Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

m'avait saigné deux fois, j'en serais mort. On dit que vous vous en êtes tiré à merveille. J'apprends en même temps votre maladie et votre convalescence; tout notre petit ermitage aurait été alarmé si on ne nous avait pas rassurés. Vous voilà donc au régime avec madame d'Argental, et sous la direction de Fournier. Pour moi, je suis dans mon lit depuis un mois; je suis plus vieux et plus faible que vous; il faut que je me prépare au grand voyage, après un petit séjour assez ridicule sur ce globe.

La Comédie française me paraît aussi malade que moi. Je me flatte qu'après les saignées qu'on vous a faites, votre sang n'est plus aigri contre votre ancien et fidèle serviteur. Vous avez dû voir combien on a abusé de ma lettre à mademoiselle Dubois, qui n'était qu'un compliment et une plaisanterie, mais dans laquelle je lui disais très nettement que j'avais partagé mes rôles entre elle et mademoiselle Durancy. Il y avait long-temps qu'on vous préparait ce tour; on* aurait beaucoup mieux fait de me payer beaucoup d'argent qu'on me doit. Je suis vexé de tous côtés; c'est la destinée des gens de lettres. Ce sont des oiseaux que chacun tire en volant, et qui ont bien de la peine à regagner leur trou avec l'aile cassée.

Je vous embrasse du fond de mon trou, avec une tendresse qui ne finira qu'avec moi, mais qui finira bientôt.

XXV.

A M. MARMONTEL.

14 octobre.

Mon cher ami, qui m'appelez votre maître, et qui êtes assurément le mien, je reçois votre lettre du 8 d'octobre

Le duc de Richelien. R.

dans mon lit, où je suis malade depuis un mois; elle me ressusciterait si j'étais mort. Ne doutez pas que je ne fasse tout ce que vous exigez de moi dès que j'aurai un peu de force. Souvenez-vous que je n'ai pas attendu les suffrages des princes et les cris de l'Europe en votre faveur pour me déclarer. Dieu confonde ceux qui attendent la voix du public pour oser rendre justice à leurs amis, à la vertu et à l'éloquence!

Il est bien vrai que la Sorbonne est dans la fange, et qu'elle y restera, soit qu'elle écrive des sottises, soit qu'elle n'écrive rien. Il est encore très vrai qu'il faudrait traiter tous ces cuistres-là comme on a traité les jésuites. Les théologiens, qui ne sont aujourd'hui que ridicules, n'ont servi autrefois qu'à troubler le monde; il est temps de les punir de tout le mal qu'ils ont fait. Cependant votre approbateur reste toujours interdit, et la défense de débiter Bélisaire n'est point encore levée. Cogé a encore ses oreilles, et n'a point été mis au pilori; c'est là ce qui est honteux pour notre nation. Croiriezvous bien que ce maroufle de Cogé a osé m'écrire ? Je lui avais fait répondre par mon laquais; la lettre est assez drôle ; c'était la Défense de mon maitre. Elle pouvait faire un pendant avec la Défense de mon oncle; mais j'ai trouvé qu'un pareil coquin ne méritait pas la plaisanterie.

Bonsoir, mon cher ami; resserrez bien les nœuds qui doivent unir tous les gens qui pensent; inspirez-leur du courage. Mes tendres complimens à M. d'Alembert. Ne m'oubliez pas auprès de madame Geoffrin.

Madame Denis vous fait mille complimens; autant en disent MM. de Chabanon et de La Harpe.

XXVI.

A M. DAMILAVILLE.

16 octobre.

Mon cher ami, je vous parlerai d'Henri IV avant de vous entretenir de mademoiselle Durancy.

1o Je savais qu'on avait défendu de faire jamais paraître Henri IV sur le théâtre, ne nomen ejus vilesceret; et en cas que jamais les comédiens voulussent jouer Charlot, il ne fallait pas les priver de cette petite ressource, supposé que c'en soit une dans leur décadence et dans leur misère.

2o Henri IV, étant substitué au duc de Bellegarde, n'aurait pu jouer un rôle digne de lui. Il aurait été obligé d'entrer dans des détails qui ne conviennent point du tout à sa dignité. De plus, tout ce que le duc de Bellegarde dit de son maître est bien plus à l'avantage de ce grand homme que si Henri IV parlait lui

même.

