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furieusement déroutée depuis que j'ai coupé des têtes à des colimaçons, et que j'ai vu ces têtes revenir. Depuis saint Denis, on n'avait jamais rien vu de plus mirifique. Cette expérience me porte fort à croire que nous ne savons rien du tout des premiers principes, et que le plus sage est celui qui se réjouit le plus.

On ne peut vous être plus tendrement dévoué que le mort V.

CCVI.

A M. LE COMTE DE ROCHEFORT.

A Ferney, 2 novembre.

L'enterré ressuscite un moment, monsieur, pour vous dire que, s'il vivait une éternité, il vous aimerait pendant tout ce temps-là. Il est comblé de vos bontés : il lui est encore arrivé deux gros fromages par votre munificence. S'il avait de la santé, il trouverait son sort très préférable à celui du rat retiré du monde dans un fromage d'Hollande; mais quand on est vieux et malade, tout ce qu'on peut faire, c'est de supporter la vie et de se cacher.

Je vous ai envoyé quatre volumes du Siècle de Louis XIV et de Louis XV; mais en France, les fromages arrivent beaucoup plus sûrement par le coche que les livres. Je crois qu'il faudra tout votre crédit pour que les commis à la douane des pensées vous délivrent le récit de la bataille de Fontenoi et la prise de Minorque. La société s'est si bien perfectionnée qu'on ne peut plus rien lire sans la permission de la chambre syndicale des libraires. On dit qu'un célèbre janséniste a proposé un édit par lequel il sera défendu à tous les philosophes de parler, à moins que ce ne soit en présence de deux députés de Sorbonne, qui rendront compte au prima

mensis de tout ce qui aura été dit dans Paris dans le cours du mois.

Pour moi, je pense qu'il serait beaucoup plus utile et plus convenable de leur couper la main droite, pour les empêcher d'écrire, et de leur arracher la langue, de peur qu'ils ne parlent. C'est une excellente précaution dont on s'est déja servi, et qui a fait beaucoup d'honneur à notre nation. Ce petit préservatif a même été essayé avec succès dans Abbeville sur le petit-fils d'un lieutenant-général; mais ce ne sont là que des palliatifs. Mon avis serait qu'on fit une Saint-Barthélemi de tous les philosophes, et qu'on égorgeât dans leur lit tous ceux qui auraient Locke, Montaigne, Bayle, dans leur bibliothèque. Je voudrais même qu'on brûlât tous les livres, excepté la Gazette ecclésiastique et le Journa chrétien.

Je resterai constamment dans ma solitude jusqu'à ce que je voie ces jours heureux où la pensée sera bannie du monde, et où les hommes seront parvenus au noble état des brutes. Cependant, monsieur, tant que je penserai et que j'aurai du sentiment, soyez sûr que je vous serai tendrement attaché. Si on fesait une Saint-Barthélemi de ceux qui ont les idées justes et nobles, vous seriez sûrement massacré un des premiers. En attendant, conservez-moi vos bontés.

Je me mets aux pieds de madame de Rochefort.

CCVII.

A M. GABRIEL CRAMER.

A Ferney, 3 novembre,

Je vous prie, mon cher ami, de me procurer ces trois volumes de Mélanges où vous dites qu'on a inséré

plusieurs balivernes de ma façon, comme tragédies médiocres, comédies de société, petits vers de société, qui ne sont jamais bons qu'aux yeux de ceux pour qui ils ont été faits. Si la folie de faire des vers est un pey épidémique, la rage de les imprimer est beaucoup plus grande. On dit qu'on a mêlé à ces fadaises des ouvrages licencieux de plusieurs auteurs. Je suis comme les gens de mauvaise compagnie, qui sont fâchés de se trouver en mauvaise compagnie.

Faites-moi venir, je vous prie, par vos correspondans de Hollande, deux exemplaires de ce recueil intitulé, dit-on, Nouveaux Mélanges; je veux en juger.

