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très profond dans l'histoire de France. Il y a des erreurs, mais il y a aussi des recherches savantes. Le style court après celui de Montesquieu; il l'attrape quelquefois, mais avec des solécismes et des barbarismes dont Montesquieu avait aussi sa part. On a imprimé ce petit livre sous le nom d'un marquis de Bélestat. J'ai reçu moi-même de Montpellier deux lettres signées de ce nom; et il se trouve à fin de compte qu'il n'y a point de marquis de Bélestat; c'est l'aventure du faux Arnauld.

Je crois, après m'être bien tourmenté à deviner, que je dois finir par rire. Plût à Dieu qu'il n'y eût dans le monde que ces petites méchancetés! Mais je reprends mon air grave et triste quand je songe à certaines choses qui se sont passées dans mon siècle; je ne les oublie point, je les garde pour les posthumes, et je veux que la postérité déteste les persécuteurs.

Je vous embrasse bien tendrement, mon très cher confrère.

CCXX.

A M. COLLINI.

A Ferney, 28 novembre.

C'est votre ami qui n'est pas encore mort, qui écrit à son cher ami par la main de son secrétaire. J'ai envoyé deux exemplaires de la nouvelle édition du Siècle de Louis XIV à son altesse électorale et à vous. Vous trouverez que je fais mention de vous à l'article du Cartel. Mon nom sera désormais confondu avec le vôtre; ce sera pour moi, mon cher ami, une vraie consolation.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

CCXXI.

A M. LE PRINCE DE LIGNE.

A Ferney, 3 décembre.

Monsieur le prince, je suis enchanté de votre lettre, de votre souvenir; vous réveillez l'assoupissement mortel dans lequel mon âge et mes maladies m'ont plongé. J'ai quelquefois combattu ma langueur par des plaisanteries qui sont, à ce que je vois, parvenues jusqu'à vous; elles m'ont valu la jolie lettre dont vous m'honorez. Je m'aperçois que certaines plaisanteries sont bonnes à quelque chose : il y a trente ans qu'aucun gouvernement catholique n'aurait osé faire ce qu'ils font tous aujourd'hui. La raison est venue; elle rend à la superstition les fers qu'elle avait reçus d'elle.

J'ai eu l'honneur d'avoir chez moi M. le duc de Bragance, que je crois votre beau-frère ou votre oncle, et qui me paraît bien digne de vous être quelque chose. Il pense comme vous; et il n'y a plus que des universités comme celle de Louvain où l'on pense autrement. Le monde est bien changé.

Je crois M. d'Hermenches actuellement à Paris : il ne doit pas être jusqu'ici trop content de l'expédition de Corse.

Puissiez-vous, monsieur le prince, ne vous faire jamais tuer par des montagnards ou par des housards! vivez très long-temps pour les intérêts de l'esprit, des graces et de la raison.

Agréez mon sincère et tendre respect.

CCXXII

A M. LE COMTE DE SCHOUVALOF.

A Ferney, 3 décembre.

Voilà, monsieur, deux beaux ouvrages contre le fanatisme. Voilà deux engagemens pris, à la face du ciel et de la terre, de ne jamais permettre à la religion de persécuter la probité. Il est temps que le monstre de la superstition soit enchaîné. Les princes catholiques commencent un peu à réprimer ses entreprises; mais au lieu de couper les têtes de l'hydre, ils se bornent à lui mordre la queue; ils reconnaissent encore deux puissances, ou du moins ils feignent de les reconnaître : ils ne sont pas assez hardis pour déclarer que l'église doit dépendre uniquement des lois du souverain; leurs sujets achètent encore des dispenses à Rome; les évêques payent des annates à la chambre qu'on nomme apostolique; les archevêques achètent chèrement un licou de laine qu'on nomme un pallium. Il n'y a que votre illustre souveraine qui ait raison; elle paye les prêtres, elle ouvre leur bouche et la ferme; ils sont à ses ordres, et tout est tranquille.

