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vers qui fasse allusion à la privation de sa femme et de ses enfants. Ce silence et ces observations de Boccace sur les inconvénients du mariage pour un poète, ont donné naissance à mille conjectures, dont le dernier mot est que Madonna Gemma était une espèce de furie, et que la seule consolation que Dante tira de son exil fut d'être débarrassé de cette moderne Xantippe.

Quant à moi, je donne les faits tels qu'ils nous sont incomplétement parvenus, et je profiterai de cette occasion pour répéter, avec preuves, que la plupart des circonstances de la vie de Dante sont tout aussi peu connues que celles de son mariage et ses suites, ce qui est cause que l'on risque beaucoup de faire un roman quand on veut écrire l'histoire de ce poète.

Boccace dit encore, en parlant de son héros : « Malgré la répugnance que j'éprouve à tacher la gloire d'un si grand homme, il m'est impossible de ne pas avouer qu'il a été adonné à la luxure, non-seulement pendant sa jeunesse, mais même dans l'âge mûr. » Quelque léger qu'ait pu être Boccace, on a peine à comprendre quel serait le motif qui l'eût engagé à inventer une calomnie, si des traditions très-récentes encore ne l'eussent pas autorisé à signaler ce fait. D'une autre part, et si l'on excepte quelques chansons et ballades amoureuses, qui ne sont que galantes et dont l'authenticité est d'ailleurs fort contestée, tout est d'une chasteté très-sévère dans les écrits de Dante, qui, certes, peut passer pour avoir été un mari suffisamment attentif, puisqu'il eut sept enfants de sa femme en dix ans.

Que conclure de tous ces faits incertains et contradictoires, si ce n'est que l'on doit retenir prudemment sa plume? C'est donc ce que je fais; et je poursuis.

Avart de se marier, Dante s'était fait immatriculer dans l'Art des médecins. Et bientôt, croyant pouvoir payer dignement son tribut de citoyen à sa patrie, il brigua les charges publiques. On prétend, mais toujours sans preuves suffisantes, que de 1293 à 1300, il fut chargé de quatorze ambassades.

Quoi qu'il en soit, le désordre était porté à son comble dans la cité de Florence. Après un siècle de haines, de guerres et de vengeances atroces, entre les Guelfes et les Gibelins, qui, jusqu'en 1300, avaient au moins eu le triste avantage de savoir qu'ils se battaient, les uns en faveur du gouvernement pontifical, les autres pour la monarchie impériale, il arriva que les deux factions oubliant tout-à-coup leur véritable mot d'ordre, se transformèrent en deux cotteries de petite ville, sans rien perdre toutefois de leur aveuglement, de leur fureur ni de leur cruauté. Une vieille querelle entre deux branches d'une famille de Pistoia dont l'une portait le surnom de Blancs et l'autre celui de Noirs, s'envenima à tel point, qu'après avoir substitué ces deux désignations à celles de Gibelins et de Guelfes auxquelles elles répondaient effectivement, une grande partie de la Toscane, mais Florence en particulier, fut de nouveau en proie à toutes les violences d'une guerre instestine. Au mois de mai de l'an 1300, on se battit de nouveau dans les rues de Florence et le sang des Noirs et des Blancs coula abondamment (1).

Dante était alors Prieur, c'est-à-dire l'un des douze

(1) Voyez pour les éclaircissements relatifs aux factions de Blanes et de Noirs; Florence et ses vicissitudes t. 1er, page 107 et t. 2, page 67.74. Paris, 1837.

premiers magistrats élus pour gouverner la cité. Jusqu'à cette époque, le poète fidèle aux sentiments traditionnels de sa famille, avait toujours pensé, agi, combattu même dans les rangs des Guelfes ; mais le malheur voulut pour lui, qu'au moment de prendre part aux actes du Priorat, les questions politiques, ou plutôt les causes de division entre les Guelfes et les Gibelins, étaient devenues plus embrouillées que jamais, par la complication qu'y ajoutèrent les Noirs et les Blancs en mêlant leurs haines de famille à celles de parti.

