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prie de lire avec attention ce que m'écrit de Toulouse un homme constitué en dignité et très instruit :

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« Vous ne sauriez croire combien augmente dans cette ville le zèle des gens de bien, et leur amour et leur « respect pour *.... Quant au parlement et à l'ordre des avocats, presque tous ceux qui sont au dessous de trente-cinq ans sont pleins de zèle et de lumières, et il « ne manque pas de gens instruits parmi les personnes « de condition. Il est vrai qu'il s'y trouve plus qu'ailleurs « des hommes durs et opiniâtres, incapables de se prêter « un seul moment à la raison; mais leur nombre diminue chaque jour, et non seulement toute la jeunesse du parlement, mais une grande partie du centre et plusieurs hommes de la tête vous sont entièrement dé« voués. Vous ne sauriez croire combien tout a changé << depuis la malheureuse aventure de l'innocent Calas. On « va jusqu'à se reprocher l'arrêt contre M. Rochette et les «< trois gentilshommes: on regarde le premier comme «< injuste et le second comme trop sévère, etc. »

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K

Vous voyez, monsieur, qu'il n'était pas possible d'introduire la raison autrement que sur les ruines du fanatisme. Le sang coulera tant que les hommes auront la folie atroce de penser que nous devons détester ceux qui ne croient pas ce que nous croyons. Plût à Dieu que J'évêque de Soissons, Fitz-James, vécût encore, lui qui a dit dans son Mandement que nous devons regarder les Turcs mêmes comme nos frères! Quiconque dit : Tu n'as pas ma foi, donc je dois te haïr, dira bientôt : Donc "je dois t'égorger. Proscrivons, monsieur, ces maximes

* M. de Voltaire supprime ici le mot vous, qui se trouve dans la lettre de M. l'abbé Audra, baron de Saint-Just, chanoine de la métropole, et professeur royal d'histoire à Toulouse. Il a été depuis si violemment persécuté par les dévots, qu'il en est mort de chagrin. (É. de K.)

infernales; si le diable fesait une religion, voilà celle qu'il ferait.

Je vous dois de tendres remerciemens des sentimens que vous avez bien voulu me témoigner; comptez qu'ils sont dans le fond de mon cœur.

CCXLVIII.

A MADAME LA MARQUISE DU DEFFAND.

20 janvier.

Je vous avais bien dit, madame, que j'écrivais quand j'avais des thèmes. J'ai hasardé d'envoyer à votre grand'maman ce que vous demandiez: cela lui a été adressé par la poste de Lyon, sous l'enveloppe de son mari. Vous n'avez jamais voulu me dire si messieurs de la poste fesaient à votre grand'maman la galanterie d'affranchir ses ports de lettres. Il y a long-temps que je sais que les femmes ne sont pas infiniment exactes en affaires.

Vous ne me paraissez pas profonde en théologie, quoique vous soyez sœur d'un trésorier de la SainteChapelle. Vous me dites que vous ne voulez pas être aimée par charité vous ne savez donc pas, madame, que ce grand mot signifie originairement amour en latin et en grec; c'est de là que vient mon cher, ma chère. Les barbares Welches ont avili cette expression divine; et de charitas ils ont fait le terme infame qui, parmi nous, signifie l'aumône.

Vous n'avez point pour les philosophes cette charité qui veut dire le tendre amour; mais, en vérité, il y en a qui méritent qu'on les aime. La mort vient de me priver d'un vrai philosophe * dans le goût de M. de Formont ; * M. Damilaville. (Ed. de Kehl.)

CORRESPONDANCE. T. IX.

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je vous réponds que vous l'auriez aimé de tout votre

cœur.

Il est plaisant que vous vous donniez le droit de hair tous ces messieurs, et que vous ne vouliez pas que j'aie la même passion pour La Bletterie. Vous voulez donc avoir le privilége exclusif de la haine? Eh bien, madame, je vous avertis que je ne hais plus La Bletterie, que je lui pardonne, et que vous aurez le plaisir de hair

toute seule.

Vous ne m'avez rien répondu sur l'étrange lettre du marquis de Bélestat. Je lui sais gré de m'avoir justifié; sans cela, tous ceux qui lisent ces petits ouvrages m'auraient imputé le compliment fait au président Hénault. Vous voyez comme on est juste.

