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qu'une impiété; et il n'y avait pas de rapprochement possible entre la poésie et la philosophie théologique.

Saint Anselme, Abeilard et Saint Thomas-d'Aquin, qui possédaient quelques connaissances des ouvrages de Platon, les avaient particulièrement puisées dans les écrits de Macrobe et de saint Augustin, et au moyen de quelques traductions fournies par les Arabes. Mais aucun d'eux n'a fait précisément allusion à l'amour platonique, ou à la connaissance du beau éternel, par l'amour et l'étude préliminaire du beau visible. Et sans pouvoir déterminer comment Dante a obtenu une explication plus précise de ce système, il faut pourtant reconnaître que dans le premier de ses ouvrages même, la Vie nouvelle, il y est déjà nettement exposé.

Mais, lorsque l'on s'est livré à l'étude comparative des écrits que Dante a faits pendant le cours de sa vie, et si l'on rapproche par exemple la Vie nouvelle qu'il composa dans sa jeunesse, de l'amoureux banquet écrit à la fin de sa carrière, il est facile de suivre les progrès que l'idée de Platon a faits dans son esprit; et comment Béatrice, qui ne fut d'abord qu'un avertissement donné à son esprit par l'intermédiaire de ses sens, n'est plus dans le banquet qu'une espèce de signe algébrique qu'il emploie pour désigner la Sagesse et la Philosophie.

C'est en remettant en honneur l'idée de Platon sur l'amour pris dans un sens général et spirituel; c'est en employant de nouveau ce moyen de considérer la nature sensible et visible, pour s'élever jusqu'à la compréhension des choses intellectuelles et divines, que Dante, armé de cette idée, l'une des plus lumineuses et des plus fécondes de l'antiquité, rétablit dans les esprits, par le

secours de ses inventions poétiques, et surtout par sa création de Béatrice, l'ordre dans lequel doivent naturellement procéder successivement les idées, pour arriver aux plus hautes spéculations de l'intelligence. Il enseigne de nouveau qu'il faut partir du connu pour découvrir ce qui ne l'est pas, et que l'expérience est le principe de toute science; en sorte qu'en 1300, Dante continuait de marcher dans la voie que l'anglais Roger Bacon avait ouverte, et que son compatriote Galilée devait parcourir avec tant de sûreté et d'éclat, trois siècles après.

On trouve bien dans saint Anselme, dans Albert-leGrand et dans Roger Bacon surtout, quelques passages, très-précis, où le système expérimental est recommandé comme le seul qui puisse conduire à la véritable science; mais les ouvrages de ces pieux savants, n'étaient lus et et ne pouvaient être compris que par le petit nombre de ceux qui déjà étaient savants eux-mêmes; tandis que tout le monde, sans distinction d'âge ni de sexe, comprit la Béatrice de Dante, cette merveilleuse beauté sous les traits de laquelle on entrevoyait avec tant de clarté la perfection morale et même divine.

Quel que soit le plus ou moins de netteté avec lequel cette idée se logea dans les esprits au commencement du xive siècle, ce dont on ne peut douter, c'est qu'elle s'y imprima avec force. En sorte que Roger Bacon et Dante qui, dans la candeur de leurs intentions, croyaient travailler exclusivement en faveur de la théologie scholastique, objet de leurs plus chères études, lui portaient, au contraire, une assez rude atteinte. C'était la science qu'ils servaient à leur insu.

Mais outre cet important résultat des poésies de Dante

sur les esprits de l'Europe policée au xive siècle, il en est un autre non moins considérable qui se fit sentir dans les mœurs.

Par suite de la morale évangélique, puis, bientôt après, en raison des coutumes, des usages et des lois établies par la chevalerie, la femme avait déjà pris un rang et une importance remarquables dans la société moderne. La galanterie des Provençaux, sujet si habituel des ouvrages de leurs poètes, avait été imitée par la plupart des peuples de l'Europe; et, quoique sous le voile trompeur d'un respect simulé, on exprimât ordinairement les passions les plus frivoles ou les plus brutales, cependant le jargon habituel de la galanterie, finit par faire prendre aux femmes un ascendant et un pouvoir dans la société et dans les affaires sérieuses, qu'elles n'avaient jamais eus jusque-là.

