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ment dans la carrière politique à laquelle la nature ne l'avait pas destiné, et dont il fut écarté tout-à-coup d'une manière violente et injuste, pour être enfin banni de son pays où il ne put jamais rentrer, ce qui le força de vivre pauvrement en raison de la confiscation de ses biens.

Dante se retira d'abord à Sienne, qu'il fut obligé de quitter pour Arezzo où dominait le parti gibelin. Cette ville était gouvernée par Uguccione della Faggiola, homme de guerre, qui tendit une main secourable à l'exilé. Suivant le chroniqueur J. Villani, le poète se rendit successivement à Bologne, à Forli et enfin à Véronne où il fut accueilli par Bartolomeo della Scala. On pense qu'à cette époque Dante avait déjà composé en latin les sépt premiers chants de l'Enfer, lorsque contrarié par la difficulté de rendre ses idées dans une langue que l'on ne savait alors que fort mal, il prit la résolution de recommencer son ouvrage en vers italiens. Cette première Cantique, l'Enfer, semblerait donc avoir été achevée vers la fin de 1308, vers le temps où il la dédia à Uguccione della Faggiolla, comme témoignage de sa reconnais

sance.

On remarquera que cet Uguccione ainsi que Bartholomeo, tous deux chefs gibelins, n'étaient occupés alors, ainsi que la plupart des seigneurs lombards, qu'à rassembler des troupes et à se coaliser pour se rendre maîtres de Florence et en chasser les Guelfes. Le séjour de Dante chez ces deux seigneurs peut donc être considéré comme l'une des circonstances qui ont décidé le poète à embrasser le parti contraire à celui auquel lui et ses ancêtres avaient été attachés, et qui accoutumèrent

même son âme à admettre des idées de haine et de vengeance contre sa ville natale.

On pense généralement que c'est à cette même époque que Dante composa son livre intitulé le Banquet, Il Convito. Quoique cet ouvrage n'ait de commun avec le Banquet de Platon, que le titre, il est difficile de croire cependant que la célébrité traditionnelle de l'c uvrage de l'élève de Socrate, ne soit entrée pour rien dans l'idée de la composition de Dante. Envisagé sous le rapport de l'art, le Convito est une des plus bizarres productions du poète Florentin. Mais outre les lumières que l'on y trouve pour faciliter la lecture et l'intelligence de la divine Comédie, ce livre a le grand avantage de faire apprécier le genre et l'étendue des connaissances positives que Dante avait acquises en théologie, en métaphysique, en morale, et même dans les sciences physiques; il indique enfin de quelle manière cet esprit contemplatif et si hardi tout à la fois, les combinait dans sa pensée pour les transmettre aux hommes de son temps.

Par suite des habitudes d'esprit, et du goût qui régnaient alors, Dante a tellement enveloppé sa matière, naturellement obscure, d'un voile bizarrement allégorique, que ce traité de morale, ce Banquet, est la plupart du temps hérissé d'énigmes indéchiffrables pour

nous.

Fidèle au mode qu'il avait déjà employé dans la Vie nouvelle, Dante a introduit dans sa composition du Banquet, trois chansons ou ballades, espèce de texte apocalyptique dont chaque phrase lui sert de point de départ pour le développement des vérités philosophiques et morales, qu'il se propose de démontrer et que son intention était de répandre. Ces chansons, au nombre de

trois seulement, servent tout à la fois de texte et de résumé au trois livres du Banquet qui devait en avoir quinze au moins, mais que Dante distrait de ce travail par la composition de ses deux dernières Cantiques : le Purgatoire et le Paradis (1), ne put achever.

Dans cet ouvrage de son âge mur, Dante se montre fidèle au système d'amour platonique, qu'il avait déjà adopté dans sa Vie nouvelle. La philosophie dans le Banquet apparaît toujours sous la figure d'une femme, et quoique le fond de ses idées de moralité se soit beaucoup modifié depuis sa jeunesse, le poète n'a cependant pas cessé d'employer les mêmes formes.

