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me semble que M. de Mairan possède en profondeur ce que M. de Fontenelle avait en superficie. Faites-moi l'amitié de me chercher son feu central, et d'ajouter ce petit déboursé à ceux que vous avez déja bien voulu faire pour moi.

Il y a long-temps que je suis très certain que le feu est partout; mais je pense qu'il serait difficile de prouver qu'il y eût un foyer ardent tout au beau milieu de notre globe; il faudrait pour cela creuser ce grand trou que proposait ce fou de Maupertuis.

A propos, puisque vous dînez avec madame Dupin et M. de Mairan, dites-leur, je vous prie, que je voudrais bien en faire autant,

Vous avez raison sur le cardinal de Bernis, c'est lui qui a fait le pape: il fait ce qu'il veut dans Rome; il y est adoré.

Le petit magistrat m'est venu voir encore; c'est un être fort singulier; il ne lâche point prise; il se retourne de tous les sens je vous ferai savoir de ses nouvelles dans quinze jours.

On a frappé en Angleterre une médaille de l'amiral Anson; c'est un chef-d'œuvre digne du temps d'Auguste. Le revers est une Victoire posée sur un cheval marin, tenant une couronne de lauriers. Les noms des principaux officiers qui firent avec lui le tour du monde sont gravés autour de la Victoire, dans de petits cartouches entourés de lauriers. Cela est patriotique, brillant et neuf: la famille me l'a envoyée en or; elle m'a fait cet honneur en qualité de citoyen du globe dont l'amiral Anson avait fait le tour.

Bonsoir, mon ancien ami, qui me serez toujours cher tant que je végéterai sur ce malheureux globe.

CCCXIV.

A M. L'ABBÉ AUDRA. (A Toulouse.)

Le 14 juin.

Votre zèle, mon cher philosophe, contre les fables décorées du nom d'histoire, est très digne de vous. Mais comment faire avec des nations chez lesquelles il n'y a d'autre éducation que celle de l'erreur; où tous les livres nous trompent, depuis l'almanach jusqu'à la gazette? Il y aurait bien quelques petits chapitres à faire sur cet amas inconcevable de bêtises dont on nous berce. Un temps viendra où l'on jettera au feu toutes nos chronologies dans lesquelles on prend pour époques des aventures entièrement fausses, et des personnages qui n'ont jamais existé.

Mais une époque bien vraie, bien agréable, sera celle où le parlement de Toulouse vengera l'innocence opprimée par ce misérable juge de village qui a outragé également les lois, la nature et la raison, en osant condamner les Sirven. Ce sera à vous que nous aurons l'obligation de la justice qu'on nous rendra. J'espère que cette affaire, que j'ai tant à cœur, finira au moins cette année. Si je pouvais aller à Toulouse, je viendrais vous embrasser.

CCCXV.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

19 juin.

Mes divins anges sauront que j'ai envoyé quatre exemplaires des Guèbres à M. Marin, l'un pour vous, le second pour lui, le troisième pour l'impression, le quatrième pour madame Denis.

Je ne suis pas à présent en état d'en juger, parce que je suis assez malade; mais, autant qu'il peut m'en souvenir, cet ouvrage me paraissait fort honnête et fort utile, il y a quelques jours, dans le temps que je souffrais un peu moins. Il en sera tout ce qu'il plaira à Dieu et à la barbarie dans laquelle nous sommes actuellement plongés.

Eh bien, mon cher ange, nous n'avons donc vécu que pour voir anéantir la scène française qui fesait vos délices et ma passion. Je ne m'attendais pas que le théâtre de Paris mourrait avant moi. Il faut se soumettre à sa destinée. Je suis né quand Racine vivait encore, et je finis mes jours dans le temps du Siége de Calais, et dans le triomphe de l'opéra comique. Un peu de philosophie consolait notre malheureux siècle de sa décadence; mais comme on traite la philosophie, et comme elle est écrasée par la superstition tyrannique! Les Guèbres me paraissaient faits pour soutenir un peu la philosophie et le bon goût; mais voilà qu'un pédant du Châtelet s'oppose à l'un et à l'autre, et on ne sait à qui s'adresser oontre ce barbare. Je m'en remets à vous. Nous n'avons contre les Goths et les Vandales que la voix des honnêtes gens. Vous les ameuterez; les honnêtes gens l'emportent à la longue.