Enfin, il est nécessaire que celui qui fait le dénoûment de la pièce soit un parent de la maison; et voilà pourquoi j'ai restitué les vers qui fondent cette parenté au premier acte; ils sont d'une nécessité indispensable.

Je n'ai encore rien écrit sur mon cher Henri IV, mais j'ai tout dans ma tête; et s'il arrivait que la mémoire de ce grand homme fût assez chère aux Français pour qu'ils pardonnassent aux fautes de ce petit ouvrage; si, malgré les cris des Fréron et des autres Welches, il s'en fesait une autre édition après celle de Genève, je vous enverrais une petite diatribe sur Henri IV: vous n'auriez qu'à parler.

J'ai lu une grande partie de l'Ordre essentiel des Sociétés. Cette essence m'a porté quelquefois à la tête,

et m'a mis de mauvaise humeur. Il est bien certain que la terre paye tout: quel homme n'est pas convaincu de cette vérité? Mais qu'un seul homme soit le propriétaire de toutes les terres, c'est une idée monstrueuse, et ce n'est pas la seule de cette espèce dans ce livre, qui d'ailleurs est profond, méthodique, et d'une sécheresse désagréable. On peut profiter de ce qu'il y a de bon, et laisser là le mauvais : c'est ainsi que j'en use avec tous les livres.

J'ai été bien étonné, en lisant l'article Ligature dans le Dictionnaire encyclopédique, de voir que l'auteur croit aux sortiléges. Comment a-t-on laissé entrer ce fanatique dans le temple de la vérité? Il y a trop d'articles défectueux dans ce grand ouvrage, et je commence à croire qu'il ne sera jamais réimprimé. Il y a d'excellens articles; mais, en vérité, il y a trop de pau

vretés.

Depuis trois mois il y a une douzaine d'ouvrages d'une liberté extrême, imprimés en Hollande. La Théologie portative n'est nullement théologique; ce n'est qu'une plaisanterie continuelle par ordre alphabétique; mais il faut avouer qu'il y a des traits si comiques, que plusieurs théologiens même ne pourront s'empêcher d'en rire. Les jeunes gens et les femmes lisent cette folie avec avidité. Les éditions de tous les livres dans ce goût se multiplient. Les vrais politiques disent que c'est un bonheur pour tous les états et tous les princes; que plus les querelles théologiques seront méprisées, plus la religion sera respectée; et que le repos public ne pouvait naître que de deux sources: l'une, l'expulsion des jésuites; l'autre, le mépris pour les écoles d'argumens. Ce mépris augmente heureusement par la victoire de Marmontel.

Soyez persuadé, mon cher ami, que je n'ai nulle part à la retraite de mademoiselle Durancy. M. d'Argental a été très mal informé. J'ai soutenu le théâtre pendant cinquante ans ; ma récompense a été une foule de libelles et de tracasseries. Ah! que j'ai bien fait de quitter Paris, et que je suis loin de le regretter! Votre correspondance me tient lieu de tout ce qui m'aurait pu plaire encore dans cette ville.

Comment vos fondans réussissent-ils ?

Adieu; il n'y a de remède pour moi que celui de la patience.

XXVII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

16 octobre.

Je jure par tous les anges, et par la probité, et par l'honnêteté, et par la vérité, que je n'ai jamais écrit un seul mot de l'étrange et ridicule phrase soulignée dans la lettre de mon ange, du 8 d'octobre. J'ai écrit tout le contraire; j'ai écrit que le partage fait entre mademoiselle Durancy et mademoiselle Dubois devait être regardé comme mon testament, et qu'après ma mort, si elles n'étaient pas contentes de leur partage, elles pourraient lire le Testament expliqué par Ésope, et prendre chacune ce qui lui conviendrait.

Je me doutais bien qu'il y avait là quelque friponnerie. Comme ma lettre n'était point de mon écriture, il est très vraisemblable qu'on en aura substitué une autre, en ajoutant à mes paroles et en me faisant dire ce que je n'ai point dit. Celui à qui je dictai ma lettre se souvient très bien qu'il n'y a pas un seul mot de ce qu'on m'impute. Je le somme devant Dieu de dire la vérité.

« ZurückWeiter »