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d'éloquence et de poésie rassurent et fortifient votre intelligence au milieu de ce pays de ténèbres, et confiant en un guide qui de temps à autre vous enlève avec force, on avance poussé d'ailleurs par une insatiable curiosité qui ne cesse même pas quand, fatigué d'un voyage à peu près sans résultat, la lassitude nous force au repos. J'ai tenté ce voyage de découvertes pour ouvrir au moins la route à d'autres plus vigoureux que moi; j'ai essayé de traduire les Chansons ou odes de Dante dans lesquelles il semble s'adresser presque toujours à la plus austère de ses amantes, la Philosophie.

Il n'y a rien de plus difficile que d'apprécier l'action et la réaction des idées qui ont dominé les esprits à certaines époques, et l'on ignore presque toujours jusqu'à quel degré les idées ont entraîné les hommes ou furent gouvernées par eux. Savons-nous, par exemple, si le résultat définitif des croisades a été dû à la nature même de ces expéditions plutôt qu'à l'enthousia me qui les a fait entreprendre et conduire? En partant de l'idée primitive de délivrer le saint sépulcre et de confondre les sectateurs de Mahomet par l'épée et par les lumières spirituelles, qui aurait pu s'attendre qu'entre les résultats principaux de ces guerres saintes, la fusion des Francs réunis en Palestine et les échanges de connaissances et d'habitudes entre les Européens et les Orientaux, donneraient aux productions frivoles des troubadours et des trouvères une importance si inattendue répandraient l'usage des langues d'Oil at d'Oc dans toute l'Europe et même jusqu'en Asie, et qu'à la faveur de ces langues, la Gaie-Science, la Science-d'Amour et enfin la galanterie s'introduiraient chez toutes les nations civilisées?

La poésie provençale servit de point de départ à celle des Siciliens et des Italiens dont on fixe l'aurore au temps de l'empereur Frédéric II lorsqu'il devint roi de Sicile, en 1198. Ce prince fameux par ses démêlés avec les papes Innocent III, Honorius III, Grégoire IX, Célestin et Innocent IV, et qui se rendit redoutable par sa prétention à la monarchie universelle, fut le plus ardent protecteur des sciences, des arts et des lettres à leur renaissance. S'opposant sans cesse aux envahissements du pouvoir du saint-siège, excommunié dix fois, mais sortant le plus ordinairement victorieux de ses entreprises, Frédéric se montra toujours guerrier intrépide et politique profond. Ses contestations avec les pontifes, origine des deux factions fameuses, les Gibelins et les Guelfes, ainsi que les écarts de sa vie licencieuse, le firent désigner comme incrédule, comme un Epicurien, dit Jean Villani; et Dante lui-même, Dante le Gibelin, a été obligé de le placer dans l'Enfer parmi les hérétiques. (Inf. c. x. v. 119.)

Cependant si l'on considère cet homme dans les rapports qu'il a eus avec les savants et les lettrés, on est frappé des progrès qu'il a fait faire aux travaux de l'intelligence en Europe. Il parlait le latin, l'allemand, le français, l'italien, le grec moderne et l'arabe. C'est à son zèle et à ses soins que l'on doit les premières traductions latines d'Aristote, de Ptolémée et de Galien, faites sur le grec et l'arabe. Il est le fondateur des Universités de Vienne et de Naples, et l'on rapporte au commencement de son règne, la publication du Speculum Juris Saxonici, le plus ancien livre sur le Droit d'Allemagne.

Cet Empereur dont la vie a été surchargée de travaux

si importants et si graves, a cependant laissé des écrits qui sembleraient indiquer qu'il y avait quelque chose de léger au fond de son esprit. Il écrivit un traité de la Fauconnerie dont il donna le goût aux seigneurs allemands; et en Sicile, il composa des chansons et des ballades qui le font regarder encore comme l'un des fondateurs de la langue et de la poésie italiennes.