Cet artifice dont il a tiré tant d'avantages dans ses grands poèmes, est loin, je l'avoue, de l'avoir aussi heureusement servi, lorsqu'il l'emploie pour traiter de philosophie et de morale. Mais enfin cette ressource, tantôt bonne, tantôt faible, est en dernière analyse, un des caractères distinctifs de la manière propre à ce grand écrivain. Ce serait d'ailleurs une injustice souveraine, commise envers Dante et son temps, que de juger le Banquet d'une manière absolue. En le considérant comme un effort tenté pour la première fois, pour mettre les plus hautes connaissances humaines à la portée de tous les esprits, par le secours d'images et d'allégories séduisantes, et en faisant passer la majesté du langage scientifique sous le joug de ce que l'on ne regardait encore que comme un jargon vulgaire, alors on estime tout ce

(1) Je conserve ici en français, la distinction italienne du mot cantique, au masculin ou au féminin. Cantico veut dire un cantique; mais par cantica, on entend un recueil de cantiques. Et c'est Dante lui-même qui a imposé ce titre à chacun de ses trois grands poèmes, parce qu'il les considérait comme une suite de cantiques,

qu'il y a de fort, de grand et de généreux dans l'intention et l'idée d'un livre comme le Banquet, où tout ce qui était enfermé alors dans le latin, fut tout-à-coup révélé à ceux qui ne connaissaient que la langue parlée. Cette vulgarisation de toutes les sciences, par Dante, l'un des plus importants résultats du génie et des ouvrages de cet homme, donne au Banquet un caractère particulier; et si quelques-unes des doctrines scientifiques qu'il contient nous font rire aujourd'hui, on ne doit pas oublier qu'il y a cinq siècles qu'il a été écrit, et que l'heureuse impulsion qu'il a communiquée alors à tous les esprits, est celle à laquelle nous obéissons en

core.

En considérant donc le Banquet sous ce rapport, la lecture de ce livre est indispensable à ceux qui veulent étudier les écrits de Dante et connaître le caractère singulier du génie de cet homme.

Malgré l'apparence politique que la courte magistrature et le long exil de Dante ont donnée à sa vie, au fond elle a été exclusivement poétique et littéraire. Le style des lettres qu'il a écrites au sujet de ses infortunes comme citoyen, en sont même une preuve éclatante; car ces écrits sont beaucoup plus remarquables par la majesté d'élocution, que par la force des pensées et des raisonnements politiques que le poète y a introduits. Cette qualité et ce défaut sont également sensibles dans la lettre adressée « à tous les Italiens à l'occasion de la venue de l'empereur Henry VII en Italie, en 1311 », ainsi que dans celle que le poète envoya à ce même prince en 1313, pour l'engager à sévir contre Florence la Guelfe.

L'écrit politique le plus important de Dante, est son

traité de la Monarchie (de Monarchiâ) qui, selon toute vraisemblance, a été composé vers cette même année 1313, lorsque tout dévoué à la faction gibeline, il crut devoir prouver scientifiquement que les droits de la monarchie impériale, fondés sur ceux de l'empire romain, ne relevaient que de Dieu seul, et non du SaintSiège. Ce morceau fort curieux en lui-même, est l'acte politique le plus important de la vie de Dante, parce qu'en défendant le parti gibelin auquel il se rattachait, le poète traita et trancha même la grande question de la rivalité des papes et des empereurs, soulevée depuis deux siècles et demi, par Grégoire VII (1).

Dante eut sans doute la précaution de ne pas avouer cet ouvrage de son vivant, car cette manière scientifique de réduire à néant les prétentions de la cour de Rome, jointe aux satires virulentes contre les pontifes, si fréquentes dans ses poèmes, aurait achevé de le mettre mal avec la Sainte Inquisition. Heureusement il n'en fut pas ainsi, quoique l'on ait de la peine à saisir la nuance de sévérité et d'indulgence qui engagea le Saint Office à épargner Dante, tandis qu'il fit brûler vifle pauvre Cecco d'Ascoli, mauvais poète contemporain dont on aurait pu se contenter de jeter simplement le livre de l'Acerba dans les flammes, ce qui aurait fait beaucoup plus d'honneur à la justice des inquisiteurs. Quoiqu'il en soit, il paraît que Dante fut accusé d'hérésie à différentes époques de sa vie, et l'on sait même par une note qui se trouve en tête d'un ancien manuscrit de sa paraphrase en vers du Credo, qu'il se crut obligé de faire cette profession de foi catholique, pour éviter les poursuites que

(1) Voyez Florence et ses vicissitudes, t. II, pages 66-98.

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