Il a été absolument impossible, jusqu'ici, de savoir précisément ce que les partis des Noirs et des Blancs, qui prirent après les noms de Verts et de Secs, demandaient politiquement, et jusqu'à quel point leur opinion se rapprochait ou s'éloignait de celle des Gibelins et des Guelfes. En étudiant les détails de l'histoire florentine vers cette époque, on s'aperçoit seulement qu'un grand nombre d'unions matrimoniales, ayant eu lieu entre les familles de partis opposés, dans les moments où elles avaient suspendu momentanément leurs fureurs, il en résulta, que les hostilités une fois recommencées, les deux factions au lieu d'être distinctement séparées, et en mesure pour se faire une guerre franche et ouverte, se trouvaient tellement mêlées l'une avec l'autre, qu'aulieu de se quereller et de se battre de quartier à quartier, elles se faisaient la guerre dans l'intérieur même de chaque famille.

Vers le mois de mai de l'an 1300, les disputes, les rixes et les combats entre les Noirs et les Blancs se multiplièrent donc à tel point et devinrent si violentes, que l'année suivante (1301), le Priorat dont Dante était membre, crut, pour calmer la ville, pouvoir faire abs

traction du parti auquel se rattachaient les combattants, et condamner indifféremment à l'exil les Blancs et les Noirs qui ensanglantaient journellement les rues de Florence. Mais avant d'obtenir le Priorat, Dante avait été envoyé par la république auprès du pape pour l'engager à rétablir la paix dans Florence par l'intermédiaire d'un Légat. Or, il était arrivé que la bonne volonté du pontife ainsi que les efforts de son envoyé, n'ayant eu aucun résultat, les Prieurs avaient pris la résolution, comme je viens de le dire, de frapper de l'exil les turbulents de l'un et l'autre parti. Florence était donc toujours plongée dans le désordre, lorsque l'on décida de renvoyer Dante auprès du pape, si, comme quelques auteurs l'ont avancé, le poète ne sortit pas de Florence par dégoût et par dépit.

Quoi qu'il en soit, ce fut pendant cette absence et sans avoir été entendu ni jugé, que le poète magistrat fut condamné ainsi que trois de ses concitoyens, à deux ans d'exil hors de la Toscane, à huit mille livres d'amende; et faute de payer, à la dévastation de ses biens, pour expier le prétendu crime de baratterie, ou extorsions et gains illicites, et enfin pour s'être opposé à la venue de Charles de Valois à Florence, où ce prince était appelé par la faction guelfe. Cette sentence porte la date du 27 janvier 1302. Dante était âgé de trentesept ans.

Deux mois après et sur des avis reçus, que les exilés faisaient des tentatives pour rentrer à force ouverte dans Florence, le Podestat Cante Gabrielli renouvela l'arrêt, et le 10 mars 1302, Dante et quatorze magistrats ses collègues, furent condamnés à être brûlés vifs, dans le

cas où ils auraient la témérité de mettre le pied sur le territoire de la commune de Florence.

Enfin, en 1315, on prononça une troisième sentence contre Dante, par laquelle on le condamna cette fois, pour n'avoir pas comparu, ni donné caution de sa sortie de Florence.

Dans aucun de ses ouvrages, Dante, ne parle même incidemment, de l'époque à laquelle il quitta le parti guelfe pour suivre celui des Gibelins; mais il est naturel de penser que le changement qui s'opéra dans ses opinions et ses principes politiques, coïncide avec le temps où il a été accusé de baratterie, soupçonné d'avoir fait retenir Charles de Valois, et condamné à l'exil et à l'amende avec tant d'injustice et de brutalité. Ce qui doit confirmer dans cette opinion, est la persévérance haineuse avec laquelle le poète soutint et défendit la nouvelle opinion qu'il avait embrassée.

Tels sont les faits et leurs résultats, peu nombreux, assez obscurs, mais constatés par les historiens et par des actes authentiques, qui se rapportent aux magistratures que Dante a exercées; et le point capital à signaler ici, est que le passage du poète de la faction guelfe à celle des Gibelins, date ainsi que la rancune vigoureuse qu'il a nourrie dans son cœur contre Florence, des années 1301-1303 environ.

Rien n'est plus naturel, sans doute, que ce changement de parti; et l'on conçoit facilement que l'humeur âcre et la colère se soient emparées de l'esprit de Dante, lorsqu'il se sentit frappé de sentences à la fois si injustes et si extravagantes. Mais entre la résignation d'un chrétion et la fureur parfois aveugle, avec laquelle le poète, devenu Gibelin, a lancé ses malédictions contre sa ville

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