Au premier aperçu, une chanson d'amour, même composée par un grand prince très-occupé d'affaires et fort adonné aux plaisirs, ne semble pas digne de beaucoup d'attention. Mais quand on s'aperçoit que ces vers, au lieu de peindre la vivacité d'un amour qui ne recherche qu'une jouissance passagère, n'expriment au contraire, que cette admiration solennelle, cette passion sans jalousie, cette adoration de la vertu et de la science, que lui inspire sa Dame, Dame précisément de la même espèce que celle que Dante, soixante ans après, déclara n'être rien autre chose que la fille de l'Empereur de l'Univers, la PHILOSOPHIE; alors on est bien forcé de placer les chansons de Frédéric II dans une catégorie particulière, surtout si on prend la peine d'en comparer la tendance sérieuse, à l'esprit de libertinage qui anime celles que faisaient les Troubadours de la Provence dans le même temps. Évidemment, les chansons de l'Empereur Frédéric doivent être mises au nombre des premiers essais tentés par les Fidèles d'Amour dont parle Dante dans la Vie nouvelle; et si on les compare avec celles des premiers poètes italiens prédécesseurs et compagnons de Dante, tels que Guido delle Colonne, Jacopo da Lentino, Dante da Maiano, Guido Guinizzelli, Guittone d'Arezzo, et Guido Cavalcanti, il sera facile de se convaincre que toutes ces poésies relèvent du même

principe, et sont assujéties à la doctrine amoureuse.

Nous arrivons donc à la connaissance de ce fait important, que c'est un des princes les plus puissants de l'Europe, mais auquel tous les historiens reprochent d'avoir été désordonné dans ses mœurs, et luxurieux jusqu'à l'excès, qui au lieu de suivre l'exemple des poètes de la Provence, affecte de mettre dans ses chansons d'amour, une retenue, une solennité emphatique, une admiration si exclusive pour les qualités morales et intellectuelles de sa Dame, qu'il est impossible de trouver le moindre germe d'une passion naturelle, dans de pareils vers. Cette poésie est donc allégorique; et en consultant les écrits de ceux qui ont cultivé ce genre jusqu'à Dante, on peut dire avec lui, que ces poètes avaient pour objet la recherche de la vérité, de la philosophie.

Vers le même temps que l'Empereur Frédéric composait ses chansons morales et allégoriques, d'autres poètes cherchant aussi la vérité, mais d'un autre côté et à l'aide de la Foi, employaient également la forme poétique amoureuse. Les vers attribués à saint Françoisd'Assises sont un témoignage curieux de la frénésie érotique qui s'était emparée des gens même les plus graves et les plus pieux. Le langage amoureux, pris dans le sens allégorique, avait été si généralement adopté, que chacun s'en servait alors, quel que fût d'ailleurs l'objet de ses recherches, comme des signes d'algèbre qui n'ont que la valeur conventionnelle qu'on leur prête. Cet emploi d'un langage convenu, d'un argot, eut le double inconvénient de favoriser outre mesure la hardiesse de ceux qui en firent usage et d'amener l'obscurité dans le discours. Cependant on saisit cette différence inattendue entre les poètes pieux et les poètes

philosophes qui adoptèrent également la forme de la poésie amoureuse que les amants de Jésus-Christ avouent ouvertement leur passion, mais en termes parfois très-offensants pour la pudeur, tandis que les amants de la Philosophie, chastes jusqu'à la froideur dans leurs extases, n'indiquent jamais que d'une manière vague et détournée ce qu'ils poursuivent avec tant d'obstination.

Cette indécision, cette obscurité, communes à tous les poètes qui ont traité de la philosophie amoureuse, est frappante surtout dans le Roman de la Rose, composé par Guillaume de Lorris. Tout, à partir de la Rose, est allégorique dans ce livre qui fut lu et admiré pendant plus de quatre siècles dans l'occident et le nord de l'Europe. Connaissait-on le mot de cette énigme ? et doit-on supposer qu'un homme d'un esprit si fin et si positif tout à la fois que celui de G. Chaucer, ait fait une traduction de ce poème en vers anglais, sans qu'il ait jamais soupçonné quelle pouvait en être l'idée fondamentale? Il semblerait que quelques années après la mort de Guillaume de Lorris, on attachât si peu d'importance au sens intime de cette composition entièrement terminée, que quand Clopinel eut l'idée, soixante ans plus tard, d'y coudre une continuation, personne ne s'aperçut ou au moins ne trouva étrange que l'on ajoutât au véritable Roman de la Rose, où la pensée et la parole sont toujours chastes, une suite composée dans un mode. et d'un style toujours ironiques et qui font souvent rougir le lecteur.

Tous les poètes de l'école amoureuse ont voulu ainsi qu'ils le disent si souvent, ne s'adresser qu'aux Fidèles d'Amour et aux intelligents, en ce qui se rapporte au

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