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tous ces passages peuvent le faire mettre au nombre des disciples de Platon, puisque les premiers chrétiens, puisque Dante lui-même n'a pas craint de dire que l'auteur de l'Eneide a évangélisé la nouvelle religion (1).

De toutes les formes littéraires employées dans l'antiquité païenne, le Banquet de Platon et la Vision de Cicéron, donnée sous le titre de Songe de Scipion, sont celles qui se combinèrent d'abord le mieux avec le développement des idées des premiers chrétiens. Mais dans les compositions chrétiennes, présentées sous l'une ou l'autre de ces formes, ce qui frappe surtout est la présence d'un être féminin doué de prévision et servant, comme les démons de Platon, d'intermédiaire entre l'homme et Dieu, une Diotime enfin.

Dès l'origine du christianisme, on voit apparaître la femme mystique, la femme symbole, et l'amour divin commençant par un amour charnel, comme dans Pla

ton.

Saint Paul, dans son épître aux Romains (chap. 16, v. 14), salue Hermas, à qui on attribue un livre intitulé

(1) Au XXIIe chant du Purgatoire, vers 64-73. Dante fait dire à Stace, parlant à Virgile : « C'est toi, qui le premier, m'as dirigé vers le Parnasse, et m'as éclairé sur l'amour de Dieu, alors que tu dis: Le siècle se renouvelle, la justice revient sur la terre, et une nouvelle race déscend du ciel. » Par toi, je fus poète, par toi, je fus chrétien. »

Tu prima m'inviasti

Verso Parnaso, a ber nelle sue grotte,
E prima appresso Dio m'alluminasti.

Per te poeta fui, per te cristiano.

le Pasteur, que quelques pères de l'Église ont regardé comme canonique. Quoi qu'il soit de cette derrière circonstance, la date de l'ouvrage n'est point contestée et le premier chapitre en tête duquel est le titre : Vision, est ainsi conçu :

:

<< Celui chez qui je logeais à Rome, dit Hermas, me vendit une jeune fille, que j'ai revue ensuite après beaucoup d'années, et que j'aimai alors comme une sœur. Mais avant ce dernier temps, je la vis un jour s'apprêtant à se baigner dans le Tibre. Je lui tendis la main et la conduisis dans le fleuve. En la voyant, je me dis Je serais heureux si je possédais une femme comme celle-ci, remarquable par la beauté de sa personne et de son âme ! Quelque temps après, étant en promenade et repassant ces choses dans mon esprit, je rendis hommage à la créature de Dieu, en pensant à quel point elle est magnifique et belle. Puis, après avoir marché quelque temps, je m'assis et me laissai aller au sommeil. Alors un Esprit m'enleva et me porta vers la droite, sur un certain lieu où un homme n'aurait pu marcher, tant les rochers qui l'entouraient étaient abrupts, tant les eaux le rendaient impraticable. Enfin, quand j'eus franchi cet espace, j'arrivai à une grande plaine, et, me laissant tomber à genoux, je commençai à prier le Seigneur et à confesser mes péchés. Comme j'étais en prière, le ciel s'ouvrit, et j'aperçus cette même femme que j'avais convoitée. Du haut du ciel, elle me donnait le salut, en disant : «< Hermas, je te salue! » Alors je lui dis : « Madame (Domina), que faites-vous là? » Et elle me répondit : « J'ai été admise ici pour que je fisse connaître tes péchés au Seigneur. -Madame, lui demandai-je, est-ce que vous les avoue

rez? Non, dit-elle; mais écoute: Dieu qui habite les cieux, qui de rien a produit tout ce qui existe et l'a multiplié pour sa sainte Église, Dieu est irrité contre toi, parce que tu as péché à mon égard. Madame, lui dis-je, où et quand vous ai - je adressé quelques paroles déshonnêtes? ne vous ai-je pas toujours respectée comme une sœur? pourquoi me prêtez-vous des actions si abominables? » Alors elle se prit à rire, et me répondit : « Le désir du mal est monté dans ton cœur; et pour l'homme juste la pensée même du mal n'est-elle pas une vilaine chose? Le juste ne doit penser et désirer que des choses justes; et c'est en marchant dans cette voie qu'il peut être certain de trouver le Seigneur propice. Quant à ceux dont les pensées sont criminelles, ils attirent sur eux la mort et la servitude; ceux surtout qui aiment le siècle, qui se glorifient de leurs richesses, qui ne pensent pas à la vie future et rendent leur âme creuse. Prie le Seigneur, et il guérira tes péchés et ceux de toute ta maison (1).

