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ne sera pas fàché de prononcer; c'est en parlant des marauds d'Apamée :

Ils ont, pour se défendre et pour nous accabler,

César qu'ils ont séduit, et Dieu qu'ils font parler.

Le seul moyen de faire jouer cette pièce, ce serait de détruire entièrement dans l'esprit des honnêtes gens la rage de l'allégorie. Ce sont nos amis qui nous perdent. Les prêtres ne demanderaient pas mieux que de pouvoir dire: Ceci ne nous regarde pas, nous ne sommes pas chanoines d'Apamée, nous ne voulons point faire brûler les petites filles. Nos amis ne cessent de leur dire : Vous ne valez pas mieux que les prêtres de Pluton; vous seriez, dans l'occasion, plus méchans qu'eux. Si on ne le leur dit pas en face, on le dit si haut que tous les échos le répètent.

Enfin je ne joue pas heureusement, et il faut que je me retire tout-à-fait du jeu.

Je vois bien que Pandore a fait coupe-gorge. Il est fort aisé de faire ordonner par Jupiter, à la dame Némésis, d'emprunter les chausses de Mercure, et son chapeau et ses talonnières; mais le reste m'est impossible:

Tu nihil invita dices faciesve Minerva.

Ce sont de ces commandemens de Dieu que les juste ne peuvent exécuter.

J'ai

reçu une lettre d'un sénateur de Venise, qui me mande que tous les honnêtes gens de son pays pensent comme moi. La lumière s'étend de tous côtés; cependant le sang du chevalier de La Barre fume encore. A l'égard de celui de Martin, ce n'est pas à moi de le venger; tout ce que je puis dire, mon cher ange, c'est qu'il des tigres parmi les singes; les uns dansent, les autres dévorent. Voilà le monde, ou du moins le monde des

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CORRESPONDANCE. T. IX.

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Welches; mais je veux faire comme Dieu, pardonner à
Sodome s'il y a dix justes comme vous.
Mille tendres respects à mes deux anges.

CCCLVIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

16 septembre.

Je réponds, mon cher ange, à vos lettres du 4 et du 9. Vous devez actuellement avoir reçu par M. Marin la tragédie des Guèbres, avec les additions que le jeune auteur a faites.

Lekain a joué à Toulouse Tancrède, Zamore et Hérode avec le plus grand succès. La salle était remplie à deux heures. On dit la troupe fort bonne plusieurs amateurs ont fait une souscription assez considérable pour la composer. Cette troupe a donné Athalie avec la musique des choeurs, et on me demande des chœurs pour toutes mes pièces. Les spectacles adoucissent les mœurs; et quand la philosophie s'y joint, la superstition est bientôt écrasée. Il s'est fait depuis dix ans dans toute la jeunesse de Toulouse un changement incroyable. Sirven s'en trouvera bien; il verra que votre idée de venir se défendre lui-même était la meilleure; mais plus il a tardé, plus il trouvera les esprits bien disposés. Vous voyez qu'à la longue les bons livres font quelque effet, et que ceux qui ont contribué à répandre la lumière n'ont pas entièrement perdu leur peine.

On me presse pour aller passer l'hiver à Toulouse. Il est vrai que je ne peux plus supporter les neiges qui m'ensevelissent pendant cinq mois de suite au moins; mais il se pourra bien faire que madame Denis * vienne

* Madame Denis ne tarda effectivement point à revenir auprès de M. de Voltaire qu'elle ne quitta plus. R.

affronter auprès de moi les horreurs de nos frimas et celles de la solitude et de l'ennui avec un pauvre vieillard qu'il est bien difficile de transplanter.

M. de Ximenès m'a mandé que M. le maréchal de Richelieu avait mis les Guèbres sur le répertoire de Fontainebleau ; je crois qu'il s'est trompé, car M. de Richelieu ne m'en parle pas. Il a assez de hauteur dans l'esprit pour faire cette démarche, et ce serait un grand coup. Les tribuns militaires vont au spectacle, et les prêtres de Pluton n'y vont point: la raison gagnerait enfin sa cause, ce qui ne lui arrive pas souvent.