Je m'applaudis tous les jours de m'être retiré à la campagne depuis quinze ans. Si j'étais à Paris, les tracasseries me poursuivraient deux fois par jour. Heureux qui jouit agréablement du monde! plus heureux qui s'en moque et qui le fuit! Il y a, je l'avoue, un grand mal dans cette privation; c'est qu'en quittant le monde je vous ai quittée; je ne peux m'en consoler que par vos bontés et par vos lettres. Dès que vous me donnerez des thèmes, soyez sûre que vous entendrez parler de moi, que je suis à vos ordres, et que je vous enverrai tous les rogatons qui me tomberont sous la main. Mille tendres respects.

CCXLIX.

A MADAME DE SAUVIGNI.

20 janvier.

Je commence, madame, par

vous remercier de la

boîte que vous voulez bien avoir la bonté de me faire

parvenir par M. Lullin.

Permettez-inoi ensuite d'en appeler à tous les commentateurs passés et à venir. Certainement, madame, vous dire qu'il est à craindre que des réfugiés, et surtout un banqueroutier chicaneur, ne déterminent monsieur votre frère à se plaindre, ce n'est pas vous dire qu'il vous menace et qu'il plaidera. Certainement vous exposer ses douleurs et son malheur, solliciter votre pitié naturelle pour votre frère, ce n'est pas vous animer l'un contre l'autre. Je ne connais point d'homme de son état qui soit plus à plaindre, et je n'ai pas douté un moment, quand vous avez voulu que je le fisse venir chez moi, que vous n'eussiez intention de soulager autant qu'il est en vous des infortunes si longues et si cruelles il se les est attirées, je l'avoue, mais il en est bien puni.

:

Je ne savais qu'une petite partie de ses fautes et de ses disgraces. J'ai tout appris; vous m'en avez chargé; je lui ai fait quelques reproches, et il s'en fait cent fois davantage. Je crois que l'âge et le malheur l'ont mûri; mais il est d'une facilité étonnante. C'est cette malheureuse facilité qui l'a plongé dans l'abyme où il est.

Voilà pourquoi j'ai pensé qu'il est à propos de le tirer des mains de l'homme qui semble le gouverner dans le pays de Neufchâtel, et qui lui mange le peu qui lui reste. J'ai cru que ce serait lui rendre un très grand service, et ne pas vous désobliger. Cet homme a été autrefois connu de monsieur votre père, et ensuite receveur.en Franche-Comté. Il a perdu tout son bien, et vit absolument aux dépens de M. de Morsan. Enfin, monsieur votre frère me mande qu'il ne lui reste plus que dix-huit francs. C'est sans doute un grand et triste exemple qu'un homme né pour avoir deux millions de bien soit réduit à cette extrémité. Ses fautes ont creusé

son précipice; mais enfin vous êtes sa sœur, et votre cœur est bienfesant.

Il m'a envoyé un exemplaire de l'arrêt du conseil du 2 août 1760. Je vois que ses dettes se montaient alors, tant en principaux qu'en intérêts, à plus de onze cent vingt mille livres. Assurément il n'avait

sa dépense.

pas brillé

pour

Je vois par un mémoire intitulé Succession de monsieur et de madame d'Harnoncourt, que, tout payé, il lui reste encore quatre cent vingt-quatre mille et tant de livres substituées, indépendamment des effets restés en commun qui ne sont pas spécifiés. Ainsi je ne vois pas comment on lui a fait entendre qu'il pouvait avoir quarante-deux mille livres de revenu.

Quel que soit son bien, je l'exhorte tous les jours à être sage et économe. Mais je crois, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander, madame, qu'il est de son devoir d'assurer, autant qu'il le pourra, une petite pension à la nièce de l'abbé Nollet, qui s'est sacrifiée pendant quatorze ans pour lui. Je conçois bien que ce n'est pas à vous de ratifier cette pension, puisque vous n'êtes pas son héritière, et que c'est une affaire de pure conciliation entre lui et mademoiselle Nollet, dans laquelle vous ne devez pas entrer. Je n'insiste donc que sur votre compassion pour les malheureux, surtout pour un frère. Je ne lui connais, depuis qu'il est mon voisin, d'autre défaut que celui de cette facilité qui le plonge souvent dans l'indigence. Le premier aventurier qui paraît puise dans sa bourse. Ce serait une vertu s'il était riche, mais c'est un vice quand on s'est appauvri par sa faute.

Je crois vous avoir ponctuellement obéi, et vous avoir assez détaillé tout ce qui est venu à ma connais

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