en aucun lieu. III. Pour te trouver, ma pauvre âme se cousume et se détruit. Le jour je m'afflige, la nuit je n'ai nul repos. Ah! dis-moi, mon Dieu, où tu es caché! dis-lemoi, je suis déjà si las! IV. Si, au milieu des richesses, des hommes et des plaisirs, je me mets à te chercher, Seigneur; plus je te cherche et moins je te trouve ; en sorte que mon amour vain et sans objet, malgré son épuisement, ne trouve jamais de repos. Tu as enflammé mon sein de ton amour, puis tu as fui, et je ne te vois plus. V. Ma vue, attirée par mille objets divers, cherche à te trouver en eux; et, bien que tu éclates partout, je ne te vois pas. Mon oreille est également frappée de mille sons différents et je ne t'entends pas. Ton ineffable dou E in alcun loco non ti trovo mai. III. Per trovar te, la trista alma si strugge : IV. Se a cercar dite, Signor, mi muovo Te guarda e non ti vede, e se' lucente : ceur, que tout le monde ressent, mes sens la cherchent, et je ne puis la trouver. VI. Ah! ma pauvre âme, pourquoi cherches-tu encore la vie heureuse après tant de peines et de soucis? Tu cherches, tu cherches toujours ce bien, mais il n'est pas où tu crois le trouver, cette vie heureuse d'où vient la mort; tu cherches une vie où l'on ne trouve jamais la vie. VII. Que cette misérable vie meure en moi, afin que je puisse vivre en toi, ô véritable vie! La mort qui frappe des multitudes infinies, en toi seul, ô Dieu, devient la vie même. Je meurs dès que je t'abandonne et que je me regarde. Que ma pensée se tourne vers toi et je ne mourrai jamais. VIII. Que toute lumière s'éteigne dans mes yeux mortels afin, ô lumière Divine et amie, que je puisse te voir. La dolcezza commune ad ogni gente Beata vita, onde la morte viene, VII. Muoia in me questa misera vita Acciò ch' io viva, ô vera vita, in te. Muoio quando te lascio, e guardo me : VIII. Degli occhi vani ogni luce sia spenta, Accorda i miei orecchi, acciò ch' io senta |