Celui qui a imprimé les Guèbres dans mon pays sauvage, ne sachant pas de qui était cette tragédie, me l'a dédiée. Il a cru cette dédicace nécessaire pour recommander la pièce et la faire vendre dans les pays étrangers, où l'on ne juge que sur parole. J'ai soigneusement retranché cette dédicace, qui serait aussi mal reçue à Paris qu'elle est bien accueillie ailleurs.

On a supprimé aussi le titre de la Tolérance dont le nom effarouche plus d'une oreille dans votre pays. Cette

tragédie est imprimée chez l'étranger sous le titre de Tolérance. C'est un nom devenu respectable et sacré dans les trois quarts de l'Europe; mais il est encore en horreur chez les misérables dévots de la contrée des Welches. Trémoussez-vous, mes chers anges, pour écraser habilement le monstre du fanatisme. Comptez que vous lui porterez un rude coup en donnant aux Guèbres quelque accès dans le monde. Vous me direz peut-être que ce fanatisme triomphe d'une certaine cérémonie qu'un certain ennemi des coquins a faite il y a quelques mois; mais cette cérémonie servira un jour à mieux manifester la turpitude de ce monstre infernal: il y a des choses qu'on ne peut pas dire à présent. Le public juge de tout à tort et à travers; laissez faire, tout viendra

en son temps.

Je me mets à l'ombre de vos ailes.

CCCXVI.

A M. LE COMTE DE ROCHEFORT.

A Lyon, 24 juin.

Vous ne doutez pas, monsieur, du plaisir que m'a fait votre lettre. Vous savez combien je vous suis attaché, à vous, monsieur, et à madame Dixhuitans. L'amitié d'un pauvre vieillard malade et solitaire est bien peu de chose; mais enfin vous daignez y être sensible.

J'écris quelquefois à madame Finette, et rarement à l'abbé Bigot; mais je suis assurément un de leurs plus zélés serviteurs. Je crois que l'abbé Bigot, qui n'est point du tout bigot, réussira en tout, et c'est un de mes plus grands plaisirs; on aime d'ailleurs à voir ses prédictions accomplies, et son goût approuvé du public.

Je ne sais trop comment finira l'affaire du prélat dont je vous ai tant parlé, et qui m'a forcé à des démarches qui ont paru très extraordinaires, et qui pourtant étaient fort raisonnables. J'ai rendu compte de tout au marquis **; il m'a paru qu'il n'approuvait pas la conduite de ce prêtre, et qu'il était fort content de la mienne. Mais je voudrais être bien sûr de ses sentimens pour moi. Je vous aurais une très grande obligation de lui parler, de lui faire valoir un peu la décence avec laquelle je me suis conduit envers un homme qui n'en a point; de lui peindre la vie honnête que je mène, et de l'assurer surtout de mon dévouement pour sa personne. Ayez la bonté de me mander ce qu'il vous aura dit; vous ne pouvez me rendre un meilleur office.

Vous ne vous écarterez sûrement pas de la vérité quand vous lui direz que mon ami est un brouillon, reconnu pour tel lorsqu'il était à Paris, détesté et méprisé dans la province. C'est un homme qui a le cœur aussi dur que les pierres que son grand-père le maçon a employées autrefois dans le château que j'habite. Je rends toutes ses fureurs inutiles par la discrétion et par la bienséance que je mets dans mes paroles et dans mes démarches. En un mot, réchauffez pour moi le marquis, je vous en supplie.

Je suis extrêmement content de mon frère l'abbé. Pour ma cousine, je n'ai aucune relation avec elle. Peutêtre qu'un jour M. Anjoran serait en état de l'engager à me rendre un petit service, mais rien ne presse; je voudrais seulement savoir si son esprit se forme, si elle s'intéresse véritablement à M. Leprieur. Je compte toujours sur M. Anjoran; mais il est bon que de temps en temps on le fasse souvenir qu'il me doit quelque amitié. * Biord, évêque d'Anneci. — ** M. de Choiseul. R.

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