Je souhaite passionnément qu'elle triomphe de l'Alcoran comme elle a su diriger l'Évangile. Je suis persuadé que vos troupes battront les Ottomans amollis. Il me semble que toutes les grandes destinées se tournent vers vos climats. Il sera beau qu'une femme détrône des barbares qui enferment les femmes, et que la protectrice des sciences batte complétement les ennemis des beaux-arts. Puissé-je vivre assez long-temps pour apprendre que les eunuques du sérail de Constantinople sont allés filer en Sibérie! Tout ce que je crains,

c'est qu'on ne négocie avec Moustapha, au lieu de le chasser de l'Europe. J'espère qu'elle punira ces brigands de Tartarie qui se croient en droit de mettre en prison les ministres des souverains. Le beau moment, monsieur, que celui où la Grèce verrait ses fers brisés! Je voudrais recevoir une lettre de vous, datée de Corinthe ou d'Athènes. Tout cela est possible. Si Mahomet II a vaincu un sot empereur chrétien, Catherine II peut bien chasser un sot empereur turc. Vos armées ont battu des armées plus disciplinées que les janissaires. Vous avez pris déja la Crimée, pourquoi ne prendriez-vous pas la Thrace? Vous vous entendrez avec le prince Héraclius, et vous reviendrez après mettre à la raison les bons serviteurs du nonce du pape en Pologne.

Voilà quel est mon roman. Le courage de l'impératrice en fera une histoire véritable; elle a commencé sa gloire par les lois, elle l'achèvera par les armes. Vivez heureux auprès d'elle, monsieur le comte; servez-la dans ses grandes idées, et chantez ses actions.

Je présente mes respects à madame la comtesse de Schouvalof.

CCXXIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

5 décembre.

Le petit possédé demande bien pardon à son ange de le fatiguer continuellement des détails de son obsession. Voici un petit chiffon qui contient les changemens demandés, ou du moins ceux qu'on a pu faire. Mais, quelque adoucissement qu'on puisse mettre au portrait des prêtres d'Apamée, le fonds restera toujours le même, et c'est ce fonds qui est à craindre. J'interpelle ici mes deux

anges, et je m'en rapporte à leur conscience. N'est-il pas vrai que le nom du diable qui a fait cet ouvrage leur a fait peur? n'est-il pas vrai que ce nom fatal a fait la même impression sur le philosophe Marin? n'ont-ils pas jugé de la pièce par l'auteur, sans même s'en apercevoir? Ce sont là les tristes effets de la mauvaise réputation; autrement, comment auraient-ils pu soupçonner des païens de Syrie d'avoir la moindre ressemblance avec le clergé de France? Ce clergé n'a aucun tribunal, ne condamne personne à mort, ne persécute aujourd'hui personne.

Si les Guèbres pouvaient ressembler à quelque chose, ce ne serait qu'aux premiers chrétiens poursuivis par les pontifes païens, pour n'avoir adoré qu'un seul Dieu; et même on pourrait dire que la pièce de Latouche était originairement une tragédie chrétienne, mais que la crainte de retomber dans le sujet de Polyeucte, et le respect pour notre sainte religion, qui ne doit pas être prodiguée sur le théâtre, engagea l'auteur à déguiser le sujet sous d'autres noms.

La pièce même, présentée à la police sous ce point de vue, avec un avertissement, serait-elle rejetée sous prétexte qu'il y a des prêtres en France, comme il y en a eu de tout temps dans tous les états du monde? Il n'y a certainement pas un mot qui puisse désigner nos évêques, nos curés, ou même nos moines. On pourrait tout au plus chercher quelque analogie entre les prêtres d'Apamée et ceux de l'inquisition; mais l'inquisition est abhorrée en France et réprimée en Espagne; et certainement M. le comte d'Aranda ne demandera pas qu'on supprime cet ouvrage à Paris.

Si on reproche à feu M. Guimond de Latouche d'avoir rendu les prêtres d'Apamée trop odieux, il me semble

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