Je vois bien que je perdrai la mienne auprès de M. le duc d'Aumont. Il me sera impossible de refaire la scène d'Ève et du serpent, à moins que le diable en personne ne vienne m'inspirer. Je suis à présent aussi incapable de faire des vers d'opéra que de courir la poste à cheval. Il y a des temps où l'on ne peut répondre de soi. Je prends mon parti sur Pandore; ce spectacle aurait pu être une occasion qui m'aurait fait faire un petit voyage que je désire depuis long-temps, et que vous seul, mon cher ange, me faites désirer. Quand je dis vous seul, j'entends madame d'Argental et vous; mais encore une fois, je ne suis pas heureux.

Adieu, très cher ange; pardonnez à un pauvre malade si je ne vous écris pas plus au long.

CCCLIX.

A M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.

A Ferney, le 17 septembre.

Le livre* dont vous me parlez, monsieur, est évidemment de deux mains différentes. Tout ce qui précède

L'Histoire du Parlement de Paris

l'attentat de Damiens m'a paru vrai, et écrit d'un style assez pur; le reste est rempli de solécismes et de faussetés l'auteur ne sait ce qu'il dit. Il prend le président de Bésigni pour le président de Nassigni; il dit qu'on a donné des pensions à tous les juges de Damiens, et on n'en a donné qu'aux deux rapporteurs : il se trompe grossièrement sur la prétendue union de M. d'Argenson et de M. de Machault.

Vous aimez les lettres, monsieur, et vous êtes assez heureux pour ignorer le brigandage qui règne dans la littérature. L'abbé Desfontaines fit autrefois une édition clandestine de la Henriade, dans laquelle il inséra des vers contre l'Académie pour me brouiller avec elle, et pour m'empêcher d'être de son corps. On a eu cette fois-ci une intention plus maligne. Ces petits procédés, qui ne sont pas rares, n'ont pas peu contribué à me faire quitter la France et chercher la solitude. L'amitié dont vous m'honorez me console. Je vous prie de me la conserver; j'en sens tout le prix. Je serais enchanté d'avoir l'honneur de vous voir; mais il n'y a pas d'apparence que vous puissiez quitter les états de Bourgogne et la cour brillante de M. le prince de Condé pour des montagnes couvertes de neige, et pour un vieux solitaire devenu aussi froid qu'elles.

CCCLX.

A M. LE MARECHAL DUC DE RICHELIEU.

A Ferney, 18 septembre.

Je vous écris, monseigneur, quand j'ai quelque chose à mander que je crois valoir la peine de vous importuner. Je me tais quand je n'ai rien à dire; et quand

je songe que vous devez recevoir par jour une quarantaine de lettres, je crains de faire la quarante et

unième.

Vous me demandez où est la gloire : je vais vous le dire. Un homme qui revient de Gênes me contait hier qu'il y avait vu un homme de la cour de l'empereur. Cet Allemand, en regardant votre statue, disait: Voilà le seul Français qui, depuis le maréchal de Villars, ait mérité une grande réputation. Un pareil discours est quelque chose. Ce seigneur allemand ne se doutait pas que vous le sauriez par moi.

Vous m'accusez toujours d'avoir une confiance aveugle en certaines personnes. Qui voulez-vous que je consulte? Je ne connais aucun comédien, excepté Lekain. Il y a vingt et un ans que je n'ai vu Paris, et tous les acteurs ont été reçus depuis ce temps-là. J'ai une autre nièce que madame Denis, qui se mêle aussi de jouer quelquefois la comédie dans son castel. Elle a distribué une ou deux fois de mes rôles. J'ai aussi un neveu, conseiller au parlement, qui est, sans contredit, le meilleur comique des enquêtes. Je voudrais que la grand'chambre ne fit que ce métier-là, tout en irait mieux.

A propos de grand'chambre, vous devez bien voir, monseigneur, par l'énorme brigandage qui régnait dans l'Inde, que ce n'était pas votre ancien protégé Lally qui était coupable. Il y a des choses qui me font saigner le cœur long-temps. Je suis un peu le don Quichotte des malheureux. Je poursuis sans relâche l'affaire des Sirven, qui est toute semblable à celle des Calas, et j'espère en venir à bout dans quelques semaines. Ces petits succès me consolent beaucoup de ce que les sots appellent

malheur.

J'ignore toujours si M. le marquis de Ximenès ne s'est

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