Un accident qui semble n'être pas étranger au culte que l'on rendait alors à la femme, contribua encore à faire exalter les mérites de cette moitié du genre humain. Vers la fin du xre siècle, on commença à se livrer plus particulièrement au culte de la Sainte-Vierge, et de ce moment le nombre des églises qui lui furent vouées alla toujours croissant. La dévotion que l'on montra à ce personnage saint, la confiance que l'on mit dans son pouvoir furent telles, que dans les actes ordinaires de la vie et dans les prières, il usurpa réellement l'importance que l'on n'aurait dû attacher qu'à Dieu seul. Ce sentiment dégénéra, il faut le dire, en une véritable superstition. Dante, lui-même, n'en fut pas exempt; et à la fin de sa dernière Cantique sur le Paradis, au lieu d'adresser une prière au Tout-Puissant, c'est en l'hon

neur de la Vierge Marie qu'il fait retentir des louanges, par l'intermédiaire de saint Bernard.

Cette confiance et ce respect hors de proportion, témoignés à la Sainte Vierge, rendirent l'apothéose de Béatrice possible, et furent cause même, que l'on supporta ces paroles de la Vie nouvelle appliquées par le poète à son amante terrestre, devenue le type du beau absolu « qu'elle est un neuf, c'est-à-dire un miracle, dont la racine est l'admirable Trinité. »

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Si de nos jours quelqu'un se hasardait à dire une chose semblable ou équivalante, à l'occasion d'une personne si pure qu'elle fût, mais qui lui serait chère, on taxerait ces paroles d'impiété. Or, ce qui rendait ces locutions supportables était l'adoration toute superstitieuse que l'on adressait à la mère de Jésus-Christ, véritable principe de toutes les exagérations du culte de la femme, chez les nations modernes.

Cependant ce grand accident, qui a imprimé un sceau particulier aux mœurs de l'Europe, puisque cette idolâtrie de la Vierge au XIIIe siècle, s'est continuée, en se transfigurant à l'infini, jusqu'à la galanterie du siècle. dernier; ce fait, dis-je, n'est ni isolé, ni irrationnel, comme on pourrait le croire, car il tire son origine d'un sentiment et de préjugés profondément enracinés dans le cœur humain. Et si Dante et les hommes de son temps en ont exagéré les conséquences, ce n'est pas une raison pour en nier la réalité. Je pense donc que l'histoire des Béatrices n'est pas indigne de figurer dans celle de l'esprit humain.

La femme le plus anciennement désignée par ses contemporains, comme douée d'une inspiration divine et propre à transmettre aux hommes les connaissances et

les enseignements susceptibles d'épurer leur nature morale, est Diotime.

Diotime de Mégare, dit Platon, dans son Banquet, était très-versée dans toutes les sciences. Dix ans avant que la peste se déclarât dans l'Attique, cette femme, assistant aux Panathénées, trouva le moyen de retarder les ravages de ce fléau. Outre cet esprit prophétique et surnaturel, elle possédait encore les mystères de la plus haute philosophie. Enfin, lorsque, dans le livre du Banquet, Socrate vient à parler de l'Amour, sujet proposé à la fin du repas, le Sage déclare ouvertement que ce qu'il se propose de dire sur ce sujet lui a été révélé par Diotime, et que ce sont ses propres paroles qu'il va rapporter. Alors il raconte comment cette femme, après avoir dit que l'Amour naquit du Travail et de la Pauvreté lors des fêtes qui furent célébrés dans l'Olympe, à l'occasion de la naissance de Vénus, le jeune dieu retint en lui quelque chose des natures différentes de son père et de sa mère, ce qui fut cause que son caractère fut en quelque sorte double. D'ailleurs, l'Amour n'est ni mortel ni immortel entièrement, ni riche ni pauvre, et son esprit flotte toujours entre la science et l'ignorance. Enfin, cet être est classé parmi les Démons, êtres d'une nature intermédiaire, servant d'interprètes aux hommes auprès des dieux, et aux dieux auprès des hommes, transmettant tantôt les prières, les sacrifices et les vœux de ces derniers, et tantôt les institutions, les préceptes et les ordres sacrés qui émanent des immortels.

Poursuivant ses instructions, la prophétesse Diotime en vient à dire à Socrate que le sentiment de l'amour, pris dans un sens général et abstrait, n'est qu'un désir de posséder des avantages, des biens solides, dont le

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