Π

La faiblesse humaine est d'apprendre
Ce qu'on ne voudrait pas savoir.

y a tantôt cinquante ans qu'on se plaît à mettre sous mon nom beaucoup de sottises qui, jointes avec les miennes, composent en papier bleu une bibliothèque très considérable; mais la calomnie y mêle quelquefois des ouvrages sérieux qui font bien de la peine. Ces impostures sont d'autant plus désagréables qu'on ne peut guère les repousser; on ne sait d'où elles partent; on se bat contre des fantômes. J'ai beau me mettre en colère comme Ragotin, et jurer que cela n'est pas de moi, et que cela est détestable, on me répond que mon style est très reconnaissable; et voilà comme on juge. La condition d'un homme de lettres ressemble à celle de l'âne du public; chacun le charge à sa volonté, et il faut que le pauvre animal porte tout.

Mettez-moi au fait, je vous prie, de ce recueil de Nouveaux Mélanges, je vous serai très obligé. J'attends ce service de votre amitié.

CORRESPONDANCE. T. IX.

20

CCVIII.

A M. LE CHEVALIER DE BEAUTEVILLE.

A Ferney, 4 novembre.

Monsieur, je suis obligé en honneur de vous rendre compte de ce qui vient de m'arriver. Une dame fort jolie et fort affligée est venue chez moi je n'ai pas, à mon âge, de quoi la consoler; elle m'a assuré qu'il n'y avait que vous qui pussiez lui donner de la consolation. J'ai le malheur, m'a-t-elle dit, d'être la femme d'un poëte. Votre mari est-il jeune, madame? Fait-il bien des vers? Ah! monsieur, il les fait détestables. — Cela est fort commun, madame; mais que peut un ambassadeur de France contre la rage de faire de mauvais vers? Monsieur, je suis Genevoise, et mon mari est un jeune étourdi nommé Lamande. - Eh bien, madame! envoyez-le chez J.-J. Rousseau, ils travailleront du même métier. Monsieur, il y a renoncé pour sa vie. Il s'avisa, il y a deux ans, pendant les troubles de Genève, où personne ne s'entendait, de faire une mauvaise brochure en vers qu'on n'entendait pas davantage; il a été banni pour neuf ans par un arrêt du Conseil magnifique; il a un père encore plus vieux que vous, qui est aveugle et qui se trouve sans secours; ma mère, vieille et infirme, a besoin de mes soins : je passe ma vie à courir pour me partager entre ma mère et mon mari: monsieur l'ambassadeur de France est le seul qui puisse finir mes malheurs.

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J'ai répondu alors de votre excellence ; j'ai assuré la désolée que, si elle venait à votre lever, elle s'en trouverait fort bien; mais que vous étiez actuellement occupé avec les dames de Saint-Omer.

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Hélas! monsieur, m'a-t-elle répliqué, il peut de SaintOmer pardonner à mon mari, et me le rendre. On a prétendu que mon mari lui avait manqué de respect dans son impertinent ouvrage où personne n'a jamais rien compris..... Madame, ai-je dit, si votre mari avait été citoyen de Berg-op-Zoom, M. le chevalier de Beauteville lui aurait très mal fait passer son temps; mais, s'il est citoyen de Genève, et s'il a écrit des sottises, soyez très persuadée que monsieur l'ambassadeur de France n'en sait rien, qu'il ne lit point ces pauvretés, ou qu'il ne s'en souvient plus. Alors elle s'est remise à pleurer. Ah! que monsieur l'ambassadeur pourrait faire une belle action! disait-elle. Il la fera, madame, n'en doutez pas; c'est une de ses habitudes. De quoi s'agit-il? Ce serait, monsieur, qu'il trouvât bon que mon magnifique Conseil abrégeât le temps du bannissement de mon sot mari, qui a voulu faire le bel esprit. Il ne faudrait pour cela qu'un mot de la main de son excellence. La grace de mon mari sera accordée, si monsieur l'ambassadeur daigne seulement vous témoigner qu'il sera satisfait que ce magnifique Conseil laisse revenir mon mari Lamande dans sa patrie, et que je puisse y soulager la vieillesse de mes parens. Prenez la liberté de lui demander cette faveur, il ne vous refusera pas; car c'est sans doute une chose très indifférente pour lui que le sieur Lamande et moi nous soyons à Genève ou en Savoie.

Enfin, monsieur, elle m'a tant pressé, tant conjuré, que j'ose vous conjurer aussi. Une nombreuse famille vous aura l'obligation de la fin de ses peines. Votre excellence peut avoir la bonté de m'écrire qu'elle est satisfaite de deux ans d'expiation de Lamande, et qu'elle verra avec plaisir qu'il soit rappelé dans sa ville.

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