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APRÈS DANTE.

Quelle que soit l'opinion que le goût et la raison du lecteur lui auront fait prendre des poésies lyriques ou Chansons de Dante, l'influence de ces ouvrages sur l'un des modes poétiques les plus importants adoptés dans toute l'Europe moderne, est un résultat qu'il est indispensable de reconnaître et de constater précisément. La poésie Dantesque est quelque chose de sérieux, puisqu'elle répond, depuis si longtemps chez des nations différentes, à un principe intellectuel dont les conséquences et les résultats varient si peu, et se reproduisent sans cesse. Évidemment c'est la forme nécessaire au développement de quelque faculté intime de notre intelligence; et je ne crois pas pouvoir en donner une meilleure preuve qu'en rappelant la supériorité des hommes dont les noms figurent dans la liste des poètes de cette École que nous connaissons déjà. En effet, c'est Amak, poète persan; c'est l'Arabe Omar, fils de Faredh; puis le Persan Nazami et D'azz-Eddin-Elmocadessi. En Europe, nous voyons paraître saint François d'Assises et l'empereur Frédéric II, auxquels succèdent Guillaume de Lorris, Guido Cavalcanti, et enfin Dante Alighieri.

Mais, à ce premier Choeur de poètes mystiques et amoureux, en a succédé un non moins brillant, tout

aussi fameux, et dont le caractère est également grave. Maintenant, dans l'espace de trois siècles environ (1306-1616), nous allons voir apparaître Jacopone de Todi, François Pétrarque, le Persan Hafiz et le tendre et ingénieux Djami son compatriote. Puis, en revenant à l'Italie, nous trouverons le grand magistrat de Florence, Laurent des Médicis, Savonarola, le sculpteur, peintre et poète Michel-Ange Buonarotti, et la tendre et chaste Vittoria Colonna, femme du célèbre guerrier le marquis de Pescaire. L'Espagne nous fournira des poésies de sainte Thérèse et de son directeur le Père Jean de la Croix, dans lesquelles une expression vive jusqu'à la passion, couvre toujours une pensée mystérieuse et sainte. Le Tasse a aussi chanté l'amour mystique, et enfin viennent deux poètes à peu près contemporains: l'un, né sous les brumes de la Grande-Bretagne, le grand Shakspeare, dont les Sonnets rivalisent de hardiesse et d'obscurité avec ceux de Dante, et l'autre Waly, qui, au milieu de l'Inde, composait en hindoustani, vers 1650, des poésies dont le sens et l'expression rappellent les compositions mystiques et amoureuses du chantre de Laure.

Sans nous arrêter à l'Inde antique d'où ces idées tirent sans doute leur première origine, et en nous fixant à Platon qui, chez nous, passe pour le fondateur de cette école amoureuse, pour arriver jusqu'à Waly, nous voyons qu'il s'est écoulé deux mille cinquante années, pendant lesquelles cette doctrine n'a pas cessé d'avoir des adeptes. Or, si à ce long empire du même principe, on ajoute l'importance personnelle de tous ceux qui, malgré la différence des religions, des mœurs et des climats, ont persisté à le suivre, n'est-on pas autorisé à conclure

que l'amour platonique, dont l'amour saint et allégoririque des modernes, dérive évidemment, est un besoin de l'intelligence de l'homme tout aussi impérieux que ceux que lui font éprouver ses autres facultés ?

L'examen comparatif des poésies amoureuses, composées par les disciples et les successeurs de Dante, dont je viens de signaler les plus fameux, serait sans doute le sujet d'un livre aussi important par la matière que par son étendue. Mais j'en resteindrai ici le cadre, sans omettre cependant d'y faire entrer ce qu'il est indispensable de savoir et de connaître, pour apprécier la force et la durée du système de la poésie Dantesque en Europe.

Le premier poète, qui se présente dans l'ordre du temps, appartient à l'École religieuse, bien plutôt qu'à la poétique. C'est Jacopone de Todi, frère convers de l'ordre de saint François, qui, par imitation du fondateur de sa Religion, se plut à se donner pour fou. Cet homme singulier, qui, à cause de l'ardeur avec laquelle il attaqua dans ses vers, le pape Boniface VIII (1), fut poursuivi et fort maltraité par ce Pontife, est auteur d'un grand nombre de Cantiques, ou Laudi Spirituali, composés dans le même esprit que ceux attribués à saint François d'Assises. Mais pour un homme qui était fou, ou se donnait pour tel, ses poésies semblent bien compassées, et le style en est bien froid; défauts dont on est d'autant plus frappé, que les images et les métaphores, que le versificateur employe ordinairement, sont de l'ordre le plus extraordinaire et le plus élevé. Son

(1) On peut consulter son LVIIIa cantique :

O Papa Bonifazio, quanto hai giocato al mondo, etc.

sujet favori est l'amour divin, et partant toujours du Cantique des Cantiques et des noces de l'Agneau de l'Apocalypse, voici comme il reproduit ce sujet dans le 1er cantique du IVe livre de son recueil:

1. Amour (divin) daigne me toucher de ton baiser.

II. O Épouse (l'âme), sois attentive, et reconais l'Époux (Jésus-Christ ou l'Église).

III. L'époux a la poitrine blanche et rose, et il est resplendissant comme le disque du soleil. Il m'a attirée. toute entière à lui, et maintenant il ne se cache plus à moi. Il inonde tout mon cœur de sa chaude haleine.

I. Del tuo bacio Amore
Degnami di baciare.

II. O sposa intendi,

E conosci lo sposo.

III. Lo sposo ha la gota
Bianca e rubiconda.
Come del sol la rota
Di splendore abonda.
Fatta mi ha devota :
Or non mi si nasconda
Tutto lo cor m'inonda
Pur di suspirare.

IV. L'amour me dit : « O belle amie, tes yeux et ton cœur sont comme ceux d'une colombe. » Lorsqu'il parle, un fleuve brûlant s'échappe avec ce qu'il dit, et je désire de me retrouver avec lui dans ma chambre !

V. O mon jeune époux ! Époux doux et brillant comme une fleur! O mon bel époux! tu as rempli mon cœur d'amour. Tiens, notre lit est parfumé de roses; c'est là où, époux et mari, tu dois reposer!

VI. Mon cœur est comblé de fleurs et de fruits, et il succombe sous l'ardeur des luttes amoureuses, Tous

IV. Dicemi l'Amore :

O amica bella

L'occhi tuoi e'l core,
Come di colombella.

Fiume d'uno ardore
Ha la sua favella.
E pur con lui en cella

Mi vo ritrovare.

V. Sposo mio novello

Sposo dolce fiorito,
Sposo mio bello

Lo cor m'hai invaghito.
Il nostro letticello

È di rose aulito;

Li tu sposo et marito
T'hai da riposare.

VI. Di fiori e frutti

M'è fornito il core;

Di amorosi lutti

E d'ardore si more.

Li miei sensi tutti

Languono in fervore;

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