Le Grec Hermas avait sans doute lu Platon et connaissait Diotime. Or, son esclave est, si je ne me trompe, le terme moyen entre la prophétesse de Mégare et la Laure de Pétrarque. Il y a même dans la Vision de l'ami

(1) L'ouvrage d'Hermas, écrit originairement en grec, ne nous est parvenu que par une traduction latine fort ancienne. Ce livre, intitulé Pastor, est divisé en 3 livres. Le premier se compose de quatre Visions, dont on vient de lire l'extrait de la première. Le second contient douze mandements (mandata) ou conseils religieux donnés à Hermas, par un ange, sous la figure d'un Pasteur, ce qui a fait donner ce titre à l'ensemble de l'ouvrage. Enfin, le troisième livre renferme dix comparaisons (similitudines) ou paraboles analogues à celles qui se trouvent dans l'Évangile.

de saint Paul une donnée admirable, dont les deux poètes toscans n'ont pas profité : c'est la condition terrestre de la jeune fille d'Hermas, qui, tout esclave qu'elle soit, est cependant choisie par Dieu pour ramener son maître dans le sentier de la vertu. Quant à la Vision d'Hermas, prise dans son ensemble, ce n'est qu'un germe, il est vrai, mais qui contient tous les éléments principaux de la Divine Comédie, et particulièrement le type du plus important personnage de ce poème, Béatrice.

Parmi les singularités si nombreuses que l'on rencontre en étudiant l'esprit humain, l'une des plus frappantes est le mode d'expression que l'homme semble toujours forcé d'employer pour rendre l'impétuosité et l'élévation de l'amour qu'il ressent pour le Créateur. Chez toutes les nations civilisées, sans en excepter aucune, les philosophes théologiens en ont été réduits à emprunter les peintures de l'amour charnel le plus brut pour figurer les élans de l'âme embrasée de l'amour le plus épuré, celui qui a Dieu pour objet. C'est le défaut qui rend pour tant de personnes la lecture du Banquet de Platon impossible; c'est ce qui fait que si l'esprit n'a pas contracté de très-bonne heure des habitudes chastes et pieuses, on a de la peine à retrouver le mariage de Jésus-Chrit avec l'Église dans le Cantique des Cantiques; c'est ce qui est cause enfin que certains livres ascétiques, tels que l'Imitation de Jésus-Christ et les écrits de sainte Thérèse, blessent beaucoup de lecteurs plus accoutumés à la philosophie morale qu'aux métaphores si hardies du mysticisme.

Jamais peut-être personne n'a été plus loin en ce genre qu'un évêque grec, qui vécut et obtint la cou

ronne du martyre vers l'an 311 de notre ère. Méthodius, surnommé Eubulius, enchérissant encore, s'il est possible, sur Platon dont il peut passer pour un imitateur, composa un Banquet des Dix Vierges ou De la Chasteté, livre dans lequel il semble avoir pris à tâche de réunir les images et les paroles les plus opposées à la vertu dont il veut faire l'éloge. Par respect pour la pieuse naïveté de cet évêque de Tyr, je n'entrerai dans aucun détail sur son Banquet, que je ne signale que pour faire observer qu'ainsi que Platon, dont il emprunte même les termes, il avance : « Que le Beau est incréé, immuable, et qu'en lui-même il n'est sujet à aucune altération. »>

Entre les Latins du moyen-âge, dont les écrits ont contribué à conserver et même à répandre les doctrines platoniciennes avec le plus de succès en Europe, il faut distinguer Aurelius Macrobe, fils d'un chambellan de l'empereur Théodose (vers 395). Après Senèque, c'est un des écrivains qui se sont élevés avec le plus de force contre l'esclavage, sujet sur lequel il revient souvent dans ses Saturnales. Mais son principal ouvrage, celui surtout qui lui a donné tant d'autorité, depuis le Ive siècle jusqu'à la fin de la renaissance, vers 1600, c'est le Commentaire qu'il a fait sur le Songe de Scipion de Cicéron. Depuis l'apparition de ce livre du consul romain, l'Apocalypse et les systèmes bizarres des gnostiques avaient encore élargi la carrière à toutes les imaginations; mais du moment que Macrobe eut donné une importance nouvelle au Songe de Scipion par le commentaire tant soit peu mystique et cabalistique qu'il composa à son sujet, les Songes, les Visions, les Voyages imaginaires, ainsi que les personnifications dont Platon

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